Outre le fait qu’elle a lancé en 1891 la première production automobile digne de ce nom, la firme Panhard et Levassor s’est également trouvée à cette époque aux avant-postes du développement de la compétition automobile.

La toute première épreuve, le Paris / Rouen de 1894, fut remportée ex aequo par une Peugeot et une Panhard.

Et dès la seconde édition, Panhard s’octroyait une victoire sans équivoque.

Durant la dernière décennie du 19ème siècle, la marque doyenne domina outrageusement la compétition automobile.

En 1902, 1903 et 1904, une série de monstres de 70 et 90 HP rafla encore le circuit des Ardennes, à trois reprises, tandis qu’aux Etats-Unis, en Floride, une 90 HP gagnait en 1904 la première Coupe Vanderbilt, à la moyenne de 83,9 km/h pour une distance de 457 km.

FIN DE LA DOMINATION

A partir de 1906, quand l’Automobile Club de France lançait le premier Grand Prix sur circuit fermé au Mans, la domination de Panhard commença à décliner, les voitures de l’avenue d’Ivry étaient peu à peu dépassées par des engins plus sophistiqués comme les Mercédès ou les Mors.

Panhard répliqua en équipant ses voitures de moteurs toujours plus gros tout en conservant des châssis très légers.

Pour le Grand Prix de 1906, un énorme 130 HP de 18,279 cc (187 x 170) fut donc installé sur le châssis qui supportait auparavant le quatre cylindres de seulement 15.435 cc (170 x 170) des voitures de 1904.

Mais comme ce nouveau monstre ne donnait pas satisfaction, le châssis fut rééquipé du petit moteur pour le Grand Prix de 1907 couru à Dieppe.

Sans plus de succès que la solution précédente : la voiture n’atteignant pas l’arrivée.

Pour le Grand Prix de 1908 à nouveau organisé à Dieppe, l’alésage se trouva limité par la réglementation à 155 mm.

Panhard engagea donc trois voitures équipées d’un nouveau quatre cylindres de cotes 155 x 170 mm, ce qui donnait une cylindré de 12,831 cc.

La transmission étaient assurée par deux chaines de forte section, tandis que l’on revenait au radiateur frontal.

Conçue par le commandant Arthur Krebs et conduites par l’Américain Georges Heath, l’Anglais Henry Farman (eh oui, « notre » Henri Farman était né de l’autre côté du Channel) et l’as français du motocyclisme Henri Cissac.

Ces voitures rapides paraissaient bien plus compétitives et tout à fait capables de venir chercher les Clément-Bayard qui, chronométrées à 173 km/h, étaient les plus rapides de la course.

Sur un secteur droit de la piste, la voiture de Cissac avait, quant à elle, atteint 156 km/h.

Un grave défaut demeurait cependant sur les Panhard : la grande fragilité des pneus utilisés.

L’un d’eux éclata à pleine vitesse, en course sur la voiture de Cissac et la chambre à air vint s’entortiller autour d’une des chaines de transmission.

Roues arrière bloquées, la voiture rebondit deux fois, éjectant Cissac et son mécanicien Schaub sur la piste.

Schaub fut tué sur le coup tandis que Cissac mourut des suites de ses blessures.

A l’arrivée de la course, Heath termina en 9ème position à la moyenne de 90,7 km/h après avoir été longtemps 5ème : une moyenne à comparer aux 111 km/h de Lautenschlager victorieux sur Mercèdés.

Farman termina la course en 23 et dernière position alors que 61 concurrents s’étaient présentés au départ.

Durant ses 10 tours du circuit triangulaire long de 76,7 km, l’Anglais de 34 ans endura exactement 9 heures 24 mn et 40 secondes d’effort physique ininterrompu et de concentration extrême.

Cette partie de plaisir fut la dernière apparition de Panhard e course, exactement 15 jours après la mort de René Panhard.

Ses successeurs avaient en effet décidé de concentrer les efforts de la firme sur la fabrication des voitures de tourisme, production poursuivie pendant près de soixante ans qui allait s’achever avec les Panhard 24, dont la philosophie était totalement opposée à ces titans sur-motorisés des premiers Grand Prix.

Deux des trois Panhard 120 HP qui participaient au Grand Prix de Dieppe survivent aujourd’hui : celle d’un anglais John Walker et celle de Cissac, découverte à Paris en 1965 par Serge Pozzoli, acquise par les frères Schlumpf, qui appartient toujours au musée de Mulhouse et que nous avions exposée en 1990 à Rétromobile.

Naturellement, comme pour toute voiture de course d’un âge avancé, les spéculations ont couru bon train pour savoir laquelle des deux autres voitures était celle de Walker.

Des ressemblances photographiques semblent indiquer qu’il s’agit de celle de Farman.

Mais le chemin qu’à suivi cette voiture pour se retrouver finalement en Amérique du Sud demeure un mystère total.

Une théorie suppose que le voyage aurait commencé par une traversée vers les Etats-Unis, la voiture ayant été probablement été exportée pour participer à diverses courses de vitesse en Amérique un peu avant l’explosion de la Grand Guerre.

La première étape de la restauration de cette Panhard passait par un travail classique de remise en état du châssis et de la mécanique, puis par la construction d’une reproduction de la carrosserie, copiée exactement d’après l’original.

Cela a pris 5 ans à un spécialiste de Bentley : en remplacement des organes manquants, il utilisa alors un essieu de Rolls-Royce Silver Ghost et un boitier de direction de Bentley.

