LIEGE-SOFIA-LIEGE 1961
LIEGE-SOFIA-LIEGE 1961 EN PL17
Avec l’équipage Algérois : GRAZIANI – COTTET
Quand à l’issue d’une réunion de l’Ecurie Alger, l’hiver 1961, Cottet proposa à Grazziani son ami et co-pilote « On fait Liège ? », il s’entendra répondre « Si tu veux », ils ne soupçonnaient pas l’énormité de la tâche à accomplir !
3.500 Km d’ornières, de chemins défoncés, de routes en lacets, de descentes incertaines.
4 jours et 4 nuits passées à lutter contre le chronomètre, à s’élever au-dessus de la défaillance physique, à redouter la panne mécanique, l’engourdissement aux conséquences incalculables de paupières trop lourdes parce que trop éprouvées.
Dans l’esprit de la plupart des provinciaux du volant, chantent les titres prestigieux d’épreuves célèbres telles « Le Tour de France Auto, Liège-Rome-Liège, le Tour de Corse ou Alger-Le Cap ». Ces mots finissent par devenir une véritable obsession qui masque l’aspect réel de l’épreuve elle-même et ses difficultés techniques, physiques et… financières.
Depuis 5 ans déjà, « Liège-Rome-Liège » avait pris l’habitude de ne plus descendre jusqu’à Rome et de s’aventurer de plus en plus profondément en Yougoslavie. Cette épreuve se veut une épreuve d’endurance dans laquelle la route demeure le juge suprême et dans cette contrée, l’aspect « sauvage » de ces voies de communication ne manque pas !
Des difficultés naturelles d’un parcours qui, presque sur toute la totalité du passage Yougoslave, s’apparente plus aux pistes du Safari qu’aux itinéraires de nos rallyes traditionnels, les organisateurs ont accumulé une série d’embûches artificielles : resserrement des horaires, inversion d’étapes trop connues etc… Peu de voitures triompheront de cet enfer mécanique.
Pourtant, sur la foi d’un Liège-Rome-Liège précédent, auquel Cottet participa, notre équipage s’attacha à la préparation au fur et à mesure que le temps passait.
LA MECANIQUE : ROYAUME DE GUY COTTET
Avant de connaître le nouveau règlement qui se promettait d’être une refonte complète, nos deux compères se lancèrent dans la préparation mécanique et financière de l’aventure.
La mécanique était évidemment la partie de Guy Cottet, puisque chef d’atelier Panhard, c’était donc Grazziani qui allait s’occuper du financement et de la paperasse chose qui n’était pas la plus facile !
L’année précédente Cottet avait accompli 700 km en Yougoslavie au cours du Liège-Rome-Liège.
En cette année 1961, M. Garrol, patron du Royal Motor Union de Liège et ses innombrables collaborateurs, décidèrent de laisser uniquement à la route, le soin de faire une sélection au sein des participants. Pour ce faire, la partie, disons « Europe civilisée occidentale » fut délaissée au profit des routes, sentiers, pistes et autres de Yougoslavie et Bulgarie.
Et là, sera leur première erreur : celle de comparer l’intrusion en Yougoslavie de Cottet sur 700 km en 1960 aux 2.700 km de montagne à accomplir dans le sud de ce pays.
En effet, la préparation de la voiture était largement suffisante quant à sa protection d’organes essentiels pour un périple court, ne l’était plus pour cet énorme parcours. Ils auraient du faire appel aux connaissances des Rallymen du Cap, tels Buchman et Simian, car Liège-Sofia-Liège s’apparente étrangement à ce genre d’épreuves.
Il n’en reste pas moins que mécaniquement, la voiture fut admirablement préparée Aucun organe ne fut négligé. Cottet monta une boite de vitesses aux rapports très courts parfaitement adaptée aux difficultés rencontrées, et pas une seule fois, ce merveilleux bicylindre qu’et Panhard ne les laissera en attente des chevaux qu’il ne cessa de leur distribuer généreusement.
Craignant les longs parcours des autoroutes allemandes et italiennes qui favorisent les régimes élevés, Cottet monta une surmultipliée longue qui permettait au moteur de souffler sur ces longues lignes droites.
