Issu d’une vieille famille noble italienne émigrée en Suisse au 16 siècle, René Bartholoni est pourtant né a Paris le 17 janvier 1928, dans le très select 16 arrondissement.

Son père, directeur d’une grosse compagnie d’assurances, mène un train de vie aise, puisqu’il possédera successivement cinquante-deux voitures de grande classe : Rolls-Royce, Bentley, Delage, etc.

René, fils ainé, poursuit ses études sans histoire et quelque temps après son « bachot », entre à la banque de l’Indochine en 1948.

La guerre dans cette colonie l’empêchant de partir, il chausse ses pantoufles d’employé de la banque Indosuez.

Très sportif, il pratique le ski et la voile, mais c’est certainement la vision des voitures de son père, enfouie dans son inconscient, qui d’un seul coup a resurgi sous la forme d’une irrésistible envie de courir.

Il s’engage avec sa jeune épouse au Rallye de Sable-Solesmes en 1954, sur sa petite Panhard Dyna Junior.

Ce rallye présente de sérieuses difficultés et, bien que ce soit sa première participation, il réussit à se classer fort honorablement.

René Bartholoni reste pourtant prudent.

En 1955, il ne fera qu’un rallye, mais d’un bon niveau sur la Jaguar XK 120 de son ami Louis Bollard au Tour de Belgique.

Ils terminent de justesse en raison d’une fuite d’huile.

Début 1956, le même équipage termine 3ème au Rallye des Lions sur une Simca Aronde, notamment parce que René connaissait le circuit par cœur.

Ces deux résultats étant plutôt encourageants, il décide de courir régulièrement et donc d’acheter une bonne voiture, mais pas trop chère pour autant.

Un jour, il a vu par hasard sur une boite d’allumettes le dessin d’une petite D.B. qui lui avait semble particulièrement sportive.

C’est ainsi qu’il achètera sa première .B., un coach HBR5 en fibre de verre, avec châssis-poutre et moteur Panhard.

En allant prendre sa livraison dans le repère de René Bonnet à Champigny, il fait la connaissance de cet incroyable « fakir » de la course automobile qui avait un enthousiasme débordant, se rappelle-t-il.

«  Sa passion était d’expérimenter en permanence les nouvelles techniques qu’il imaginait. C’était artisanal et forcement, ça coutait cher ! René Bonnet n’était pas un homme d’argent, mais je n’aurais pas voulu me trouver à la place de ses créanciers… De toute façon, René Bonnet était un gagneur et il se battait comme un lion ! »

LA DB NOIRE

Le premier rallye qu’il fait au volant de sa D.B. noire dont il est si fier, est celui du Loir-et-Cher ou il se classe second a l’indice.

Ce n’est que le premier d’une longue série d’épreuves régionales, avec les rallyes de Laval, Touraine, Nantes-Armorique, Picardie, puis des épreuves sur piste, avec les Coupes d’automne a Montlhéry.

Il aborde en 1956 sa première grande épreuve routière, le fameux Tour de France automobile, qui d’ailleurs avait été annulé l’année précédente, conséquence des mesures prises après la catastrophe des 24 Heures du Mans.

Avec sa petite D.B., au milieu des 102 autres concurrents, il a l’occasion de se frotter aux « grands » comme Jean Behra, Maurice Trintignant, Olivier Gendebien, Paul Frère, Stirling Moss, Louis Rosier et le marquis de Portago, qui remportera la victoire sur sa Ferrari 250 GT.

Malheureusement, la boite de vitesses de la DB cassera, entrainant l‘abandon.

René Bartholoni est déçu, car il avait bien prépare son coup.

« Pour moi, le Tour auto qui comprenait trois étapes, se préparait en chambre avec des cartes détaillées et des caniers d’écolier à spirale que je remplissais avec la même précision qu’un livre de banque.

Je l’apprenais pratiquement par cœur après avoir fait la reconnaissance avec ma femme et notre fils, encore au biberon.

J’avais même confectionné un appareil avec deux cylindres qui permettait de dérouler les cartes, avec une lampe pour lire les notes et les chronos. »

 En homme bien organisé, il retrouve tous ces objets en moins d’une minute, bien ranges dans une armoire.

L’année 1957 est elle aussi bien remplie ; outre les rallyes traditionnels, René Bartholoni, appelé maintenant « Bartho » par tout le petit monde du sport automobile, termine 2ème de sa catégorie derrière Bouharde les Coupes de vitesse à Montlhéry et 9ème de sa catégorie avec l’un des fils de René Bonnet aux 6 Heures de Saint-Cloud.

LA D.B. BLEUE A BANDES BLANCHES

Pour le Tour auto 1957, il achète une deuxième D.B. HBR5, mais cette fois bleue à bandes blanches.

Son coéquipier est toujours le même, Louis Bollard.

Ils parviennent à se classer 18ème au général et 12ème à l’indice de performance.