A l’exception du piston manquant, le moteur se trouvait dans un excellent état de conservation, de sorte qu’après un démontage complet et l’installation d’u jeu de pistons neufs en aluminium, la voiture se trouva prête à courir de nouveau en 1980.

Le moteur se compose de quatre cylindres coulé individuellement, entourés par des chemises d’eau rapportées en cuivre, le tout installé sur un carter lui-même séparé en quatre compartiments distincts, chacun étant lubrifié individuellement.

Les soupapes latérales sont quant à elles enfermées dans quatre carters séparé et démontables.

DES DIFFERENCES DE CONSTRUCTION

En 1989, après quasiment une décennie de participation aux courses VSCC et un voyage de l’autre coté du Channel pour fêter le 75ème anniversaire du Grand Prix de Dieppe, John Walker jugea que le moment était venu d’entamer une second étape du processus de restauration de la Panhard, même si elle n’avait jamais fait aucune difficulté pour rouler… c’était plutôt pour freiner la bête que se posaient quelques problèmes.

Les travaux furent confiés à un spécialiste qui commença par aller au musée de Mulhouse pour inspecter le système de freinage et de direction de la seule autre survivante.

Il découvrit à cette occasion que les deux voitures étaient loin de montrer une construction parfaitement identique.

Par exemple, le support de train arrière est, sur la voiture de Mulhouse, une pièce grossière et forgée de section carrée, tandis que la voiture de Walker est équipée d’un ensemble plus léger à section en H.

Outre une redéfinition de la direction et du train avant, la principale amélioration consista dans le remplacement des amortisseurs arrière à friction par de Luvax hydrauliques reprenant astucieusement la forme extérieure des amortisseurs d’origine, afin de limiter les rebonds du train arrière qui, à eux seuls, étaient capables de doubler la distance de freinage sur une voiture aussi puissante dépourvue de freins avant !

Mais au fur et à mesure que la vieille dame était démontée, de nouveaux problèmes surgissaient.

La découverte la plus effrayante concerna le carter de boite, fêlé dans sa partie inférieure, tandis que le châssis s’était faussé peu à peu, résultat de contraintes trigonnelles provenant de l’absence de certains rivets dans la fixation du groupe moteur-boite, de ce fait non alignés.

A la fin de l’année 1990, tout était terminé cependant et, avec un comportement nouveau et un freinage transfiguré.

L’adhérence des pneus est si faible que le plus infime mouvement de l’accélérateur accompagné d’une légère rotation du volant, amorce un net dérapage des roues arrière.

Le peu de poids non suspendu qui résulte de l’absence de freins à l’avant et de l’usage de chaines de transmissions, aide considérablement au contrôle et à la tenue de route de la voiture, ce qui n’obligeait pas à être un surhomme, musculairement parlant por conduire cette voiture, mais beaucoup de sensibilité et de précisions, de même que des réactions rapides sont nécessaires.

DEMARRAGE : TOUTE UNE CEREMONIE

Nous sommes à Montlhéry sur l’autodrome et allons assister à cet évènement : la cérémonie du démarrage.

Elle est normale pour une voiture de course de cet âge.

On commence par mettre le réservoir d’essence sous pression à grands coups de pompe à main.

Les cylindres sont nourris en essence individuellement puis le système de réduction de compression est engagé en tirant un levier qui déplace l’arbre à cames des soupapes d’échappement vers l’avant, de sorte à ce que ces derniers soient commandé par une seconde série de cames qui ne sert que pour le démarrage et qui les laisse à demi ouvertes.

Une pression sur l’interrupteur de la bobine et finalement on peut se diriger vers la manivelle pour éveiller à la main le lourd moteur.

Normalement, l’énorme 12,8 litres doit partir au premier tour de manivelle : mais cela n’a rien d’un drame si l’on doit faire plusieurs tentatives de suite.

Contrairement à bien d’autres, le bougies se noient rarement.

Une fois démarré, le grand radiateur et secoué frénétiquement et même les roues avant sont prises d’une transe qui anticipe la vitesse  à venir.

Tout ceci est un moment excitant à voir, peu habitués que nous sommes à ce genre d’exercice.

Le levier de réduction de compression retrouve sa position de marche normale.

L’allumage passe sur magnéto, un peu d’avance, on débraye, le levier de frein et desserré et, avec le tonnerre de l’échappement qui monte dans un crescendo assourdissant, la voiture s’ébranle fortement et disparait comme une fusée.

Nous la suivons de loin à l’oreille, au bruit de son moteur qui prend des tours très vite, en dépit d’un couple maxi développé aux environs de 1.300 t/mn non loin du régime où les 120 ch répondent tous à l’appel.

Tout cela est amplement suffisant pour propulser en bien moins de 10 secondes les modeste 1.219 kg de la voiture vers le maxi qui sera limité à 112 km/h.

Ces performances spectaculaires réclament tout de même une consommation de l’ordre de 35 litres aux 100 km, qui n’est après tout pas si considérable si l’on veut bien se rappeler la cylindrée de l’engin.

Le bruit qu’elle fait en passant devant nous, a un son grave et c’est surtout le ronflement des chaines qui surprend.

Et l’on se prend à penser à ces pilotes et de leurs exploits au volant de ces monstres de puissance à la tenue déséquilibrée.

En 1965 dans la revue « Autocar », le journaliste John Bolster écrivait déjà : « ces pilotes devaient être habiles, courageux, forts physiquement, résistants, à un niveau qu’aucun pilote actuel ne peut dépasser. En vérité, ils étaient les héros vivants de cette époque ».

Charly RAMPAL        (d’après mes souvenirs des personnes rencontrées à Rétromobile 1990)