La suspension fut évidemment soignée et là, réside une deuxième erreur qui devait leur couter cher.
Des amortisseurs durs furent montés sur la Panhard, afin d’absorber les très gros chocs, malheureusement les très gros chocs furent rares, les petits trous et les bosses moyennes furent dominantes durant tout le parcours. Les coups provoqués furent absorbés uniquement par les pneus et les amortisseurs durs, très fidèlement, retransmirent à notre carrosserie tous ces accidents du terrain, d’où des souffrances excessives des enveloppes et de la tôle.
Pour consolation, leur erreur n’était pas un fait isolé puisque elle fut générale à la plupart des concurrents et causa la moitié de l’hécatombe de cette année 61.
Il aurait fallu laisser sur la Panhard les amortisseurs d’origine plus doux et les changer dès leur premier signe de fatigue. Expérience payée très chère puisqu’elle leur coûta le Rallye !
Le moteur fut très légèrement gonflé et l’alimentation, après quelques tâtonnement un peu enrichie (gicleurs de 150 – 100 au lieu de 145 – 100)
Le dessous de la voiture fut protégé par une tôle épaisse qui s’avéra très efficace, car de très nombreuses fois les frottements leur coupaient la respiration en signe de crainte maximale.
Le choix des pneus se porta sur les fameux V10 Kléber de l’époque, qu’ils réussirent à avoir à la dernière minute grâce à M. Vayre d’Alger qui arriva à leur procurer aux dimensions de la PL17 (145 x 380), car ces pneus venaient à peine d’être créés par leur dessin et leur texture. Ils donnèrent à la voiture une tenue absolument prodigieuse.
A cette énumération technique succéda une préparation « confort ». Car malheureusement ou heureusement, à cette époque les voitures se conduisent et aucune assistance n’est là pour compenser vos faiblesses ou masser votre dos !
Des sièges de 2cv très souples et très légers seront montés et garnis complètement de mousse de caoutchouc de 8cm d’épaisseur.
Le plancher sous les pieds bénéficia de la même application de mousse ainsi que tous les endroits où leurs malheureux os risquaient d’entrer en contact avec du dur !
Aussi, la PL17 présentait l’aspect étrange d’un écrin. Le siège du passager fut bien entendu transformé en couchette avec à son extrémité, un énorme oreiller.
Mécaniquement, la Panhard ne connaitra aucun soucis au contraire des suspensions.
A 500 km de l’arrivée, des chocs sourds à l’arrière expliquent soudain le comportement bizarre de la voiture. Cottet descend en voltige et tristement constate que les attaches des amortisseurs ont cédé ! Impossible désormais de dépasser le 60 km/h sur une telle route sans risques très graves.
Le rêve se termine, car ils ne peuvent plus passer dans les temps. Split, la prochaine ville étape leur parait d’un seul coup terriblement éloignée.
Ils sont alors obligés d’adopter une allure de touristes nonchalants, bercés par l’incroyable tangage de la voiture livrée à sa seule barre de torsion à l’arrière, alors que le moteur est toujours aussi alerte à monter en régime.
C’est un horrible moment de dépression avec des larmes qui viennent troubler leur vision.
Ils passeront leur dernière nuit yougoslave à Sibenik, face aux îles, dans un hôtel tout neuf encore friand de touristes, car la sale route rebute les visiteurs.
Puis ce sera la fuite vers Trieste et l’Italie sur une route impeccable où leur pauvreté en bons d’essence yougoslave les oblige à terminer ce Marathon en épreuve « d’Economie Run » : ils vont réussir 182 km avec 10 litres !
Le Marathon 61 est fini, gagné par Lucien Bianchi, le plus gentil Belge qui soit.
Hui voitures seulement à Liège sur les 87 au départ ! Et compte tenu des pénalisations, la place de la Panhard était la 6ème !
Certains penseront « quelle folie !». Peut être… Mais alors comment expliquer les projets de préparation avec Cottet, une heure seulement après leur abandon, encore ivres de fatigue, projet précisément qui concernait l’engagement de la Panhard pour le Liège-Sofia-Liège de 1962 ?
Cette expérience, si chèrement acquise, ne peut rester sans futur…
Charly RAMPAL