LE MANS 1954 : DB EN FORCE

Comme dans la plupart des grandes compétitions, l’attention des spectateurs des 24h du Mans se porte principalement sur les ténors de grosses cylindrées susceptibles de gagner à la distance : course la plus facile à suivre.

Mais c’est aussi dans les catégories de moyenne et petites cylindrée que la bataille s’est révélée passionnante.

Dans la catégorie des ténors, la lutte entre les Ferrari et le Jaguar fut intense, c’est néanmoins la voiture italienne qui remporta le challenge.
Passons sur la catégorie 2 à 3 litres qui vit la victoire de la 2,5 litres Gordini après la disparition des Aston-Martin qui devrait lutter pour la victoire à la distance.

En 1500 cm3, comme en 1.100 cm3, la lutte se circonscrivait entre les roadsters Porsche et les deux tanks OSCA. La bataille fut de toute beauté et finalement c’est une Porsche qui l’emporta dans les deux catégories.

C’est donc dans la catégorie 750 cm3 et la bataille pour la victoire à l’indice qui nous intéresse sur ce site dédié à la mécanique Panhard.

La N°51 de Lucas / Heldé, la N°64 de Storez / Vidilles et la N°52 de Azéma / De Burnay

Plusieurs clans s’affrontaient. Chez DB trois voitures possédaient un moteur Renault à l’arrière et deux voitures à moteur Panhard à l’avant. Trois voitures avaient été préparées par la maison Panhard et possédaient des carrosseries – deux ouverte et une fermée – dessinées par l’ingénieur Riffard : on notait en outre, la présence de deux Panhard Monopole 3 cv, un tank Renault, une VP à moteur Renault, un coupé construit par des régionaux et enfin une Nardi à moteur Crosley.

Au cour de la première heure, deux des DB Renault, le coupé Panhard n°60,, la Panhard Monopole n°61 ainsi que la Nardi, abandonnèrent pour des raisons diverses.

C’est la DB Panhard n°56 prenait la tête…

… suivie par la DB-Panhard n°59 de Cotton / Beaulieu, puis une DB-Renault,, la Panhard des frères Chancel, la DB-Panhard de Bonnet / Bayol et la VP.

A la troisième heure les positions s’affirmaient et c’était la DB-Panhard de Bonnet / Bayol qui prenait la première place de la catégorie pour la garder d’ailleurs jusqu’à l’arrivée, suivie par la voiture des frères Chancel et de la DB de Gignoux / Cornet.

Mais à l’indice de performance, la Panhard n°58 se détachait bientôt d’une manière irrésistible, accomplissant certains tours à 140 km/h de moyenne, performance presque incroyable pour un moteur de 610 cm3.
On la voit ici au moment du pesage :

Et sa maquette :

Malheureusement, cette course splendide devait se terminer le lendemain matin à 8h04 par le bris d’une soupape et René Bonnet réalisait la très belle performance de remporter à la fois l’indice et la catégorie à 134 km/h de moyenne.

Des mains se tendent vers Bonnet et Bayol, les autres palpent la séduisante carrosserie de leur vaillante DB bleue. Victoire de l’artisan sur les riches constructeurs : un rêve caressé depuis toujours enfin réalisé !

C’est une victoire bien française à l’indice de performance, cette sourde bataille ingrate et non-spectaculaire, plus probante en technique que toutes les autres mais victoire humaine aussi !

Crânement installé à la 10ème place du classement général, la DB de 745 cm3 se classe bien avant des 1.100 et des 1.500 cm3, ce qui ne s’était jamais vu au Mans !

LE TRAVAIL DE TOUTE UNE EQUIPE

Et pourtant que d’efforts à fournir pour cette petite équipe animée par Deutsch et Bonnet. Des efforts de toutes sortes… et sans moyens financiers. Mais quelle satisfaction de constater que cette DB dotée d’une ligne harmonieuse, a forcé l’admiration par son exemplaire tenue de route, grâce à des amortisseurs Houdaille et à ses pneus Dunlop fabriqués à Montluçon.

Bonnet et son équipe avait le souci d’étudier avec soin les moindres détails en vue de tirer le maximum des moteurs de petites cylindrées qui sont à la base de ses réalisations.
Cette année 1954, Bonnet avait essayé de trouver la solution idéale en matière de voiture de sport.
Deux voitures sont à traction avant avec moteur Panhard dans la tradition des voitures DB avec des améliorations, en particulier de carrosserie, ne serait-ce que pour exploiter les possibilités offertes par la nouvelle réglementation concernant les phares. L’une des deux voitures est équipée d’un compresseur assurant une suralimentation à basse pression. Ainsi les DB Panhard se différenciaient déjà entre elles.

Trois voitures à propulsion arrière et mécanique Renault. Deux d’entre elles montrent une importante dérive centrale dans le prolongement de l’appui-tête du pilote. Les 5 DB sont à conduite centrale. La troisième ne présente pratiquement pas de dérive. Pour les deux premières, le radiateur est à l’arrière. Pour la troisième, le radiateur est à l’avant.

