Pendant les 4 années d’occupation allemande depuis la défaite de juin 1940, il était interdit aux ingénieurs et industriels français de travailler pour d’autres programmes que ceux destinés aux besoins pléthoriques du régime national-socialiste d’outre-Rhin.

Pendant cette triste période cela n’empêcha pas de nombreux industriels de l’automobile de réussir à construire – non sans mal et en prenant des risques, dont le moindre était l’emprisonnement – des prototypes préfigurant les modèles que nous verrons apparaitre après la guerre.

 L’un des principaux, et certainement le plus génial, fut l’ingénieur J.A. Grégoire apôtre et concepteur de la « traction-avant ».

Ainsi, dès 1925, il créa avec P. Fenaille la « Tracta » avec laquelle il remporta de brillants succès en course, et plus spécialement aux 24 Heures du Mans.

Cette marque devint en 1927 la 1ère marque du monde à produire des tractions avant pour la clientèle particulière : on se rend compte aujourd’hui, combien cette invention a fait de petits !

A la suite J.A. Grégoire céda la licence aux sociétés allemandes D.K.W. en 1929, puis Adler en 1931, avant les marques françaises Citroën et Chenard en 1934.

Puis, en 1937, ce sera l’Amilcar « Compound » qui était de plus, construite autour d’un « châssis-carcasse » : autre cheval de bataille de J.A. Grégoire.

Même la célèbre « Jeep » américaine de la Seconde Guerre Mondiale était équipée de joints « Tracta » à son train avant.

C’est à la suite d’une proposition du président de l’Aluminium Français, à la fin de 1940, Jean Dupin à J.A. Grégoire que celui-ci releva le défi : « Voulez-vous étudier et construire des prototypes d’une voiture populaire française ? »

Dès janvier 1941, J.A. Grégoire s’entoura des meilleurs ingénieurs, chacun  dans leur domaine et ils se mirent au travail, dans la clandestinité !

On connait la suite : un cahier des charges draconien qui aboutira à la réalisation de l’AFG, petite voiture légère tout en en aluminium et équipé d’un petit bicylindre refroidi par air.

Je reviendrai dans un futur article sur cette géniales réalisation pleine d’innovations pour notre futur automobile.

QUELS ONT DONC ETE LES PREMIERS RAPPORTS ENTRE GREGOIRE ET PANHARD

Abandonnée par Pigozzi et ses Simca, le projet fut proposé à Panhard pour en sauver l’entreprise habituée à réaliser des modèles de luxe.

C’est au début de 1943 que Panhard effectua des essais concluants de l’A.F.G. qui aboutiront en 1946 au lancement d’un modèle étroitement dérivé de ce prototype : la Dyna X.

La gestation de la Dyna ne s’effectua pas sans de sérieux problèmes entre Paul Panhard et J.A. Grégoire.

Le patron de la marque doyenne avait conservé la mentalité des constructeurs du début du 20ème siècle.

Vers 1945, une visite de l’usine de la Porte d’Ivry suffisait à le montrer.

Le bâtiment était sillonné d’étroits couloirs sombres aux parquets cirés, véritable patinoire !

En tournant les boutons de portes brillants comme de l’or, on pénétrait dans des bureaux désuets aux murs couverts de gravures automobiles de l’époque héroïque.

J.A. Grégoire et cet homme d’une autre génération eurent bien du mal à s’entendre.

Paul Panhard avait à ses côtés un de ses fils, Jean Panhard, polytechnicien d’une trentaine d’années, intelligent, ouvert et sympathique.

C’est sur son influence et celle d’un excellent ingénieur plein de bon sens, Perrot, qu’ils décidèrent le patron à construire une petit voiture pour l’après guerre.

Le directeur du bureau des études, Fauchères, l’ingénieur en en chef, Delagarde, et le carrossier Bionnier, représentaient le triumvirat sur lequel était posé l’édifice.