Ses qualités de pilote amateur, méticuleux et raisonnable se confirment.

II se lance au 9ème Tour de Belgique avec Luc Driessen et décroche la victoire dans la catégorie 500 a 1 000 cm’.

« Bartho » est maintenant un pilote connu qui a fait ses premières armes, à défaut d’être encore reconnu.

Quelle est sa situation vis-à-vis de l’Ecurie D.B. ?

C’est un pilote-client, qui paie toutes les factures des travaux effectues sur sa D.B. et bénéficie de l’infrastructure de Champigny.

Les primes, il les voit rarement tomber dans sa poche, car si René Bonnet n’est pas vraiment intéresse par l’argent, il en cherche tout le temps.

« A un moment, il voulait escompter des traites au près de ma banque, mais je n’ai pas voulu, car je tenais absolument à séparer ces deux mondes.

C’était peut-être un « combinard », dira « Bartho », mais il ne pouvait pas faire autrement.

 Toute son énergie et ses ressources étaient tournées vers la compétition.

II s’engageait de plus en plus sur tous les circuits d’Europe, mais aussi aux Etats-Unis.

Tout cela coutait fort cher. »

UN PILOTE A PART ENTIERE

De son cote, « Bartho » travaille et se perfectionne ; il consacre à la course ses week-ends et toutes ses vacances.

En dehors des murs de la banque, tout pour la compétition.

« J’étais heureux, car j’étais un amateur qui arrivait a faire quelque chose. »

Des le début de la saison 1958, ses résultats s’améliorent nettement avec une 4ème place au Rallye des Lions (2ème de sa catégorie derrière Consten sur Panhard), 8ème au Rallye de Touraine, Poitou-Bretagne-Normandie et 5ème au Rallye d’Alençon.

Il gagne le Rallye de Picardie à l’indice de performance avec Bernard Zimmermann, puis finit second de sa classe au Rallye de Lorraine-Alsace.

Début juin, René Bonnet lui déclare : « Je vous engage aux 24 H du Mans ». « J’étais fou de joie, se rappelle « Bartho ». J’ai fait équipe avec Marcel Lallier sur un proto DB HBR5 en aluminium, mais j’avoue qu’au début, j’avais peur sur le circuit.

René Bonnet m’a alors enjoint l’ordre de chanter à tue-tête.

C’est ce que j’ai fait, plus particulièrement dans les courbes de Maison Blanche qui devaient se négocier pied au plancher.

Malheureusement, le moteur a grippé, nous forçant à abandonner à la 14 heure.

Bruno, le mécano, s’est fait copieusement engueuler par René Bonnet, qui avait fait installer un réservoir d’huile supplémentaire en charge, dont il fallait ouvrir le robinet toutes les heures. En réalité, mon coéquipier l’avait oublie ; c’était lui le responsable. J’étais très déçu. »

Dans la foulée, René Bartholoni s’engage avec Louis Cornet, pilote fort connu de l’écurie D.B, aux 12 Heures de Reims sur le coach DB en aluminium ; ils gag.nent leur catégorie

Enfin, après le Tour auto 1958, la saison, bien chargée pour un amateur se terminait par une deuxième place dans sa catégorie au Tour de Belgique avec le fidèle Driessen.

1959 : deuxième déception au Mans, René Bartholoni commence la saison par le Rallye des Routes du Nord en se classant 14ème sur 41 et obtient des résultats honorables au Lyon-Charbonnieres (5ème de sa série),

à la Coupe de l’USA à Montlhéry (1er de sa catégorie et aux 1 000 km du Nurburgring avec Roger Masson sur un tank D.B. type « Le Mans » prêté par l’usine.

Cependant, il ne pense qu’à une chose, prendre sa revanche aux 24 H du Mans.

Bénéficiant de l’estime de René Bonnet, celui-ci lui offre sa meilleure voiture, la D.B dite « camionnette » à cause de son arrière tronqué, qu’il pilotera avec. Jean-François Jaeger.

Tout se passe bien pendant vingt-trois heures consécutives, la victoire semble à sa portée.

Soudain, son coéquipier Jaeger sort de la piste et se retrouve dans un bac à sable du virage de Mulsanne.

Il réussit a repartir et l’incident parait mineur.

Mais un quart d’heure avant l’arrivée, le moteur qui a « avalè du sable » par les deux gros carburateurs double corps se mettent à gripper.

C’est l’abandon.

« Bartho » se souvient : « J’en ai pleuré de déception, les mains crispées sur le volant.

Cette D.B. avait une tenue de route fabuleuse, avec elle, on pouvait se permettre des écarts qui auraient mal fini avec d’autres. »

Il participe ensuite au Tour de France auto d’une drôle de manière.

Se rendant a Nice pour le départ, il voulut reconnaitre une dernière fois le parcours en passant par la cote du Mont-Ventoux.

