Un an a passé après la terrible catastrophe de 1955. Tout a changé au Mans. Mais il est resté pareil à lui-même, éternel, triomphal et empoignant.

Néron voulait rebâtir Rome plus belle et la fit incendier. Tout à l’opposé, et bien plus proche du mythe ancestral du Phénix, l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) a retrouvé l’occasion d’une œuvre plus belle dans le désastre qui l’a accablé.

C’est là, la première leçon des 24 Heures du Mans 1956. On avait répété cette année là que la catastrophe du Mans avait porté un coup fatal à une époque révolue… Si l’ACO avait écouté la voix trompeuse de ces sirènes du pessimisme, il aurait abandonné à son sort un monument désormais sans objet.

Mais l’ACO a voulu que les 24 Heures du Mans survivent, et pour cela, il a travaillé d’autant plus qu’il y avait plus à rebâtir. Il s’est dépensé, il a dépensé, il a fait front à mille difficultés, et ce qui était peut-être plus dur encore, à cent hostilités. Il a tenu bon jusqu’au grand jour où il fallait soumettre son œuvre au plébiscite sans appel du public… Nous avons vu le résultat.

En dépit de la date malvenue, des prix des places à la hausse, du plateau moins bien fourni que d’habitude, en dépit de l’inquiétude latente qui ne pouvait manquer de roder sournoisement aux abords du circuit, la même foule est venue, aussi nombreuse, aussi généreuse, aussi attentive.

C’est l’image étonnante, mais criante que nous ont laissé ces 24 H 1956. La nuit était froide, une petite pluie harcelante pénétrait jusqu’à la peau, la piste était moitié déserte à cause de nombreux abandons, toute la compétition se résumait à une lente guerre d’usure, stagnante entre les deux champions mondiaux Stirling Moss et Peter Collins sur leur 3 litres Aston-Martin, et les amateurs écossais Flockhart et Sanderson sur leur Jaguar personnelle. Mais le public restait là, patient, mais attentif, ne voulant rien perdre de ce qui se passait, de ce qui pouvait se produire.

Les 24H du Mans ne sont pas une longue série d’accidents qui se terminent plus ou moins heureusement. Si les nouveaux gradins ont bien transformé les abords de la piste en une sorte d’amphithéâtre romain, la scène n’y est pas dévolue aux belligérants mais à la célébration d’un mystère. Le rendez-vous du Mans a tout d’un pèlerinage.

On y vient de tous les pays, d’au-delà de tous les océans. On y vient de toutes les couches sociales. On y vient de tous les états d’esprit, de la simple curiosité à la passion. Mais à la base de tous ces déplacements il y a la foi dans l’automobile.

Le Mans répond annuellement à ces passionnés, à ces sportifs, à cette industrie soucieuse de se battre sur un terrain de la concurrence posé sur des bases réglementaires saines. A ce prestigieux effort du 20ème siècle, allumé à la fin du 19ème par Bollée comme Levassor et entretenue jour après jour par le pouvoir créateur de générations de techniciens.

L’automobile devenait peu à peu un objet usuel, un élément indispensable de la vie quotidienne, mais c’est aussi et avant tout la matérialisation mirifique d’un rêve ancestral et la manifestation magique du prestigieux destin de l’homme. C’était à cette époque, un objet de culte. Les foules se rendent au Mans comme on obéit à un ordre intérieur de s’intégrer dans le monument des 24 Heures du Mans, cette course comme il n’en existe aucune autre, cette course qui n’en n’est même pas une, cette course où tout prend un aspect merveilleux par ce qu’elle renferme de définitif, d’héroïque, d’inégalable, d’inégalité, de signification profonde et de promesses d’avenir.

Le premier mérite du Mans est de nous dévoiler une fois par an la flamme qui brule dans les cœurs et qui est nécessaire à tout progrès humain.

Ces 24H 1956 ont montré que cette flamme universelle brûle encore en France. Certes, le classement à la distance a couronné des firmes anglaises, italiennes, allemandes. Mais les voitures bleues ont joué dans la bataille un rôle qui ne fut jamais négligeable.

