Je ne reviendrai pas sur la dernière victoire de Panhard aux 24 Heures du Mans avec le CD.
Mais, pour compléter l’histoire, il est intéressant d’avoir le retour des pilotes vainqueurs pour nous raconter cette belle aventure de l’intérieur.

Ecoutons tout d’abord Alain Bertaut avant et pendant la course :

 » Je dois avant tout exprimer ma grande joie lorsque j’appris que j’étais associé à André que j’avais toujours considéré comme le sprinter de notre équipe. Pour les 24 Heures, Etienne DE VALANCE avait exilé ses pilotes à une trentaine de kilomètres du Mans pour que nous puissions goûter le calme de la campagne, mais avant de me rendre au Mans j’avais pu, grâce à la compréhension de la direction de mon journal, prendre une quinzaine de jours de vacances que j’avais mis à profit pour « recharger mes batteries ».

J’arrivai donc en forme au Mans le mardi précédant la course et j’y rencontrai tous ceux qui devaient sans relâche travailler avec un dévouement sans limite à construire notre victoire.
Panhard et les hommes du Moteur Moderne avaient réussi le tour de force de préparer quatre voitures absolument identiques qui firent l’unanimité au pesage sur le sérieux de leur présentation et leur conformité avec l' »esprit » du nouveau règlement quant à la vocation des prototypes.

Le mercredi soir, ce fut la première séance d’essais que j’abordais avec beaucoup d’appréhension. Il me fallait d’une part parfaire ma connaissance du circuit, et d’autre part, « tâter » ma voiture.
André GUILHAUDIN travailla beaucoup à sa mise au point, plus habitué que moi des exigences du Mans, et je dus me contenter de deux petits tours occupés à vérifier les instruments de contrôle qui avaient été installés à bord. Le jeudi soir, au cours de la deuxième séance d’essais, il me fallait me qualifier en tournant six tours de jour et six tours de nuit en-dessous de six minutes.
En fait, calmement et tout en ménageant la voiture, je réussis à descendre de nuit en-dessous de 5’30 ». J’étais content. André et Etienne aussi.

Mais le gros problème à résoudre dans la journée et la nuit qui précédèrent la course fut celui de la climatisation à l’intérieur de nos berlinettes.

Tous, au cours des essais, nous avions horriblement souffert de la chaleur. Le système d’amenée d’air frais était inopérant et le rayonnement du tunnel dans lequel passait le tube d’échappement était tel qu’in était impossible de laisser la main dessus et à plus forte raison de prendre appui dessus avec la jambe droite. En quelques tours nous étions trempés comme au sortir du bain. Une solution fut trouvée grâce à l’ingéniosité de tous.

Les voitures étaient prêtes enfin dans la matinée du samedi et les visages des mécaniciens ravagés par plusieurs nuits d’insomnie en disaient long sur leur volonté de mettre toutes les chances de notre côté.

A la vérité, alors qu’André sautait dans notre Panhard CD n°53 et qu’il avait quelque peine à « décoller » à cause de la première vitesse très longue et la crainte de fatiguer l’embrayage, il ne s’en serait pas trouvé beaucoup pour miser sur nos chances. Nous avions mission de courir pour l’indice alors que BOYER / VERRIER devaient viser l’indice énergétique (et leurs chances étaient certaines) et que LELONG / HANRIOUD devaient se tenir prêts à jouer sur l’un ou l’autre tableau.
Mais, tous dans les stands, au moment du départ, nous avions peur.

Peur que la mécanique ne tienne pas, peur des Abarth, des Bonnet-Renault, des Lotus, de la Ferrari des Rodriguez.

A 19h10 je pris le relais. Rien à signaler.

André avait régulièrement tourné autour de 5’30 » en respectant les consignes que lui avait prodiguées Jacques PICHARD de Moteur Moderne.

Je reçus les mêmes consignes, et je tournai entre 5’35 » et 5’40.

Le coucher du soleil me fit beaucoup souffrir à Mulsanne et Arnage et, le pare-brise étant couvert de moucherons, il était pratiquement impossible de discerner les panneaux de signalisation que l’on me passait régulièrement à la sortie de Mulsanne. L’envie me prit de m’arrêter pour mettre un terme à ma situation d’aveugle, mais je pensais qu’il valait mieux perdre quelques secondes par tour que d’immobiliser la voiture plusieurs minutes. Enfin le soleil disparut derrière le faîte des pins et j’y vis plus clair.

L’on me passa le panneau « Ravitaillement trois tours ». Je m’arrêtais. J’avais couvert 36 tours en 3h30. C’était long, mais nous misions sur notre faible consommation (moins de 11,5 litres aux 100 km à 145 de moyenne) pour espacer au maximum les ravitaillements et gagner ainsi un temps précieux. Vers 22h40 je passais le relais à André en lui signalant qu’une Masérati avait perdu son essence dans les S du Tertre Rouge et qu’une vibration dans le train avant me donnait de l’inquiétude bien qu’elle ne s’amplifiât pas.

Je me réfugiais près de la camionnette-restaurant que René COTTON (le chef de l’équipe Citroën pour les rallies) avait installée à proximité de notre stand et sa femme me servit un copieux dîner.

