André Héchard fait partie de ces mécanos obscurs qui, avec très peu d’argent mais beaucoup d’astuces, ont inscrit leur nom jusqu’aux palmarès des 24H du Mans et des Mille Miles. Il est certain qu’il a passé plus de temps les mains dans le cambouis que sur les pistes.
Son objectif était de faire rouler plus vite une voiture de série avec pour seul outil la lime et la pâte à polir, pour transformer de vulgaires tubes d’admission en joyaux de douceur et de raffinement.

André Héchard est né à Blois le 6 septembre 1912 et il s’en est fallu de peu qu’il naisse directement dans l’atelier de son père, alors mécanicien.

Ce dernier réparait autos, cyclos et motos mais tenait en même temps une épicerie avec sa femme, où l’on vendait un peu de tout. La motte de beurre côtoyait les bidons d’essence et les articles de quincaillerie.
De surcroit, son mécanicien de père ajoutait à ses nombreuses qualités cette de distillateur d’eau de vie. C’est donc tout naturellement que le jeune André découvre la mécanique et qu’il va faire son apprentissage chez un cousin, à Chauvigny dans le Poitou.
Ce cousin étant armurier, il apprend à bleuir les pièces et à faire de l’ajustage de précision sous la contrainte des coups de pied au cul lorsqu’il limait de travers ! Mais c’est comme cela que le métier rentrait à notre époque.

C’est là qu’à 15 ans, pour la première fois, il conduit la vieille Delahaye reconvertie en dépanneuse : les « bleus » n’étaient pas trop regardant.
Ce fut une véritable révélation et c’est à partir de ce moment là qu’il décide de participer à des courses quand il en aurait les moyens.

A 17 ans, il part travailler dans plusieurs garages à Nice, Antibes, Casablanca, puis dans le bled marocain, entre Meknès et Rabat, où il réparait les bielles coulées dans la nuit pour que les voyageurs puissent repartir le lendemain matin.
Il reviendra en France en auto-stop, sans un sou en poche.
Les obligations militaires accomplies, il est embauché dans un garage à Pontlevoy, petite commune du Loir-et-Cher. C’est là qu’il achète, juste avant la guerre, sa première voiture de course : un Amilcar qui a pas mal de bornes au compteur, mais qui avait un moteur culbuté.
Un culbuteur étant cassé, André va en usiner un dans un vieil axe de roue d’un camion !

Avec cette voiture, il apprend à piloter tout seul en provocant des dérapages plus ou moins contrôlés et fait quelques courses de côte. C’est là qu’il séduit sa future femme qu’il épouse en 1936 et avec laquelle il aura 3 enfants.

Après la guerre, il s’installe dans un petit garage à Blois et se spécialise dans la réparation d’injecteurs diésel.

Mais le virus de la course le tenaille toujours. En 1948 il passe quelques heures à l’école de pilotage de l’AGACI à Montlhéry sur une Bugatti T35 B à compresseur.
Ces moments là seront pour lui inoubliables, bien que là encore le moteur de la belle bleue présentait des signes évidents de fatigue. Mais ça lui donne l’occasion de mémoriser ce circuit mythique, théâtre de tant de souvenirs.

Devenant agent Bosch, il s’achète une 4cv Renault neuve en 1952 pour visiter ses clients. Il va gonfler le petit moteur Renault avec le système Autobleu et décide de s’engager en 1953 au circuit d’Orléans. Et là, c’est la honte et se fait enrhumer par tous ses concurrents !

Il lui faut des chevaux et va voir Condriller à Nice pour des conseils et contacte ensuite Satecno, un ingénieur qui améliorait les culasses. André se chargera de l’arbre à cames qu’il rectifie à la pierre, les soirs d’hiver dans son garage.
Puis il achète deux gros carbu Solex horizontaux et une boite « Claude » à 4 vitesses, transformant ainsi la paisible 4cv en une véritable bombinette !

Le 27 juin 1954, il se classe 2ème à Bressuire. Un mois plus tard, il remplace au pied levé un ami à Caen et se classe 6ème sur DB Monomill : c’est le déclic ! Il découvre cette marque et fait connaissance avec René Bonnet.
Comprenant les qualités incomparables du petit moteur Panhard, il achète avec ses économies et celles de son ami Girault (moitié, moitié) un DB Racer 500 d’occasion dont il assurera lui-même la préparation. Avec ces deux types de voitures, il peut s’engager dans des catégories différentes le même week-end.
C’est ainsi que le même jour, aux Coupes d’Automne 1954, il se classe 4ème au circuit de Paris sur son Racer 500 et 19ème à la Coupe Tourisme et Sport sur sa 4cv dans la catégorie 50 à 750 cc..

Toujours en 1954 avec sa 4cv, il se classera 6ème dans la catégorie moins de 750 cc aux Coupes du salon et 1er au Challenge Paul Jamin.

En 1955, André Héchard s’inscrit à la toute nouvelle Ecurie Blésoise et fera le rallye du Loir-et-Cher dans lequel il cassera un arbre de roue de sa 4cv.

