L’idée de départ de ce véhicule étrange et qui dénote de la production Panhard et Levassor, vient en fait du chevalier de Knyff.

LE CHEVALIER DE KNYFF

En 1911, après la démission de Dutreux, alors directeur commercial, le Conseil nomme à la tête d’une équipe dirigeante, René de Knyff, le seul administrateur qui soit aussi un salarié de l’entreprise et qui prendra toutes les décisions générales.

Le 22 novembre 1912, le Conseil va s’appuyer totalement sur René de Knyff qui coiffera même Arthur Krebs.

Il deviendra un des personnages emblématiques de la Maison Panhard et Levassor.

D’origine belge, il est connu dès 1895 comme client sportif et qui souhaite acquérir une voiture P et L pour défendre ses chances en compétition.

Il entre en 1897 au Conseil d’administration où il restera plus de 45 ans.

En plus de son poste de directeur commercial, il supervise le bureau d’études alors placé sous la direction de Krebs.

L’IDEE DE RENE DE KNYFF

C’est en 1912 que René de Knyff contacte Jean-Henri Labourdette pour lui faire réaliser une carrosserie hors série et pour sa propre utilisation.

Son objectif est de lui faire réaliser un torpédo hyper léger, confortable et offrant le moins de résistance au vent.

On sent déjà le fil rouge de ce que sera l’esprit de Panhard dans les années à venir et concrétisé par la Dynavia.

Pratiquant assidu de la bicyclette et de l’aviron, René de Knyff lance à Labourdette l’idée de construire ce torpédo comme son skiff en acajou, avec des membrures pour la légèreté et la résistance à la torsion.

Pour se faire, Labourdette lui fait remarquer que les bateaux sont rigides parce qu’ils n’ont pas de portières.

Pas de problème : le torpédo sera sans portières et l’accès se fera en enjambant la coque.

Ce sera en quelque sorte un « enfant » né du pariage entre une automobile et un bateau.

LA CARROSSERIE

Le principe de base étant validé, il restait à le réaliser selon les plans.

Labourdette n’ayant aucune connaissance nautique va se tourner vers Despujols qui est bien connu pour la construction de canots à moteur dont les ateliers se trouvent sur l’île de la jatte, située sur la Seine, à Neuilly.

Ce Despujols est aussi un fidèle client de l’avenue d’Ivry où il commande et achète des moteurs.

Despujols va donc conseiller Labourdette sur la manière dite « de la triple bordée » utilisée pour réaliser les coques de bateau.

Ce procédé assure une grande rigidité des parois et donc de la coque toute entière, en assemblant trois couches de lames d’acajou entrecroisées les unes sur les autres : les deux premières en oblique, et la troisième à l’horizontale : c’est celle que l’on verra une fois la coque terminée.

Labourdette va donc utiliser cette technique pour la construction de la voiture, l’ossature étant constituée par des membranes de frêne.

Les lames sont fixées sur les membrures grâce à des rivets en cuivre.

Une fois terminée, cette caisse ne pèse que 180 kilos y compris les 4 ailes, les marchepieds, le pare-brise, les porte-roues, les coussins et les dossiers, ainsi que les planches de fond en acajou toupillé et ne comportant aucun tapis : un record pour l’époque !

UNE SILOUETTE DE PAPILLON

Si la balance valide la légèreté de l’ensemble, c’est aussi visuellement que ce poids plume apparait, contrastant nettement avec ce qui se faisait à l’époque encore très influencé par le côté hippomobile des transports.

Ce sont également et surtout les ailes qui ajoutent un complément de légèreté à la manière d’un papillon.

Ce véritable chef d’œuvre nous est expliqué par Labourdette lui-même dans son ouvrage sur la carrosserie :

« Par leur dessin, ces ailes volent en quelque sorte autour de la voiture. Leur aspect nouveau était dû à leurs formes et à la matière employée, qui était une feuille d’aluminium de 2 mm striée d’un côté.

Elles représentaient un magnifique travail de carrosserie : l’ouvrier qui les exécutait était guidé par trois calibres suivant mes données, et la difficulté de sa tâche était accrue par le fait qu’il devait emboutir l’aluminium sans écraser les stries.