Puis je goûtais quelques heures de repos, allongé dans une ID 19. A 2h15 du matin, mon tour revint de « reprendre le manche ». André était satisfait. Seule la deuxième vitesse avait tendance à sauter.

Il suffisait de la tenir d’une main et de virer de l’autre. Ce relais m’amena au lever du jour et j’eus droit au supplice du soleil levant qui nous aveuglait dans la plongée vers les S du Tertre Rouge.

Lorsqu’André reprit le volant à 5h45, la voiture tournait toujours comme une horloge et nous reçumes de nouvelles consignes pour économiser davantage encore notre mécanique. On m’a fait dire dans un journal que « jamais nous n’aurions gagné si la Bonnet-Renault de mes amis LAUREAU / ARMAGNAC n’avait été immobilisée longtemps ç la suite d’une panne stupide ». Rien n’est plus faux.

Il y aurait eu du moins une très dure bataille pour laquelle nous étions prêts. Notre voiture était fraîche. Jamais nous n’avions eu à lui demander le maximum et nous avions toujours su garder de nombreuses secondes « sous le pied ». Alors qu’André pilotait, on lui signala l’abandon de la Fiat-Abarth 56. Nous prenions donc la tête du classement à l’indice.

Je ne pouvais pas y croire tandis que j’effectuais mon dernier relais. J’économisais la voiture au maximum pour qu’André puisse, plus tard s’il en était besoin, disposer de tous les atouts nécessaires. Mais notre principale rivale, la Bonnet-Renault de LAUREAU / ARMAGNAC, comptait plus de trois tours de retard et nous savions que, tout en continuant à tourner sagement, nous pouvions lui concéder une bonne quinzaine de secondes par tour. J’écoutais les moindres bruits. Jamais je n’ai eu autant peur de faire une faute de conduite.

Pourtant tout continuait d’être normal à bord. Il faisait une chaleur accablante mais à chaque tour de roue le but se rapprochait, de moins à moins inaccessible, de plus en plus immense.

A 12h40 André sauta dans la voiture pour le dernier relais. J’avais fini ce que l’on avait attendu de moi et c’est sur les épaules d’André que reposait notre destinée.

Alors, pendant ces trois dernières heures, ce fut l’attente interminable, terrible épreuve pour les nerfs. Dieu, que les minutes me semblaient longues!

Accompagné de ma femme, je me réfugiais à la « popote » de la direction de course où je retrouvais mes amis Pierre ALLANET, Jacques LOSTE, et les commissaires qui me prodiguèrent leurs encouragements. J’en avais besoin.

Une soif tenace me dévorait la gorge et toutes les cinq minutes et demie j’attendais le bruit familier du deux cylindres de la 53.

André passait régulièrement et, tour après tour, l’heure fatidique arriva, m’inondant de joie.
Nous avions gagné! »

Place maintenant à l’après course et l’analyse pertinente d’André Guilhaudin, homme de talent et de vérité.

André Guilhaudin était à cette époque garagiste à Chambéry et avait déjà un palmarès élogieux en compétition : en deux mots, il savait tenir un volant.

Même si l’histoire ne retiendra que cette victoire CD-Panhard à l’indice de performance, pour André, il était temps que les 24 Heures se terminent !

« Nous avons bénéficié des circonstances. Sans les abandons des frères Rodriguez (Ferrari 2l4) et de Masson-Zeccoli (Fiat Abarth 701 cc), nous n’aurions pas inscrit notre nom au palmarès.
Si la René-Bonnet de Laureau-Armagnac n’avait pas dû stopper à plusieurs reprises, perdant une large poignée de minutes pour ressouder une pédale de frein cassée, jamais nous n’aurions obtenu ce titre. »
La course est la course et les malheurs des uns font le bonheur des autres !
Mais André, qu’elle a été tes impressions durant la course ?

« J’ai débuté en me faisant une peur affreuse.
A Maison-Blanche, j’étais rentré aussi vite qu’à l’entrainement. C’est alors que je me suis mis en travers et sur près de 300 mètres, j’ai dû travailler au maximum pour ne pas sortir de la route.
A mon premier arrêt-ravitaillement, j’ai eu l’explication de ce qui aurait pu se transformer en catastrophe.

Un mécanicien trop zélé avait excessivement gonflé mes pneus arrière. Quand j’y pense, quelle frousse rétrospective !

Après l’abandon de Roger Masson, nous avons conduit comme si nous enveloppions notre Panhard dans un papier de soie.

Quant au partage du volant, j’ai peut-être piloté plus longtemps qu’Alain, mais c’est Bertaut qui était dans la voiture aux heures les plus délicates, à la tombée de la nuit et au lever du jour.
A l’arrivée notre joie fut immense et récompense le travail acharné de l’équipe CD qui a réussi à mettre en piste une voiture performante en si peu de temps…

Mon émotion sera encore plus grande lorsque je reçu les félicitations de Juan Manuel Fangio, serrer la main du pilote le plus prestigieux de tous les temps, restera pour moi, la plus grande émotion.»

Le succès de la Panhard n°53 aura été celui de deux amis qui s’adressaient mutuellement le bouquet des félicitations, celui qui précédé la couronne officielle des vainqueurs.

Charly RAMPAL (Propos recueillis par les deux pilotes + Photos archives Panhard)