LE TANK DB DE 1953 : CELLE DE JEAN PAGES

Dans la rubrique « les Hommes », je vous ai raconté l’histoire de Jean Pagès et l’amitié que je lui portais. A ce titre, j’ai eu la chance de piloter sa voiture sur le circuit Bugatti lors d’un Grand Prix Historique le 27 mai 1995, auquel participaient des autres mécaniques Panhard, Jean Vinatier sur la barquette DB 1961, Alain Bertaut et André Guilhaudin sur le CD du Mans, sorti du Musée pour l’occasion, Jean Favarel sur son coach DB qu’il partageait avec Gérard Dantan. Je devais piloter avec Jean Pagès, mais celui-ci déjà très malade ne put tenir le volant.

Jean Pagès avait conservé sa barquette dont je vous ai parlé dans mon article que je lui ai consacré.
Le moteur qu’il voulait dans sa configuration d’époque, avait été reconditionné sur mes conseils par Bernard Coural. La voiture avait été restaurée de fond en comble et dans les règles de l’art.

LE CHASSIS :

LA CARROSSERIE TOUTE EN ALUMINIUM :


Elle était donc dans un état de fraîcheur remarquable.

Si l’on se fie à la carte grise, cet HBR serait l’une des deux barquettes engagées au Mans 1954. Elle aurait été fabriquée en 1953 et aurait participé cette même année à l’épreuve mancelle.
Difficile de définir des hypothèses puisque les fiches du Mans ne comportaient pas les numéros de châssis.
Il n’empêche que certains détails laissent à penser que la barquette de Jean est bien l’une des sarthoises.
Jean me disait : « j’ai l’impression que cette voiture a été construite pour les courses sur route. Elle était légèrement différente. Il n’y avait pas de réserve d’huile pour les grands parcours, le déflecteur derrière le moteur n’était pas le même.

La batterie était dans le capot moteur au lieu d’être au pied du passager.
Lorsque je l’ai démonté pour la restaurer, je me suis rendu compte que les tôles de chaque côté n’étaient pas découpées de la même façon. L’explication était que l’un des deux frères était droitier et l’autre gaucher. Chacun faisait sa moitié de voiture. »

Par contre, ce dont Jean était sûr, c’est que sa voiture fut exposée au salon de l’auto 1954 où elle portait le sticker « Jeudy Bonnet » en référence à Gabriel Jeudy, le fabriquant de soupapes qui apporta longtemps son concours financier à la marque de Champigny.

Si on se réfère à ce qui se faisait en 1954 sur le circuit du Mans, il faut reconnaître que cette voiture a été dessinée pour battre tous les records de vitesse sur la ligne droite des Hunaudières !
Par contraste avec les monstrueuses Jaguar C et autres Mercédès 300 SLR de la même époque, la DB prend des allures de jouet. Posée sur de minuscules roues de 145 x 400, le DB parait légère comme l’air, malgré l’imposant bossage sur son capot avant.

Sa vocation course se confirme dès que l’on s’installe à son bord. Son accès est une gymnastique délicate en raison de son imposant volant. Et puis, ce que j’ai le plus apprécié est ce couvre-tonneau tôlé que Jean a fort justement voulu conserver et qui masque la place du passager.

Une fois assis à l’étroit ou plutôt calé, la position s’avère satisfaisante, encore que les grands, du genre Bertrand Hervouet, auront du mal à loger leurs genoux de part et d’autre du volant.

Course oblige, on ne découvre aucun élément de confort, mais l’instrumentation propose l’essentiel pour veiller à la santé du moteur : un gros compte-tours gradué jusqu’à 8.000 tours est accompagné d’un manomètre de pression d’huile, d’un thermomètre d’huile, d’une jauge à essence ainsi que d’un ampèremètre. Pas de compteur de vitesses, même si Jean s’en servait sur la route comme une Panhard normale. Mais dans les années 90, on n’était pas encore arrivé au niveau actuel de répression !