Au rallye automobile du Printemps à Alençon, il est 2ème de son groupe (500 à 1.000 cc) sur sa 4cv.
Le 17 avril 1955, André participe aux Coupes de Paris sur 3 voitures différentes en une seule journée ! Il se classe 4ème sur 4cv, 2ème avec son DB Racer

et 23ème de la coupe Wynn’s sur une V.P. (Vernet / Perard) à base Renault.

Cette année 55, il est inscrit au Mans sur cette V.P. comme troisième pilote. Il apprend la catastrophe par Vernet qui arrive au stand en lui disant qu’il y avait des dizaines de morts et que son coéquipier Lesur ne veut pas prendre le relais. André est d’accord pour le remplacer, mais la V.P. victime d’un surrégime ne repartira pas des stands. La belle occasion était manquée !

Dès lors son obsession de courir au Mans devint la plus forte : y participer avec sa propre voiture.
Il parti voir René Bonnet et lui acheta une baquette qui avait terminée Le Mans 1954. Le choix se portait maintenant sur la DB plutôt que la V.P..

Au mois de juin 1956, il fait équipe avec Gérard Laureau aux 1.000 km de Paris et termine 13ème au général et 1er de la classe 750. C’est René Bonnet qui lui avait demandé de prendre Laureau avec lui. Il s’en souvient comme d’un excellent pilote, mais aussi d’une grande simplicité et très sympathique, ce que nous, les membres de l’Amicale DB, confirmeront à chacune de nos rencontres avec ce grand pilote DB.

Héchard court en indépendant et René Bonnet ne lui faisait aucun cadeau pour les pièces détachées. Mais André s’était lié d’amitiés avec le chef mécanicien et sa voiture marchait « du feu de Dieu ».

Aux 12H de Reims, il ne peut terminer

alors qu’il se classe 4ème à la Coupe Delamarre-Deboutteville sur le circuit de Rouen.

Mais l’objectif principal de notre pilote Blésois reste les 24H du Mans qui exercent sur lui une véritable fascination.

Pour 1956, le règlement a changé et il doit faire modifier à Champigny sa barquette DB monoplace centrale en une deux places conduite à gauche.

C’est la première année où les régionaux sont admis et il fait appel à Roger Masson, d’Eure-et-Loir, qu’il connaissait bien.

Bien qu’indépendant, René Bonnet accepte que ses mécanos l’assistent. Il y eut cette année là 16 accidents dont celui mortel de Héry (Panhard) au début de l’épreuve.

Finalement, André Héchard se classe 12ème au général et 7ème à l’indice, ce qui est un excellent résultat sous la pluie et pour la première fois.

Pour 1957, Roger Masson avait remarqué le potentiel des Lotus et il réussit a obtenir un contrat avec Colin Chapman. C’est ainsi que Masson et lui partirent en Angleterre à Goodwood pour faire connaissance avec cette fameuse voiture. Sur le circuit, Héchard avait du mal à garder la bonne trajectoire tant cette Lotus était légère. Il sortit de la route sans trop de dommage qu’un phare cassé. C’est à cette occasion que Graham Hill lui dit : « Il ne faut pratiquement pas tenir le volant et ça ira tout seul ! ».

Malgré tout Chapman accepta de confier le volant d’une 1.100 cc aux deux français : il n’eut pas à s’en plaindre sur le plan médiatique puisque tombée en panne d’essence à Arnage, il ramena sa voiture à la poussette pendant 5 km !

Ils termineront quand même 16ème au général et 14ème à l’indice. Exploit pour Héchard qui termine cette terrible épreuve en bonne place et deux années consécutivement.

Fort de cette expérience, Héchard part à l’assaut de l’indice en 1958 sur une Lotus toujours, mais équipée d’un 750cc. Il fut alors victime d’un accident après la 4ème heure suite à la sortie de route, sous la pluie, d’une Aston Martin, qui en rebondissant sur les fascines vint lui boucher la route. Héchard ne put l’éviter et le choc fut impressionnant à tel point qu’on le croyait mort dans le carambolage. Héchard, revenu à pied à son stand trouva sa famille en pleurs !

Ce qui ne l’empêchera pas de s’engager aux 24h du Mans 1959 avec sa DB dotée d’un moteur injection fabrication maison (qui sera monté sur la Fairchild).
Mais André avait besoin d’un moteur neuf. Il alla voir René Bonnet qui accepta à condition qu’Héchard lui monte l’injection sur l’une des DB engagée. A quelques semaines du départ, André Héchard refusa faute de temps. Il se tourna alors vers l’usine Panhard qui, malgré sa promesse, ne le livrera jamais, ne permettant pas à Héchard de prendre le départ.

Déçu, il arrêtera sa carrière de pilote amateur sur ce coup du sort et mettra fin aux angoisses de sa famille qui ne voyait pas d’un bon œil ce père de famille de 47 ans jouait avec sa vie sur des circuits et des voitures très peu sûres.

Il se coupa définitivement de la course et de la voiture ancienne pour se consacrer à… la pêche à la mouche, beaucoup moins dangereux !

Charly RAMPAL (pensée émue pour Pierre Fouquet-Hatevilain qui m’avait fourni ces renseignements)