Lorsqu’en 1943, J.A. Grégoire, mit à leur disposition ce prototype A.F.G., les travaux que le bureau des études avait entreprit dans le même sens d’une voiture populaire, n’en était qu’au stade d’avant-projets, alors que l’A.F.G. roulait depuis deux ans : que de temps de gagné !

PANHARD DOIT-IL PRENDRE L’A.F.G. ?

Jean Panhard et Perrot sont pour, les techniciens maison contre !

Après un essai décisif les 19 et 20 octobre 1943 que J.A. Grégoire réalisa avec Jean Panhard et son mécanicien, Gourlaouen, sur Paris / Brassac-les-mines et retour, Paul Panhard trancha. : il adopte l’A.F.G.

 Cette excellente décision va mettre Panhard dans le club fermé des grands constructeurs : Ouf !

Place à l’administratif :

Le 27 octobre 1943, Jean Dupin, président de l’Aluminium Français, confirme dans une lettre à Paul Panhard qu’il lui donne la liasse des dessins de l’A.F.G. avec le droit de s’en servir sous réserve que le constructeur signe un accord avec J.A. Grégoire pour rémunérer ses droits d’auteur.

Paul Panhard remercie alors Jean Dupin dans une lettre du 29 octobre 1943.

Si le vieux constructeur possède une mentalité d’un autre temps, il manifeste une caractéristique aussi vieille que le genre humain : le sens aigu de son intérêt !

 Il demande à Dupin le droit exclusif de construire la voiture en France : Jean Dupin ne répondra jamais sur ce point, nourrissant d’autres ambitions.

Le 22 septembre de cette même année, J.A. Grégoire remettait à Panhard un prototype A.F.G. en parfait état qu’il ne sera rendu seulement deux ans plus tard.

Lorsque Paul Panhard avait pris la décision de partir du proto A.F.G., il connaissait parfaitement l’intérêt que portaient les pouvoirs publics à la réalisation de J.A. Grégoire : ce fut l’une des raisons de sa décision.

Grâce à la pressante intervention de J.A. Grégoire, le ministère de la Production industrielle accorda à Panhard, dans une convention du 8 décembre 1943, une subvention de 500.000 F pour aider la doyenne à « effectuer l’étude et la préparation en série de la petite voiture Aluminium Français Grégoire ».

Résultat très positif : non seulement Panhard obtint gratuitement le droit de construire un modèle parfaitement au point, mais il empoche en plus une subvention, et réussit du même coup à se faire inscrire dans le plan quinquennal de Pons = bien joué !

Enfin, Paul Panhard obtiendra que les ingénieurs de J.A. Grégoire et lui-même, lui apporteront les conseils nécessaire à l’exécution de son programme.

Entre temps, Panhard et J.A. Grégoire régleront par un échange de lettres, le 10 février 1944, la rémunération de l’important apport technique de Grégoire.

Une redevance assez élevée, versée pour chaque voiture et qui se monte pour la première tranche annuelle à 3 F pour 1.000 sur le prix de vente client.

Cette redevance n’est payable que sur les 30.000 premiers véhicules. Gratuité pour les véhicules suivants.

Néanmoins Panhard pourra modifier le modèle et en particulier le bloc moteur à sa convenance.

C’est au Salon de 1946 que Panhard expose la Dyna qui ressemble à l’A.F.G. et qui provoque aussitôt un vif intérêt.

Si cet air de famille est certain, il existe pourtant des différences techniques importantes et principalement le moteur dont le style dépend du tempérament de son créateur : Louis Delagarde.

LE VILEBREQUIN DELAGARDE EN QUESTION

 Véritable bouillon d’idées de génie, Louis Delagarde ne connait cependant pas bien les servitudes du prix de revient qui dominent la grande série. 

Son soucis de perfectionnement est certes louable, mais dangereux au détriment de la simplicité et des qualités pratiques.

Le directeur des études, Fauchères, ne possède pas la valeur pour canaliser Delagarde, beaucoup plus savant que lui.

