Au début des années 60, Charles Deutsch et son équipe étonnaient en repoussant encore plus loin les limites de l’aérodynamique appliqué à la compétition.

Le CD dit « à ailerons » atteignait celles de l’impossible.

Impossible n'étant pas français, qui mieux que Charles Deutsch est plus à même de nous en parler, je lui laisse la parole : nous sommes en 1964.

« Il y a deux ans, aux 24 heures du Mans 62, la société C.D. était responsable de la Panhard-CD, qui remportait le classement à l’indice de performance.

L’année suivante, André Guilhaudin, pilote du prototype victorieux en 1962, me demanda de l’aider dans la construction d’une nouvelle voiture à base de mécanique DKW.

Ainsi naquit la DKW-CD de 1963 qui fut malheureusement éliminée par suite d’une sortie de route au premier tour, en ayant perdu le contrôle sur une flaque d’essence d’un trop plein de réservoir.

Cette voiture que devaient se partager Guilhaudin et Bertaut dépassa 215 km/h, avec un 700cc (un peu plus de 70ch) sans que des essais complets aient pu être faits : deux semaines plus tard, à Reims, elle frôlait le 240 avec un 1.000 d’environ 100 ch.

Etape vers un dépouillement accru dans la silhouette des prototypes, la DKW-CD précédait de peu un véhicule expérimental, plus élaboré, construit par CD pour Panhard qui envisageait alors de participer au Mans 1964.

Mais les charges de travail imposées à Panhard par le succès de la 24 conduisait cette firme à renoncer à la compétition en direct.

CD – qui n’est qu’un bureau d’études aux moyens limités – se trouvait donc en janvier 64 devant l’alternative : renoncer ou courir au Mans avec ses seuls moyens.

Le fait que deux voitures CD seront sur la ligne de départ samedi 20 juin indique clairement le choix qui fut fait : autant pour la satisfaction intérieure de l’équipe CD que pour maintenir la présence à l’indiscutable épreuve internationale que sont les 24 H du Mans.

Heureusement, très vite, de nombreux concours ont pu être recueillis qui ont permis la réalisation de cette opération. Des mécènes sans qui la compétition ne serait qu’un rêve, même pour une poignée de techniciens entreprenants.

Les voitures présentées au Mans cette année ne seront qu’un compromis.

Le temps et les moyens financiers ont en effet manqué pour pousser à un plus haut degré les recherches rassemblées dans ces deux prototypes.

Trois idées maîtresses ont, sur le plan technique, présidé à la réalisation de ces voitures.

Ces trois idées veulent concrétiser les études très complètes menées depuis plusieurs années par la Société CD sur la dynamique automobile.

Il s’est agi, en premier lieu, de compléter les connaissances actuelles sur le pouvoir directeur des essieux grâce à la construction d’un châssis exceptionnellement rigide, insensible aux efforts de flexion et de torsion.

On s’est efforcé en second lieu, d’associer intimement les réactions aérodynamiques à celles du contact roue-sol dans le comportement de la voiture. Cela n’a été rendu possible que grâce à un contrôle efficace de la portance et des réactions transversales (avec ou sans vent traversier). La forme aérodynamique de la voiture dit donc être un facteur essentiel de tenue de route.

On s’est attaché enfin à résoudre le complexe problème mathématique (jusqu’ici non résolu) né de l’action conjugué des mouvements de roulis et de lacet, mouvements parasites en ce qui concerne la stabilité de la voiture aussi bien en trajectoire rectiligne qu’en courbe.

La solution tient dans la recherche de l’équilibre entre les dérives des trains avant et arrière, équilibre qu’il est possible d’atteindre grâce à une forme fonctionnelle de la carrosserie, à l’indéformabilité du châssis, à la rigidité du guidage des roues et par le choix de la géométrie et de la flexibilité des suspensions.

Tel est le but des recherches poursuivies qui, toutes, venet à l’obtention d’une meilleure tenue de route.

