Cette année, et pour DB, seule marque à représenter la France, tout avait commencé le 9 avril lors des séances de roulages. Cette excellente initiative de l’A.C.O. a permis de contrôler les possibilités des nouvelles voitures.
A ce moment là, René Bonnet, n’a pas encore arrêté sa ligne de conduite, mais il pensait déjà que les voitures701 cm3 ou 954 cm3 figureront en bonne place au classement par catégorie et à l’indice.

Les véhicules seront pilotés par des conducteurs chevronnés comme Laureau, Armagnac, Vinatier, Jaeger ou Vidilles.

Du point de vue performance, les résultats sont prometteurs puisque le moteur 701 cm3 placé dans la caisse découverte de l’an dernier a fait sans pousser, le même temps que le 750 soit 5’24’’ : 149,576 km/h. Ce moteur typiquement DB comporte des culasses détachables, des cylindres peu ailettes.

La conduite intérieure 954 cm3 a réalisé un chronos particulièrement prometteur puisqu’à ce jour aucune voiture de moins de 1.000cm3 n’avait fait un tour en 5’02’’ 3/10, soit 160,303 km/h.
A ce titre, René Bonnet faisait débuter le « Vitrine » qui n’est autre qu’une ancienne barquette de 1959 sur laquelle a été greffé une immense poupe arrière avec une lunette arrière qui fait également office de couvercle de coffre. Malgré une ligne peu orthodoxe, le coefficient de pénétration dans l’air est particulièrement intéressant.
Soulignons également qu’afin d’obtenir un bon essuyage le pare-brise est composé de deux glaces planes disposées en « V » qui donnent aussi une parfaite visibilité. A cause de ces éléments, la voiture fut baptisée « la Vitrine ».

LES DB AU PESAGE PLACE DES JACOBINS ET PRESENTATION DES PILOTES

Sept DB sont engagés, mais seulement cinq prendront le départ.
Place des Jacobins : ce sont ces dernières qui se présenteront aux opérations de pesage-vérification.
Religieusement écouté, René Bonnet a présenté à la Presse la composition de son équipe :
• Pierre Lelong et Maurice Van den Bruwaene sur la 47
• Gérard Laureau et Paul Armagnac sur la 48
• Jean Vinatier et Jean-Claude Vidilles sur la 51
• René Bartholoni et Bernard de Saint-Auban sur la 52
• Robert Bouharde et Jean-François Jaeger sur la 56

Quatre « bizuths » du Mans seront ainsi au départ de la fameuse épreuve : Pierre Lelong concessionnaire Panhard au pays du vin rosé et du château des Papes, à Avignon ; Robert Bouharde, le transporteur lyonnais et Maurice Van den Bruwaene, agent Panhard à Lille et à Hem.
Tous les autres sont des chevronnés, à commencer par JC-Vidilles, représentant de voitures à Paris qui reste le doyen avec huit 24h. Le tandem des « V.V. » qu’il forme avec Vinatier est capable des plus belles performances.

Bouharde dit « Barbichette » pour son élégant collier de barbe, partagera donc le volant avec JF Jaeger, le marchand de tableaux de Montparnasse, appelé aussi « Pinocchio » par ses amis.
« Bartho », le banquier parisien est réputé pour sa vue de lynx qui le fait rivaliser dans la nuit et le brouillard avec les fameux yeux de chat Marchal de ses projecteurs.
Gérard Laureau et son fidèle partenaire Paul Armagnac, le gentleman farmer-huissier à Nogaro sont eux-aussi à la pointe des pronostics dans la course à la victoire à l’indice.
Quant à Pierre Lelong, il est Maire d’une petite cité et promet une réception monstre en cas de victoire !
Le tout supervisé et chouchouté par « le Marquis » : Etienne de Valance.
Ce jour-là, « le Patron » et « le Marquis » avaient le moral au beau fixe et rêvaient déjà de faire sauter de bons millésimes de champagne.

LES FORCES EN PRESENCE

Deux compétitions animent une même ronde aux 24 Heures. Il y a ceux qui s’affrontent à la distance sans vouloir s’embarrasser de complications ni de savants calculs. Avec les Ferrari, les Aston-Martin ou autres Jaguar, pas question de se « torturer les méninges », pas plus que de faire appel à un polytechnicien : le premier à franchir le ligne d’arrivée à 16 h, sera sacré vainqueur absolu au Mans.
Mais à côté, il y a aussi de sévères bagarres à l’indice qui, comme un céleste justicier, permet que les « petites » puissent être les premiers.

