Le GP de Pau historique de cette année 2011 vient de se terminer, hélas sans voitures à mécanique Panhard sur la piste. Pourtant notre ami Honoré Durand était bien présent avec Frédéric Clot, mais au volant d’une… Triumph Spitfire.

Côté monoplace, c’est toujours le désert pour notre marque et si Jean-Louis Géraud est bien présent dans le somptueux plateau des Formules III, ce n’est pas au volant d’une de ces deux Formule I DB qui participèrent au GP de Pau 1955.

Souvenez-vous : lundi 11 avril 1955. Cette année là, s’annonce très excitante pour le GP de Pau qui fête son 25ème anniversaire. Les premières informations laissent espérer un plateau de rêve avec la venue des Ferrari, Masérati, Lancia, Gordini… auxquelles s’ajoute une surprise : deux DB 750 cm3 à compresseur !

Mais que vient faire René Bonnet dans cette galère ?

Prévu par le règlement, mais jusqu’à présent seul Bernardo Taraschi (avec une de ses Giaur engagée au GP de Rome en 1954) a exploré cette voie vouée à l’échec face aux 2,5 litres atmosphériques.

Mais à Pau, qui sait, se dit René Bonnet prêt à tout pour assurer une présence française sur les circuits. Agiles, dotées de freins à disque comme les Gordini, on se dit inconsciemment qu’elles peuvent bien figurer. Avec d’autres moyens, ces deux constructeurs auraient sans doute pu mieux exploiter leur goût de l’innovation mais les appels de l’Action Automobile et d’autres en leur faveur ne seront pas entendus. En attendant, ces petits artisans français sont bien isolés pour maintenir leur passion.

On a même pu lire dans l’Auto-Journal du 15 juillet 1954, deux articles virulents demandant à Gordini de se retirer plutôt que de continuer à discréditer la France par ses échecs ! Voici un extrait : « nous avons soif de réalisations tangibles, de succès qui marquent et plus simplement de gloire. Et si nous demandons aujourd’hui à Gordini d’arrêter ses efforts dérisoires et de se retirer des pistes, c’est au nom du prestige de la France. » L’auteur de ces lignes ? Jean-Marie Balestre..

C’est donc dans un climat peu favorable que DB veut tenter un coup de poker. Car l’équation : 100cv et 350 kg contre 250 cv et 700 kg, est défavorable sur le papier tout au moins, au petites monoplaces de Champigny.

Mais, Pau est un circuit sinueux en ville et comme les courses de Monomills ont perdues de leur intérêt, DB pense pouvoir se relancer.

Les deux voitures ont été construites à partir du châssis des monomills. Des réservoirs d’essence supplémentaires ont été rajoutés sur les flancs, le moteur est soufflé de 1500 grammes par un compresseur. Les jantes sont en magnésium pour une plus grande légèreté et rigidité. Enfin, les freins sont des disques, cet ensemble étant fourni par Messier.

Au départ, il y avait sur le capot une petite prise d'air (pour refroidir le compresseur je pense). Elle disparaîtra sur la version définitive.

Côté pilote, René Bonnet impose son pilote fétiche : Paul Armagnac. L’autre pilote sera Eugène Martin qui connaît bien le circuit de Pau et qui a participé à des courses de Formule 1 et a déjà bien figuré à 4 GP de Pau auxquelles il avait participé.
Bayol avait été prévu, mais son contrat avec Gordini l’empêche de conduire la DB : il partira au volant de la Gordini n°4.

Toutes neuves, les deux DB F1, n’ont pas eu le temps de faire des essais. Les premiers tours de roue se feront ici, pendant les essais. Les premiers constats sont affligeants : moteur creux et peu nerveux, associé à une tenue de route aléatoire. Deux composants pourtant essentiels sur un tel circuit.

On y est, on y reste ! Mais Eugène Martin décide de se retirer, laissant sa place au petit jeune : Claude Storez, un lion plein d’avenir.

En dehors du niveau élevé de la concurrence mécanique, les pilotes présents sont aussi des pointures ! Behra, Ascari, Villoresi, Musso, Castelloti, Bayol, Manzon, Rosier, De Portago, Lucas, Simon.. etc… sont tous là pour les premiers essais où le mur des 100 km/h n’est plus qu’un muret car six concurrents le franchissent allégrement.

C’est Ascari sur sa Lancia n°6 qui obtient la pole en 1’34’’5 devant Jean Behra sur Masérati n°14 en 1’35’’4.
Et nos DB ? Elle confirment l’impression de départ : Paul Armagnac est 13ème en 1’52’’7 et Storez est15ème sur 16 partants, en 1’58’’9 !