Ces ailes étaient peintes d’une façon originale. On passait d’abord une couche de peinture noir sur toute la surface et, avant qu’elle ne séchât, on l’essuyait de telle façon que l’aluminium apparaissent propre sur les surfaces en relief alors que la peinture noire restait dans le fond des stries .

On passait ensuite sur l’ensemble de l’aile une laque transparente verte qui venait jouer sur le ton aluminium.

Les ailes terminées présentaient des reflets irisés jamais vu jusqu’à ce jour. »

La forme arrière a été la plus difficile à déterminer.

Le carrossier finit par l’établir à partir de modelages en cire, une technique dont il revendique la paternité, et qui sera fort utilisée ensuite dans l’industrie automobile.

Naturellement réalise en bois, cette forme arrière emboutie ne peut sa faire qu’avec des ouvriers très adroits qui doivent cintrer chaque lame en l’humidifiant et en la chauffant, comme se travaille l’aluminium.

Ces ailes sont de véritables œuvres d’art !  

Un dessin de Ducassou vu de dessus démontre encore bien plus cette vision de légèreté et d’élégance des ailes et de l’intégration du capot moteur avec la carrsserie :

CHASSIS ET MECANIQUE 20 HP SPORT

Cette carrosserie innovante va encore plus loin en intégrant le capot à la ligne générale, ce qui n’était pas le cas à cette époque.

De plus, un degré de finition élevé souligne encore plus cette élégance et cette originalité avec un bois verni et rivets apparents.

Cette superbe carrosserie se devait également d’habiller un châssis à la hauteur de ses ambitions sportives.

C’est le nouveau châssis 20 HP sans soupapes d’un type nouveau, connu sous l’appellation 20 CV Sport répertorié au service des Mines sous le type X22.

C’est à partir de 1913 que vont se succéder des évolutions du modèle 20 CV dont la dernière sera la 20 CV Sport type 22.

CARACTERISTIQUES TECHNIQUES DE LA X22

C’est un nouveau châssis surbaissé et raccourci établi à partir de la 20 CV normale.

Le moteur est le SBK4F à 4 cylindres séparés de 4.850 cc (105 x 140 mm).

Embrayage à disque unique, boite 4 vitesses, cardans.

Empattement : 340 cm

Voie : 139 cm

Pneus : 820 x 120.

Poids du châssis sans pneus : 990 kg (au lieu de 1.145 kg pour la 20 CV normale.

Toute cette énumération ne laisse planer aucun doute sur les qualités sportives de la Skiff.

LA PREMIERE VOITURE

Ce mariage carrosserie / Châssis répond bien à l’intention du chevalier de Knyff  de marquer les esprits.

Cette première version particulière sera présentée au Mines le 7 juillet 1913.

Avec la déclaration de guerre d’août 1914, mettant fin à sa carrière, très peu d’autres modèles de cette voiture très spéciale seront fabriquées.

Il semblerait que néanmoins un petit nombre avait été réalisé jusqu’en 1915, sachant que le type X22 aura été fabriqué à cent exemplaires, dont un en 1916.

Quant à la voiture du chevalier de Knyff, selon la main courante des archives Panhard, elle sera revendue d’occasion le 12 juin 1915 à un certain Higgins, domicilié à Paris.

La deuxième fabriquée, porte le n° 3.500 et se caractérise par ses petites portes, comme le montre la photo ci-dessous.

… ET AUJOURD’HUI ?

Aucun modèle original de la Skiff Labourdette Panhard n’est parvenu jusqu’à nous.

Une réplique a été réalisée par le National Automobielmuseum de Leidschendam, aux Pays-Bas, hélas sur un châssis d’une petite 10 CV X19, contemporaine, mais hélas nettement plus petite.

Ce Musée était situé à 5 km de La Haye, jusqu’au 1er novembre 1980, puis il a été déplacé à Raamsdonksveer près de Breda courant 1981.

Il a fallu 8 ans pour ressusciter cette merveille. Jean-Henri Laboudzette avait approuvé ce projet et aidé de ses conseils, les constructeurs à leurs débuts dans cette entreprise.

Néanmoins, on ne peut que saluer cette initiative qui rend hommage à notre marque qui semble être bien plus aimé et honoré par nos voisins belges et hollandais (on le voit bien aux RIPL).

La voiture aujourd’hui est exposée au Musée de Ramsdonksveer.

Charly  RAMPAL (Doc. Labourdette, Panhard et Bernard Vermeylen)