C’est surtout l’opposition entre ces deux types de voiture qui est intéressante. Opposition également au niveau de l’aérodynamisme étudié par Charles Deutsch qui oppose voitures à dérive ou sans dérive. D’après les pilotes, la faveur va au modèle sans dérive qui favorise la visibilité vers l’arrière, important pour une petite cylindrée qui doit se faire doubler de nombreuses fois en 24h, mais aussi par les remous d’air parasites sur la dérive verticale au moment des dépassements, obligeant le pilote à corriger les déviations de trajectoires. La théorie pure se trouve alors en opposition avec les utilisateurs.

Si l’on considère le classement dans cette catégorie, la victoire des moteurs Panhard sur les moteurs Renault fut écrasante bien que les DB-Renault se soient révélées très rapides au contraire de la VP Renault n°54 qui se fit distancer par la 3cv Panhard n°59 malgré la consommation étonnante de cette voiture en huile et en bougies !

LE BILAN

Au lendemain de sa victoire au Mans, René Bonnet qui avait passé plus de douze heures au volant de sa barquette, s’était accordé quelques jours de repos. Car préparer 5 voitures ne fut pas chose facile : « pendant les 3 dernières semaine tout le monde a été sur le pont chez nous, raconte Bonnet, Quand ils en eurent terminé avec leur épure, les ingénieurs et dessinateurs sont passés à l’atelier. C’est vraiment la victoire de toute l’entreprise et je crois que maintenant toute l’usine est regonflée pour un an ! »

Bonnet avait encore en tête sa mésaventure du Mans 1953 que je vous ai racontée et cette victoire, il l’apprécie encore plus.

« Vers 7h le dimanche matin, quand j’ai passé le volant à Bayol, poursuit Bonnet, nous étions second à l’indice derrière les frères Chancel. Nous avons fait le point dans les stands car vous pensez bien qu’on n’attend pas l’arrivée de la feuille horaire des organisateurs pour savoir où on en est. Nous avons chronométré les tours de nos plus dangereux concurrents.
Nous avons montré à Bayol notre panneau « + » pour lui demander d’accélérer, bien que la route fut mouillée. Bayol appuyait et le tour suivant améliorait son temps de 10 secondes. Il atteignait sur la ligne droite des Hunaudières 170 km/h en vitesse de ponte !
Trois tours après, Chancel, que nous surveillons également, faisait le meilleur temps que nous lui ayons chronométré. Nous reprenions cependant 4 secondes au tour. Après que notre adversaire le plus direct ayant des ennuis de soupapes eut du abandonner, restaient la Monopole et la Jaguar : nous redoutions d’avantage la seconde que la première. Si les anglais avaient fait les temps qu’ils avaient réussis aux essais, ils étaient imbattables. Mais les conditions atmosphériques empêchaient ces performances. C’est bien sur la piste et grâce à notre vélocité que nous avons gagné améliorant notre record à l’indice de l’an dernier. »

C’est dans les quelques virages du circuit de la Sarthe que les DB grâce à leur remarquable tenue de roue, purent prendre l’avantage sur les grosses cylindrées.
« C’est ça la pilotage, conclut le bouillant pilote marseillais. Autrement, il n’y aurait plus qu’à faire courir les voitures dans une gouttière. »
Et Marc Gignoux confirme : « Je répète toujours à nos jeunes pilotes que le principal dans une course, c’est de rester sur la route ».

Quels enseignements à tirer de ces 24h, René Bonnet ?
« Nos nouvelles carrosserie avec leur centre de gravité plus bas et une meilleure pénétration ont donné toute satisfaction. Sur le plan mécanique gros progrès en carburation grâce à un nouveau montage effectué d’ailleurs en collaboration avec la Maison Solex et que nous avions essayé aux Mille Miles. Nous y avons gagné en vitesse.
Mais tout en allant plus vite, notre consommation est passée à 12 litres aux 100 contre 17 litres l’an dernier ! ».

Mais si les deux Panhard sont arrivées, il n’en aura pas été de même des trois Renault de l’Ecurie. A quoi est dû cet échec ? René Bonnet veut être franc :
« C’est à la demande de plusieurs clients que nous avons décidé d’équiper certaines de nos voitures de moteurs 4cv. Nous espérions beaucoup de cette mécanique qui a fait maintes fois ses preuves. Il faut considérer que nous avons été pris de court dans la préparation. Par le fait des défections, nous avons présenté au départ une voiture qui n’était d’abord que remplaçante. Cependant, nos DB Renault étaient au moins aussi rapides que les autres voitures de ce type présenté au Mans.
Les pépins enregistrés (ennuis de levier de boite de vitesses ou de fixation de flasque de roues) étaient des pépins de prototype, auxquels des essais plus longs auraient certainement permis de remédier.
Il est évident également que nous n’avons pas encore acquis sur Renault l’expérience que nous avons sur Panhard. Mais nous sommes certains que l’on peut obtenir avec cette mécanique, des résultats remarquables. »

Pour René Bonnet et DB cette victoire annonce le début d’une grande série de succès au Mans.

LE RÉSUME DE CE MÉMORABLE WEEK-END EN IMAGE :

Charly RAMPAL