LE MANS 1962 : LA 10ème ET DERNIERE VICTOIRE PANHARD A L'INDICE DE PERFORMANCE

Dirigée de main de maître par Etienne DE VALANCE, l’équipe Panhard allait aborder cette épreuve décisive pour l'avenir de tous, avec une motivation exceptionnelle.

En Avril, lors des séances d'essai au Mans, en plus de la validation des solutions techniques, il fallut à Etienne faire une sélection de pilotes. Il y avait beaucoup de candidats : des concessionnaires, journalistes, coureurs recommandés par Citroën, BP, etc...

Finalement, c'est sur des pilotes chevronnés qu'Etienne s'appuya, exception faite pour Alain BERTAUT, journaliste certes mais très bon pilote si l'on en croit par la quintessence qu'il tirait des modèles les plus variés qu'il essayait pour le compte de l'Action Automobile ou de la revue Moteur .

Quatre voitures étaient engagées portant les numéros de série : 102, 103, 104 et 105).

La 102 était la voiture suppléante, elle portait le numéro de course, 70.

Quant aux autres, c'est facile ...

- la 103, le numéro 53 : équipage GUILHAUDIN / BERTAUT
- la 104, le numéro 54 : équipage LELONG / HANRIOUD
- la 105, le numéro 55 : équipage BOYER / VERRIER

Plutôt que d'aligner un banal tour par tour, laissons un de ses vainqueurs, Alain BERTAUT, nous raconter son aventure.

" Je dois avant tout exprimer ma grande joie lorsque j'appris que j'étais associé à André que j'avais toujours considéré comme le sprinter de notre équipe. Pour les 24 Heures, Etienne DE VALANCE avait exilé ses pilotes à une trentaine de kilomètres du Mans pour que nous puissions goûter le calme de la campagne, mais avant de me rendre au Mans j'avais pu, grâce à la compréhension de la direction de mon journal, prendre une quinzaine de jours de vacances que j'avais mis à profit pour "recharger mes batteries".
J'arrivai donc en forme au Mans le mardi précédant la course et j'y rencontrai tous ceux qui devaient sans relâche travailler avec un dévouement sans limite à construire notre victoire.

Panhard et les hommes du Moteur Moderne avaient réussi le tour de force de préparer quatre voitures absolument identiques qui firent l'unanimité au pesage sur le sérieux de leur présentation et leur conformité avec l'"esprit" du nouveau règlement quant à la vocation des prototypes.

Le mercredi soir, ce fut la première séance d'essais que j'abordais avec beaucoup d'appréhension. Il me fallait d'une part parfaire ma connaissance du circuit, et d'autre part, "tâter" ma voiture.

André GUILHAUDIN travailla beaucoup à sa mise au point, plus habitué que moi des exigences du Mans, et je dus me contenter de deux petits tours occupés à vérifier les instruments de contrôle qui avaient été installés à bord. Le jeudi soir, au cours de la deuxième séance d'essais, il me fallait me qualifier en tournant six tours de jour et six tours de nuit en-dessous de six minutes.

En fait, calmement et tout en ménageant la voiture, je réussis à descendre de nuit en-dessous de 5'30". J'étais content. André et Etienne aussi.

Mais le gros problème à résoudre dans la journée et la nuit qui précédèrent la course fut celui de la climatisation à l'intérieur de nos berlinettes.

Tous, au cours des essais, nous avions horriblement souffert de la chaleur. Le système d'amenée d'air frais était inopérant et le rayonnement du tunnel dans lequel passait le tube d'échappement était tel qu'in était impossible de laisser la main dessus et à plus forte raison de prendre appui dessus avec la jambe droite. En quelques tours nous étions trempés comme au sortir du bain. Une solution fut trouvée grâce à l'ingéniosité de tous.

Les voitures étaient prêtes enfin dans la matinée du samedi et les visages des mécaniciens ravagés par plusieurs nuits d'insomnie en disaient long sur leur volonté de mettre toutes les chances de notre côté.