Pendant que se déroule un défilé de Vespa, le moyen de locomotion à la mode, la gille se met en place.

A 14h30 précise, le starter libère les voitures et c’est Jean Berha qui a pris la tête avec autorité. Nos DB sont à la traine et Paul Armagnac s’offre un handicap de plus en ratant son départ et se retrouve au premier tour derrière Storez .

En tête la bataille est hallucinate accompagnée d’un rythme très élevé.

De Portago s’arrête au 9ème tour avec une roue voilée et les plus lents sont déjà doublés.

Au 12ème tour, Ascari passe Berha, signe d’une bataille sans merci de tous les instants. Ces deux la, ne ménagent pas leurs efforts et peu à peu leurs poursuivants glissent dans le classement. La moyenne générale est de 101 km/h. Pendant 10 tours Ascari réussit à prendre 4’’ à Berha, mais ce dernier ne s’avoue pas battu et se rapproche de nouveau et les spectateurs sont debout : le suspense reste entier.

Plus loin, les Gordini luttent entre elles avec avantage Manzon devant Bayol.

Au 29ème tour, c’est le drame : au freinage de la gare, on voit la Volpini d’Alborghetti filer tout droit sans un signe de ralentissement. La voiture pulvérise les bottes de paille, renverse les tonneau remplis de gravier et abat une palissade ! Le choc est d’une violence extrême au point que le casque du pilote est arraché et vole en l’ait et que Alborghetti est projeté contre le volant. La voiture se maintient en équilibre sur un tas de paille, moteur plein gaz et le pilote inconscient sur son siège.

Les secours arrivé dans la minute, constate que le pilote est gravement atteint : fracture à la base du crame, large blessure à la poitrine d’où s’écoule un important flot sanguin. Etendu sur une civière, Alborghetti meurt sans avoir repris connaissance.

Il semble que le pilote ait été dépassé par les évènements. L’enquête précisera qu’il a confondu la pédale de frein avec celle de l’accélérateur. A sa décharge, il faut noter qu’à cette époque, les monoplaces italiennes avaient l’accélérateur au centre et le frein à droite ! Il a du confondre les pédales. Rappelons que Stirling Moss n’a jamais pu s’adapter à cette configuration : il avait obligé Maserati à changer cette disposition lorsqu’il courait pour la marque italienne !

Quelques blessés légers seront aussi à déplorer parmi les spectateurs, achevant de jeter une ombre sur la course.
Sur la piste pendant ce temps, le spectacle continue.

Berha continue son bel effort pour revenir sur Ascari, il n’est plus qu’à 2’’ au 42ème tour.

Musso lui, a abandonné (soupape cassée).

Ascari force alors l’allure et prend une seconde au tour à Berha qui semble résigné devant l’engagement de son adversaire. Au 55ème tour, il a 18’’ d’avance.

Pendant ce temps nos deux débéistes se font enrhumer à chaque passage des premiers.
Les Gordini de nos amis Bayol et Manzon, pas mieux lotis, ont du abandonner. Les rangs commencent à s’éclaircir qui profite à Ascari qui porte son avance à 31‘’ au 70ème tour.
Peu avant, au tour 65, Storez abandonne sur rupture du couple conique. Paul Armagnac reste donc seul pour défendre le bleu de France et tenter au moins de terminer.

Coup de théâtre au 90ème passage : Ascari s’arrête à son stand avec une durite de frein cassée. L’arrêt se prolonge et Berha passe en tête sur ce coup du sort. Ascari repartira néanmoins, mais avec deux tours de retard insurmontable. La victoire s’offre à notre Jeannot national.
Mais Ascari n’aura pas baissé les bras et il recevra à l’arrivée l’ovation de la foule, terminant 5ème à un tour. Il porte le meilleur tour en 1’35’’3 soit 104,6 km/h : un exploit.

Paul Armagnac termine enfin son calvaire bon dernier à 18 tours du vainqueur !

Pari perdu pour Bonnet qui constate amèrement que sa voiture n’a rien à faire parmi l’élite de la Formule 1.

Un petit scoop : René Bonnet avait sollicité l'engagement de deux voitures pour le GP d'Europe 1955 (accessoirement GP de Monaco). (source Nice-Matin).
Suite à l'échec palois aucune suite ne fut donnée par René .Bonnet.
Avec environ 4 kg/ch la non-compétitivité était prévisible même sur des circuits tortueux (environ 2,5 kg/ch pour une 2500cc atmo).

Dernier point: une victoire quand même pour cette F1 750cc: course de la côte Lapize (Montlhéry) 1955 avec Eugène Martin, victoire de catégorie.

Maintenant, elle ne joue plus que les divas des salons rétro…

Charly RAMPAL