Mais ce qui me déroute toujours un peu au début est cette commande de vitesses, sorte de manche de canne sortant à l’horizontale du tableau de bord, tête en bas, à l’inverse des 4L ou des 2cv.
Il me faudra quelques tours pour manier avec précision et rapidité ce levier un peu brouillon.

Au regard de sa cylindrée, les néophytes peuvent être très réservés sur les performances d’un tel engin.
Qui ne connaît pas le bicylindre Panhard, d’autant plus vitaminé par le sorcier de Dourdan, ne pourra pas admettre de telles performances.
Ce moteur devait développer quelques 65 cv et la légèreté de l’ensemble (500 kg en ordre de marche), donnait un rapport poids/puissance tout à fait convenable. Ne dit-on pas que le poids est l’ennemi de la vitesse ? L’exemple vient des DB du Mans qui jouaient les troubles fêtes dans les épreuves internationales de renom.

Dès les premier tours de roue sur cette piste que je connais bien, on se rend vite compte de quelle race est cette voiture.. Et même si sa puissance est inversement proportionnelle au vacarme qu’elle, émet dès que l’aiguille du compte tours s’éloigne du régime du ralenti, sa race est celle des seigneurs !

Comme tous les dérivés de la philosophie Panhard et grâce à son poids plume, cette barquette accepte d’être chahutée sans arrière pensée. Son comportement est un étonnant ensemble de vivacité et de maniabilité même si un fort sous-virage en courbe vient parfois rappeler que cette traction avant requiert quelques attentions.
En entrant franchement dans les virages, on a l’impression que le châssis se tord dans tous les sens et que l’on vire sur la jante. Mais ça passe ! La DB colle à la route comme du chewing-gum.
Sur route ouverte (en venant de Paris au Mans), ce qu’elle préfère se sont les enchaînement de courbes et de virages particulièrement en descente, là, c’est le paradis. On effleure juste la pédale de frein lorsque la vitesse devient insupportable pour notre rythme cardiaque. Son terrain de prédilection reste donc les tracés tourmentés pourvu qu’ils soient plats ou en descente. Sinon, l’affaire se corse. Quand une côte s’annonce, il faut anticiper et prendre son élan. Si la montée dure un peu trop longtemps, le rétrogradage s’impose, car le couple n’a jamais été le point fort d’un bi-cylindre.
Il faut toujours la conduire à fond en anticipant pour éviter de lever le pied en virage pour ne pas perdre de la vitesse, adoptant de ce fait un pilotage naturellement coulé, en évitant de taper constamment dans les freins pour ensuite se relancer. Car maintenu dans les tours, il en veut le petit bi-cylindre Panhard.
C’est pour cela que je suis un peu en contradiction avec le reproche que me fait Jean-Pierre Allain quand il me dit que je freine trop tôt ! Mais l’essentiel n’est-il pas de sortir plus vite ? La conduite d’une Panhard est particulière : mes résultats ne prouvent-ils pas que j’ai raison ? Seul le chrono est un juge impartial.

Je me suis régalé avec cette barquette. D’autant plus attachante, qu’elle appartenait à mon ami Jean Pagès avec laquelle il a participé à des épreuves authentiques en son temps.
Ce n’est pas exactement un engin violent et agressif que sa ligne laisserait supposer. Elle est en revanche une voiture dont la conception trahit une farouche ingéniosité.
Tout y est pensé pour éviter d’entraver le souffle du petit bicylindre, aussi bien l’aérodynamique, très soigneusement étudié par Charles Deutsch, que la réalisation ultra légère de l’ensemble ou encore une tenue de route très sûre.

Pour la voir en action, je vous livre cette vidéo de nos amis de Motors TV, un modèle équivalent et qui a participé au Manc Classic 2010. Merci à eux d’avoir remis sur son terrain de prédilection ce pur-sang plutôt que de la cacher sous la poussière des souvenirs.

A sa mort, sa famille l’a mis en vente et elle est partie au Japon où elle fait l’admiration de ce peuple attaché à la mécanique française.

Charly RAMPAL