En fait, il manque dans cette affaire un grand patron qui, sans être technicien, pourrait corriger et canaliser les idées trop avant-gardistes de Delagarde.

Comme l’A.F.G., le moteur de la Dyna est un bicylindre opposé refroidi par air.

Panhard désire le pousser et lui donner une vocation sportive.

Or, il connait les inconvénients de la couche épaisse de régule sur les têtes de bielles qui risquent de couler à des rotations élevées.

Le moteur de l’A.F.G. utilise des coussinets minces rapportés comportant quelques dixièmes de régule, alors utilisés aux Etats-Unis à cette époque et qui permettent de tourner à de hauts régimes.

Aujourd’hui, les coussinets minces sont employés sur tous les moteurs fabriqués dans le monde et même ceux des Formule 1 et leur 15.000 t/mn.

A contre-courant Delagarde monte va monter son vilebrequin et ses bielles    sur roulement à rouleaux : solution compliquée et couteuse.

Aujourd’hui encore la polémique fait rage au sein des clubs pour faire réparer ces vilebrequins et où chacun se targue de posséder LA solution miracle.

Pour J.A. Grégoire, ce vilebrequin a trois inconvénients majeurs :

  • Le montage sur rouleau est bruyant.
  • La consommation d’huile importante : il faudra attendre des années pour rendre cette consommation tolérable.
  • L’impossibilité de réparer : lorsqu’un roulement à rouleaux est détérioré (pas usé !), il faut tout remplacer, bielles, vilebrequin et roulement.

Enfin, nous panhardistes, quand on aime, on ne compte pas ! Mais combien de moteur ont été abandonné sans solution de réparation que celle de l’occasion ?

Delagarde lui-même reconnaissait que les premiers embiellages ne tenaient pas 10.000 km ! Et alors, il fallait tout changer.

Il en sera de même pour les barres de torsion pour rattraper les soupapes : Panhard les aime tant depuis son utilisation pour ses suspensions (Dynamic depuis 1937).

Alors, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !

Il y aura aussi  la question des boites de vitesses, trop petites et teindront mal pendant des années en ayant toujours un moteur de retard et qui fera une bien mauvaise réputation à notre marque.

Au niveau des suspensions arrière aussi : Delagarde la veut à barres de torsion. Ok, mais pourquoi 3 par roue, soit 6 au total, alors qu’on se contente toujours d’une seule par roue !

Des solutions compliquées et donc couteuses : c’est évident mon cher Watson ! Mais c’est peut-être pour cela que nous aimons nos Panhard.

Tout ceci pour montrer le gouffre énorme entre l’A.F.G. et la Dyna dont le prix de revient mettra Panhard sur la paille dès 1955.

LA CARROSSERIE BIONNIER

Côté carrosserie, Bionnier veut donner à la caisse sa touche personnelle.

Il aime les lignes rondes et molles. Bionnier rejette la rectiligne du style Empire, il donne dans le Louis XV, dont elle gardera le surnom.

Bionnier arrondit toutes les lignes, celle du toit, celle de la pointe arrière, celle de la plage avant, celle du capot. Mais il y est obligé car contrairement à l’A.F.G. la Dyna est une 4 places qui l’oblige à surélever le toit.

J.A. Grégoire dira d’elle qu’elle ressemble comme une sœur à l’A.F.G., mais une sœur atteinte de cellulite !

La Dyna commence donc à sortir en 1947 avec une carrosserie « tout-alu » fabriquée par Facel-Métalon.

Elle pèse 560 kg, soit 110 kg de plus que l’A.F.G. (en deux portes il est vrai).

Mais le moteur de la Dyna compense largement cet excédent de poids. Plus nerveuse que l’A.F.G., la Dyna dépasse le 100 km/h.

Mais d’autres qualités comme la tenue de route la rapprochent de l’A.F.G. et la Dyna sera un référence pour son époque et pour les sportifs en particulier.

Charly  RAMPAL  (d’après les documents Panhard et les mémoires de J.A. Grégoire)

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