Pour cette ampoignade donnant leurs chances aux petites cylindrées contre les grosses, les techniciens et experts se pencheront sur de larges tableaux fixant l’ordre de marche des voitures les unes par rapport aux autres.
A priori, Ferrari, Maserati, Aston-Martin, Jaguar et moins encore Corvette, ne peuvent enlever le titre à l’indice. Mais sait-on jamais ?
Plus sérieusement, il semblerait que la décision doive mettre aux prises : Porsche, DB-Panhard, OSCA, Lotus, Lola et peut-être les Fiat-Abarth. Mais ces dernières restent fragiles d’autant qu’aux essais leurs pilotes avaient un peu trop poussé la mécanique.
Le danger peut surtout venir des Lotus Elite de 1.216 cm3, brillantes et rapides, et des OSCA qui aligne seulement deux voitures avec la 53 et la 54 qui ont d’énormes qualités avec leur 746 cm3 : n’ont-ils pas gagné les 12H de Sebring ?

Dans le clan DB, on s’appuie sur les succès précédents : on sait que quoi l’on parle ! La firme de Champigny joue la sécurité en alignant finalement trois 851 et deux 702 cm3.

Quant à Porsche, il visera les deux classements. Maurice Trintignant, notre champion de France, équipier de Porsche disait : « Suivant que le revêtement sera sec ou humide, les résultats peuvent être différents. » Les Porsche sont suffisamment puissantes pour le sec, mais s’il pleut, elles peuvent avoir leur chance à l’indice. Mais courir deux lièvres à la fois sera peut-être l’écueil des Porsche.

LA COURSE

Les 24H ont toujours été un spectacle même si le public s’intéresse avant tout aux voitures les plus rapides.
Les Ferrari sont les plus puissantes, mais aussi les plus gourmandes en carburant. Une consommation largement supérieure aux estimations. Van Trips puis Scarfioti s’arrêtent sur le circuit avant même le 1er ravitaillement, victimes de pannes sèches. Malgré un bon début de course de Gregory sur une Maserati, de suspense : il n’y aura point. De gros orages s’abattent sur la piste. Les circuits électriques mal isolés des Maserati ne supporteront pas l’humidité. Les Jaguar abandonnent également peu après la mi-course. En tête, la Testa Rossa officielle de Olivier Gendebien-Paul Frère 250 TR de l’usine ne sera plus inquiétée.

Le dimanche à 16 heures, parmi les sept premiers, on compte six modèles de Maranello. Sans adversaire à sa hauteur, Ferrari réalise une démonstration. Gendebien et Frère (TR60) l’emportent devant Pilette-Rodriguez (TR60) à 4 tours, Jim Clark-Salvadori (Aston Martin) et 4eme Loustel associé au Manceau Tavano (250GT) enlèvent la catégorie GT.

Mais il y a aussi l’intérêt technique qu’apportent les évolutions mécaniques et la course à l’indice de performance, avec la belle victoire de la DB-Panhard de Laureau-Armagnac.
Les DB-Panhard ont en effet gagné cette bataille après avoir successivement repoussé les assauts de la Fiat-Abarth de Rigamont, l’OSACA de Simon, la Fiat-Abarth de Féret, les Porsche de Trintignant et de Barth-Seidel, l’Aston-Martin de Baillie et les Ferrari pilotées par Mairesse d’abord et celle de Gendebien.

Déception en revanche pour l’équipage « V.V. » la 51 qui abandonnera à la 4ème heure sur panne de moteur.

Satisfaction en revanche pour la 52 de Bartholoni et Bernard de Saint-Auban, 16ème à l’indice et la 56 de Robert Bouharde et Jean-François Jaeger : 3ème à l’indice et 3ème à l’énergétique.

Quatre DB-Panhard à l’arrivée sur cinq : un beau succès d’ensemble.
Le champagne va couler à flot…

La victoire des DB-Panhard rejaillit sur toute l’industrie française et porte une auréole qui fait que les DB sont très appréciés à l’étranger.

Charly RAMPAL