Son équipier, Robert Tassoul, désira essayer seul le virage de Saint-Esteve et y entra sur la D.B. de « Bartho » sous une pluie battante, trop vite sur une mauvaise trajectoire et freina roues braquées.

II fit un tonneau et fut victime d’un sérieux traumatisme crânien, ayant négligé de mettre son casque.

René Bartholoni joua alors le rôle d’infirmier improvisé dans l’ambulance qui filait à l’hôpital.

L’oreille calée sur le thorax de Tassoul entre la vie et la mort, il dut surveiller les battements de cœur.

Le malheureux ne se réveillera que plusieurs jours plus tard dans un triste état.

1960-1961 : LES SUCCES

Toujours fidèle à René Bonnet, René Bartholoni (qui partage avec le constructeur les mêmes initiales !) achète sa quatrième D.B., un superbe coach HBRS surbaissé.

Il obtient sa première victoire en 1960 aux 1 000 km de Nurburgring en remportant sa classe (9ème au général) avec Jean Vinatier devant la DB « camionnette » de Laureau-Jaeger.

L’heure de la revanche a sonné pour le pilote amateur aux 24 H du Mans.

II court cette fois sur sa propre D.B. (n 52) ayant comme coéquipier un ami fidèle, Bernard de Saint-Auban.

L’assistance est assurée par l’équipe DB. Ils se classent 20″ (4ème de leur catégorie), à la dernière place du classement général, certes !

Mais ils terminent, ce que ne réussirent jamais de très grands pilotes, comme par exemple Juan-Manuel Fangio.

Le coureur qu’il admirait le plus à l’époque était Stirling Moss.

A chaque fois que cet honorable et prestigieux sujet britannique le dépassait, il lui faisait un signe amical de la main.

Pour son 4ème et dernier Tour de France auto en 1960, « Bartho » va choisir pour coéquipier Bernard de Saint-Auban, dont il a apprécié les qualités aux 24 H du Mans.

Dans le « garage royal » de son grand-père à Avignon, on l’appelle « fine oreille » ou « l’argus du moteur » tant il sait détecter avant quiconque le moindre dysfonctionnement d’une mécanique.

Le banquier et le mécano vont former une équipe complète et homogène, le premier fera les courses de côte et le second les circuits.

Tous deux connaissent le parcours par cœur dans les moindres details.

La D.B. surbaissée (n° 105), bien préparée et ayant tourné parfaitement, rien d’étonnant à ce que les deux amis gagnent à l’indice de performance et décrochent le ruban rouge qu’ils offriront à… René Bonnet pour fêter sa Légion d’honneur.

« C’est mon meilleur souvenir en compétition avec le Tour auto 1958 » se plait à dire notre champion des GT a l’indice.

En 1961, il ne fera qu’une seule course, toujours la plus emblématique : celle du Mans.

C’est toujours sur une D.B. (n°47), mais cette fois avec Edgar Rollin pour coéquipier.

Ils seront classés 21ème et avant-derniers.

On peut s’imaginer qu’en gagnant une place chaque année, la victoire aurait été en principe un jour au rendez vous.

Mais la course automobile, surtout en matière d’endurance, n’obéit pas forcement au raisonnement cartésien.

LE CASQUE RACCROCHE MAIS PAS OUBLIE

En 1961, notre pilote-banquier a pris la décision d’arrêter de courir, pour deux raisons simultanées.

La première fut le « divorce » de René Bonnet et Charles Deutsch, qui provoqua la disparition, de l’équipe DB en tant que telle : « ce n’était plus la même ambiance ».

La seconde, les propos de son patron, le pressant de choisir entre la piste ou la banque.

Ainsi, le « Bartho » des copains pilotes s’effaçait-il au profit de René Bartholoni, le banquier fort respectable qui poursuivit avec succès sa carrière dans la banque d’Indochine et de Suez, devenue entre-temps Indosuez : les choses étaient rentrées dans l’ordre.

Toujours d’une très grande gentillesse, chic et très sportif, il continua a pratiquer assidument le ski et la voile.

La page était tournée, jusqu’au jour où il eut l’occasion de se glisser dans l’habitacle de la DB « camionnette » de ses 24 H du Mans 1959.

Il retrouva aussitôt ses « marques » et dit, retenant son émotion : « Je la retrouve avec plaisir, c’est formidable. J’irais bien… faire un tour avec ! « .

Et le 11 mai dernier, il participa avec un plaisir non dissimulé à la « Rétrospective des 24 H Panhard » pour le centenaire de la marque organisée par Etienne de Valance sur le circuit du Mans, où il revenait pour la première fois depuis…1961.

Comme quoi le docteur Jekyll n’a jamais pu se débarrasser complètement de Mr. Hyde…

Charly  RAMPAL (D’après de nombreux entretiens avec René et Fouquet-Hatevilain à cette occasion: un homme très attachant + photo Alain Gaillard)