Les CD « Le Mans 64 » concrétisent ces recherches dont l’approche, fait intéressant à souligner, a été réalisés par des moyens conventionnels.

Ainsi le châssis à poutre centrale de section circulaire, les roues indépendantes à guidage par quadrilatère transversaux et dont les triangles ont un axe d’articulation horizontale et parallèle au plan de symétrie longitudinal, la barre stabilisatrice arrière.

La lecture de la fiche technique ci-jointe donnera une vue plus précise de la conception de ce prototype mais il convient de souligner trois points :

1 – LE MOTEUR

Il s’agit du moteur Panhard Tigre de série légèrement modifié (deux carburateurs, arbre à cames, etc..) sur lequel a été adopté un souffleur dont la pression de sortie est relativement faible.

Il ne faut pas oublier que l’endurance est, au Mans, un facteur essentiel de réussite.

Les études CD précédentes ayant porté sur le moteur 700 cm3, le temps et la finance ont manqué pour « reprendre » dans le mêmes sens le moteur 850 cc.

Quand bien même le problème moteur eût été résolu de la façon la plus satisfaisante (c'est-à-dire si l’on avait réussi à obtenir 100 ch) d’autres problèmes auraient été soulevés qui n’auraient pu trouver de solution dans les délais impartis (pneumatiques, transmission, freins, par exemple).

Aussi est-il apparu plus sage de procéder par étapes, sans s’attacher à la recherche d’une puissance « compétition », pour reporter tous les efforts sur la forme aérodynamique de la carrosserie et de tenue de route.

Dans ces conditions, seul un compresseur permettait de hisser la mécanique Panhard au niveau des exigences du règlement 1964 qui évince les voitures de moins de 1.000 cc.

Avec le coefficient d’équivalence de 1,4 appliqué au compresseur, les CD se trouvent donc en compétition avec les voitures de 1.200 cc.

Compte tenu des réserves qui précèdent, il est bien évident – puisque la plupart de ces voitures disposeront aisément de plus de 100 ch – que l’utilisation du compresseur n’a pas été orientée vers la puissance.
Cela exclut intégralement toute ambition en ce qui concerne le classement à l’indice de performance.

Reste alors la possibilité de figurer honorablement au classement au rendement énergétique, classement qui tient compte à la fois de la vitesse et de la consommation.

L’adaptation du compresseur a visé un double objectif : arrondir la courbe de puissance du moteur et rechercher la meilleure consommation spécifique.

Ce moteur sera servi par une boite ZF :

2 -LES PNEUMATIQUES :

S’intéressant depuis 1962 au développement des prototypes CD, Michelin a bien voulu mettre au point cette année un nouveau pneu à carcasse radiale susceptible de supporter de très grandes vitesses.

La conception même de ces pneus Michelin X à armature métallique permet d’avoir la souplesse des flancs et une très grande rigidité de la carcasse avec une section très réduite.

Bien que monté sur des jantes de 14 pouces, le diamètre de roulement de ce pneu nouveau est celui d’un 13 pouces traditionnel, la largeur du boudin n’étant que de 142 mm.

3 – LA CARROSSERIE :

Enfin, qui, bien que d’aspect inédit, n’en est pas moins réalisé – pour des raisons d’économie - à partir du prototype construit en 1963.

Il en résulte qu’elle est un peu plus spacieuse que ne l’exige le respect des côtes minimales réglementaires.

Elle marque cependant un progrès en ce qui concerne notamment :

- le groupage des prises d’air (refroidissement, alimentation du moteur, ventilation des freins, etc…)


- le carénage enveloppant les roues avant,

- la localisation respective des centres de poussée aérodynamique, de gravité d’équidérive,

- la forme extrêmement complexe des dérives verticales : elles avaient pour objectif d’obtenir une auto-stabilité par leur calage vrillé. Dans ce but, à leurs bases les dérives présentent un calage convergeant vers l’arrière de manière à ce qu’elles s’accordent avec les flux d’air qui longent la carrosserie. En se prolongeant vers le haut, l’écoulement de l’air ne subit plus l’influence de la carrosserie, c’est pourquoi les dérives ont une forme vrillée afin de retrouver un calage à zéro à leur partie haute.