A la vérité, alors qu'André sautait dans notre Panhard CD 53 et qu'il avait quelque peine à "décoller" à cause de la première vitesse très longue et la crainte de fatiguer l'embrayage, il ne s'en serait pas trouvé beaucoup pour miser sur nos chances. Nous avions mission de courir pour l'indice alors que BOYER / VERRIER devaient viser l'indice énergétique (et leurs chances étaient certaines) et que LELONG / HANRIOUD devaient se tenir prêts à jouer sur l'un ou l'autre tableau.

Mais, tous dans les stands, au moment du départ, nous avions peur.

Peur que la mécanique ne tienne pas, peur des Abarth, des Bonnet-Renault, des Lotus, de la Ferrari des Rodriguez.

A 19h10 je pris le relais. Rien à signaler.*

André avait régulièrement tourné autour de 5'30" en respectant les consignes que lui avait prodiguées Jacques PICHARD de Moteur Moderne.
Je reçus les mêmes consignes, et je tournai entre 5'35" et 5'40.

Le coucher du soleil me fit beaucoup souffrir à Mulsanne et Arnage et, le pare-brise étant couvert de moucherons, il était pratiquement impossible de discerner les panneaux de signalisation que l'on me passait régulièrement à la sortie de Mulsanne. L'envie me prit de m'arrêter pour mettre un terme à ma situation d'aveugle, mais je pensais qu'il valait mieux perdre quelques secondes par tour que d'immobiliser la voiture plusieurs minutes. Enfin le soleil disparut derrière le faîte des pins et j'y vis plus clair.

L'on me passa le panneau "Ravitaillement trois tours". Je m'arrêtais. J'avais couvert 36 tours en 3h30. C'était long, mais nous misions sur notre faible consommation (moins de 11,5 litres aux 100 km à 145 de moyenne) pour espacer au maximum les ravitaillements et gagner ainsi un temps précieux.

Vers 22h40 je passais le relais à André en lui signalant qu'une Masérati avait perdu son essence dans les S du Tertre Rouge et qu'une vibration dans le train avant me donnait de l'inquiétude bien qu'elle ne s'amplifiât pas.
Les relais se succèdent au rythme de la consommation calculée avec précision par Etienne De Valance

Je me réfugiais près de la camionnette-restaurant que René COTTON (le chef de l'équipe Citroën pour les rallies) avait installée à proximité de notre stand et sa femme me servit un copieux dîner.
Puis je goûtais quelques heures de repos, allongé dans une ID 19. A 2h15 du matin, mon tour revint de "reprendre le manche". André était satisfait. Seule la deuxième vitesse avait tendance à sauter.
Il suffisait de la tenir d'une main et de virer de l'autre. Ce relais m'amena au lever du jour et j'eus droit au supplice du soleil levant qui nous aveuglait dans la plongée vers les S du Tertre Rouge.

Lorsqu'André reprit le volant à 5h45,

la voiture tournait toujours comme une horloge et nous reçumes de nouvelles consignes pour économiser davantage encore notre mécanique. On m'a fait dire dans un journal que "jamais nous n'aurions gagné si la Bonnet-Renault de mes amis LAUREAU / ARMAGNAC n'avait été immobilisée longtemps ç la suite d'une panne stupide". Rien n'est plus faux. Il y aurait eu du moins une très dure bataille pour laquelle nous étions prêts. Notre voiture était fraîche. Jamais nous n'avions eu à lui demander le maximum et nous avions toujours su garder de nombreuses secondes "sous le pied". Alors qu'André pilotait, on lui signala l'abandon de la Fiat-Abarth 56. Nous prenions donc la tête du classement à l'indice.
Je ne pouvais pas y croire tandis que j'effectuais mon dernier relais. J'économisais la voiture au maximum pour qu'André puisse, plus tard s'il en était besoin, disposer de tous les atouts nécessaires. Mais notre principale rivale, la Bonnet-Renault de LAUREAU / ARMAGNAC, comptait plus de trois tours de retard et nous savions que, tout en continuant à tourner sagement, nous pouvions lui concéder une bonne quinzaine de secondes par tour. J'écoutais les moindres bruits. Jamais je n'ai eu autant peur de faire une faute de conduite.