Les deux Gordini de 2,5 litres ont résisté pied à pied aux voitures de Modène. L’une d’elles a été longtemps en tête de ces prototypes de 2.500 cc que le règlement reconnaissait. Tard dans la nuit encore, leur combat restait indécis.

Les dieux du sport n’ont pas voulu non plus que Talbot touchât l’arrivée. Ils ont eu la même sévérité intransigeante pour Panhard dont les magnifiques berlinettes avaient abordé une performance étincelante. Aussi bien a route trop nouvelle et lisse comme un miroir, portait et reportait des coups sournois à ceux qui prétendaient la dompter.

Ils furent heureusement plus indulgents pour René Bonnet, sans doute parce qu’ils sont touchés par ses efforts incessants : « aide-toi et le ciel t’aidera » est une vérité de toujours.
Et les voitures de Champigny ont pu poursuivre jusqu’au bout une ronde qui s’avéra bientôt triomphale. Bien en tête de leur catégorie, elles en furent bientôt les seules représentantes.

Comme ici en piste la voiture de Héchard acheté en novembre 1955 et qui était engagé par son propriétaire secondée par Roger Masson. C’était une conduite centrale de 1954 qui avait gagné l’indice et qui a été transformée par l’équipe DB en conduite à gauche pour répondre au nouveau règlement de l’ACO :

Et les deux DB évoluaient depuis les premières heures de la randonnée parmi la troupe serrée des candidates à la victoire à l’indice…

Dans ce classement qui est une des pierre de base des 24 Heures du Mans et sur la quelle s’est édifié leur retentissement, les DB-Panhard, batailleuses comme des chiens, fatiguèrent tour à tour toutes les autres prétendantes, profitant finalement de ce qu’il ne restait à Porsche qu’une seule voiture (à ménager soigneusement pour préserver la victoire en 1.500 cc) pour lui donner finalement l’estocade.

Car après l’inquiétude d’un départ pris à l’issue de deux jours et deux nuits de travail désespéré, la fatigue s’installa d’abord : Faill et Bruno, les fidèles mécanos, étaient écrasés de sommeil, « Billy » Bonnet chronométrait, aidée de ses deux fils et René Bonnet attendait philosophiquement les mauvaises nouvelles.

Et puis, après le coup dur de la première voiture ensablée au tertre Rouge, les heures passèrent, les concurrents cassèrent et les petites DB bleues continuèrent, grignotant des places, montant à l’indice … et l’optimisme revient au stand.

Armagnac faisait des exploits, Vidilles quittait le volant en disant à Bonnet, qui le relayait : « c’est du gâteau », ce qu’on comprend aisément en sachant qu’il fabricant de petits beurres, et les mécanos auraient pu continuer à dormir étant donné qu’il n’y eut pas à sortir une seule clé à molette durant toute la course.

On voit ci-dessous son coach allégé de 55 kg qui associé à Jean Thepenier (garagiste à Paris) fit une course sans histoire. René Bonnet (pilote suppléant) en prendra le volant le dimanche matin à 7h20 poyur un relais de 3 heures sous la pluie.

C’est en tout cas une sensationnelle victoire que Bonnet a apporté à la France . Sans DB, pas une seule voiture bleue n’aurait été au classement et la « Marseillaise » n’aurait pas été entendue au Mans !

Ainsi, comme en 1954, DB a triomphé à l’indice, suivant une formule qui s’est révélée dès le début, calculée à la perfection.

Ainsi, comme chaque année à l’exception d’une seule, depuis 1950, ce classement à récompensé l’étonnante vitalité du moteur Panhard et tous les héros des ateliers spécialisé de chez DB qui ne sont riches que d’idées et de courage. Même si déjà dans les années cinquante le génie créateur n’est plus que le point d’appui : mais si c’est dans les moyens financiers que réside ce levier dont Archimède disait déjà qu’il pouvait soulever le monde.

Charly RAMPAL