- le contrôle de la portance, avec et sans vent traversier, grâce au tracé du profil longitudinal et à la continuité des surfaces ou l’on note l’absence de relief, d’angle vif, le réduction au minimum des ruptures de lignes, etc…

- l’optimisation de la finesse aérodynamique se traduit par la tentation d’organiser la réunion à l’arrière des flux d’air. Le résultat est un bord de fuite aussi mince que possible dont la hauteur et la forme ont été définis afin que les flux provenant du dessus et du dessous se raccordent sans turbulence.

Grâce à la remarquable finesse aérodynamique de la carrosserie, il semble raisonnable d’attendre des prototypes CD « Le Mans 64 » des performances élevées qui devront toujours être rapprochées de la puissance effective disponible (environ 70 ch). »

Hélas, on a souvent constaté un écart entre les promesses de performances obtenues avec les maquettes en soufflerie et la réalité mesurée sur la route après réalisation.
Ce qui fut malheureusement le cas avec cette CD.

Après Charles Deutsch, écoutons Robert Choulet, chargé des études aérodynamiques.

« Structurellement, cette voiture était fort classique : traction avant avec moteur en porte à faux, à châssis formé par une poutre centrale de forte section.

Se développant en berceau tubulaire autour du bloc, et les suspensions étaient indépendantes à l’avant comme à l’arrière, grâce à un système triangulé classique.

Les amortisseurs n’étaient pas réglables, mais nous avions un faible angle de roulis, l’axe de roulis était assez haut, à 140 mm du sol, et le centre de gravité assez bas, principalement grâce au moteur à plat.

Par contre, l’aérodynamique était un peu banal, principalement à cause des grandes dérives vrillées, primitivement prévues pour un engin de record.

La trainée était insignifiante, la portance nulle, le centre de poussée transversale voisinait avec le centre de gravité, et le Cx plafonnait à… 0,12, grâce entre autres, à un carénage latéral complet des roues avant et arrière.

Le CD 64 était d’une stabilité extraordinaire, et elle se conduisait comme un vélo : le vent transversal n’avait aucun effet et la tenue de route à grande vitesse était stupéfiante.

Quant à l’équilibre des dérives des essieux, il était parfait et conférait des vitesses de passage en courbe rapide comme en virage serrés, tout à fait hors du commun.

Ceci n’était pourtant vrai que sur le sec, car sur le mouillé, le CD 64 sous-virait fortement, ce qui contraignait les pilotes à adopter une technique de pilotage fort spéciale !

Il faut dire que ce sous-virage provenait en grande partie de la dimension des pneumatiques que nous avions, toujours dans un but aérodynamique, calculé au plus juste, puisque la largeur des bandes de roulement, n’excédait pas 8 cm !

Je croyais cependant dur comme fer en ce modèle, car, sans expérience de pilotage aucune, je l’avais conduit à plusieurs reprises sans aucun problème, tant sur la route qu’en circuit, et j’avais remarqué que plus la vitesse augmentait plus il devenait stable !

Au Mans, il atteignait facilement 220 km/h pour 64 ch, et la tenue de route en courbe permettait de passer les fameux virages de Maison Blanche, maintenant disparus, à la même vitesse que les Ford et les Ferrari !

Afin de résoudre complètement le problème de sous-virage sur le sol mouillé, j’avais décidé de faire évoluer la voiture :
- accroitre la largeur des pneus
- réduire le moment d’inertie polaire en positionna en arrière de l’essieu
- diminuer les transferts de charge transversaux et longitudinaux en virage et en accélération, en abaissant notamment le centre de gravité et en agrandissant la voie et l’empattement.

Hélas, je n’en eux jamais le temps, puisque pour 1965, nous changions de fusil d’épaule en adoptant un moteur de plus forte cylindrée et situé à l’arrière ».

Charly RAMPAL Documents « Moteur-Moderne » du PRT

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