Inlassablement la petite Panhard CD des futurs vainqueurs engrange les kilomètres. Il faudra remonter au classement puis tenir tête à la René Bonnet plus rapide. Mais le plan de course sera parfait. Le Mans reste une course d’endurance alliant vitesse, longévité, sens tactique, économie de conduite et de mécanique. Depuis le début des années cinquante, Panhard accumule les victoires dans les courses internationales. Ce n’est pas un hasard. Le bi-cylindre tire sa révérence par une 10ème victoire à l’indice de performance : la plus probante.

Une page sera tournée… bientôt les petites cylindrées, mêmes performantes, n’auront plus droit de citer. Place à la puissance brute.

La mécanique Panhard aura marqué de son sceau l’épreuve mancelle
Les freins donnaient des signes de lassitude.
Pourtant tout continuait d'être normal à bord. Il faisait une chaleur accablante mais à chaque tour de roue le but se rapprochait, de moins à moins inaccessible, de plus en plus immense.

A 12h40 André sauta dans la voiture pour le dernier relais. J'avais fini ce que l'on avait attendu de moi et c'est sur les épaules d'André que reposait notre destinée.

Alors, pendant ces trois dernières heures, ce fut l'attente interminable, terrible épreuve pour les nerfs. Dieu, que les minutes me semblaient longues!

Accompagné de ma femme, je me réfugiais à la "popote" de la direction de course où je retrouvais mes amis Pierre ALLANET, Jacques LOSTE, et les commissaires qui me prodiguèrent leurs encouragements. J'en avais besoin.

Une soif tenace me dévorait la gorge et toutes les cinq minutes et demie j'attendais le bruit familier du deux cylindres de la 53.

André passait régulièrement et, tour après tour, l'heure fatidique arriva, m'inondant de joie.

Nous avions gagné!

Instant formidable d'intensité où se mêlait le plaisir immense de la victoire pour André, pour moi, mais surtout pour la marque qui nous avait fait confiance et dont nous partagions depuis des semaines les espoirs et les crainte, pour nos mécaniciens ivres de fatigue, pour Charles DEUTSCH, Jean BERTIN et Lucien ROMANI sans qui cette voiture n'aurait pas existé en si peu de temps.
Tous nos amis nous entourèrent, nous prodiguant des félicitations chaleureuses.
Je n'oublierai pas la minute où je me trouvais avec André aux côtés de PHIL HILL , de GENDEBIEN , de Jean GUICHET et de Pierre NOBLET sur le podium.

Quelques instants plus tard, M. Paul PANHARD se tenait à mes côtés pour écouter , terriblement ému deux fois la "Marseillaise" que nous étions heureux de lui offrir.

Si vous me demandez si je suis content, je vous répondrai que oui : d'avoir gagné avec un camarade qui est devenu un ami après nous être voué une confiance réciproque et totale, mais surtout d'avoir vu la joie profonde de tous ceux qui m'ont aidé et conseillé dans cette entreprise que, jusqu'au dernier instant, j'ai cru au-dessus de mes forces".

L'indice de performance fur remporté à 142,793 km/h de moyenne après avoir parcouru 3427 km.

Les 2 autres CD engagées n'eurent pas la chance de terminer :

- la 104 (n°54) abandonna à la 8ème heure. Après le ravitaillement, le pilote ne respecta pas les consignes et dès le deuxième tour voulu reprendre la cadence normale; dans la courbe du Tertre Rouge il; mit la voiture sur le toit.

- la 105, prit le départ avec une carburation pauvre car elle devait viser l'indice ENERGETIQUE, eu des ennuis de moteur et abandonna à la 14ème heure.

Bertaut et Guilhaudin partageront la joie du podium avec l’équipage vedette de Ferrari : Phill Hill et Olivier Gendebien.

Avec eux, Jean Panhard, Etienne de Valance et Charles Deutsch récoltent eux-aussi les fruits d’un parfaite collaboration. Après le choc de janvier et la séparation de Deutsch et Bonnet, il fallait relever le défi. Encore un pari gagné par Etienne De Valance qui a su convaincre une fois encore la Doyenne toujours d’avant-garde. Une fois encore Etienne mettait sa « tête sur le billot », la victoire n’en est encore que plus savoureuse et grandiose.

Un résumé de l'épreuve en image :

Charly RAMPAL (d'après mon livre "Les CD de Charles DEUTSCH")