LE TRACTEUR CHATILLON-PANHARD : LES ESSAIS
Essais officieux en 1911.
Le tracteur Chatillon-Panhard tel qu’il existait en 1911 (avec un moteur 6 cylindres de 100 x 140 donnant 35 ch à 1.000 t/mn et 45ch à 1.400 t/mn et boite donnant : 2km8, 7km , 12km et 13km9 à 1.000 t/mn) avait été soumis, en présence de quelques membres de la Commission centrale des Automobiles utilitaires, à divers essais officieux effectués pendant le concours militaire de 1911.
Le tracteur taré à 7.500kg, avec un poids sur l’essieu arrière de 4.000 kg et remorquant deux camions automobiles du poids de 11.500 kg (soit un poids total de 18.000 kg) a remonté à bonne allure la rampe de 6,5 p. 100 de Satory (macadam en bon état).
Il a ensuite remonté une rampe un peu meuble de 11 p. 100 (en cassant les chaines de remorque).
Le tracteur seul a franchi un talus de 80 cm incliné à 30°. et un arbre de 40 cm de diamètre placé en travers de la route. Enfin le train tout entier (10 tonnes) a évolué dans le terrain assez meuble du plateau de Satory.
Essais à Vincennes en 1912.
En juillet 1912, le même tracteur, a effectué divers essais officiels dans les environs de Vincennes devant une commission spéciale désignée par le ministre de la Guerre.
Le tracteur était taré à 6.000 kg dont 2.000 kg de charge utile.
La charge sur l’essieu arrière était de 3.500 kg.
Le tracteur a imprimé à un train du poids total de 19 tonnes une vitesse de 18 km en palier et de 3 km en rampe de 8 p. 100.
Le moteur a calé dans un lacet d’une rampe de 9 p. 100.
Le même convoi, marchant à 5 km à l’heure, a été arrêté sans difficulté dans une pente de 9 p, 100 par les freins du tracteur et des remorques.
Dans le polygone de Vincennes, le tracteur seul, taré à 7 tonnes, a pu gravir une courte rampe de 37 p. 100 (butte de tir).
Attelé à un convoi de 19 tonnes, il a trainé ce convoi dans le polygone à une vitesse variant de 4 à 10 km, et il a toujours pu dégager, à l’aide de son treuil, le convoi embourbé dans des passages mauvais. Il a pu faire franchir à un canon de 155 long ou à un mortier de 220, un tronc d’arbre de 20 cm de diamètre et un fossé de 3 m de largeur sur 1m de profondeur.
Manœuvres d’Anjou.
Aux grandes manœuvres d’Anjou, en 1912, le tracteur remorqua avec la plus grande facilite, tant sur la grande route que dans de mauvais chemins, et même dans des chaumes, trois voitures constituant une pièce complète de mortier de 220 (tracteur de 7 tonnes, voiture-canon de 3t 7, voiture-châssis de 4,25, voiture-plate-forme de 4t 2, au total : 10t 150).
Le train mesurait 25 on, alors que, attelé de chevaux bataille, transport si difficile à mesurer à cette époque avec les attelages dont disposait l’artillerie.
Il y a longtemps, au reste, que le problème du tracteur d’artillerie puissant avait été posé à l’étranger.
C’est ainsi que, dés 1904, on exécutait en Autriche, des essais avec une batterie d’obusiers de 15 cm, divisée en deux demi-batteries comprenant chacune :
- un tracteur pour transporter les agrès, 64 coups et 12 servants.
- Deux obusiers de 15 cm.
- Une voiture à munitions portant 36 coups, 6 servants et divers accessoires.
- La vitesse moyenne du convoi atteignait seulement 5 à 6 km à l’heure et sa longueur était. d’environ 60m.
Vers la même époque, le colonel du génie portugais du Bocage qui connaissait les résultats très intéressants obtenus par M. Brillié, l’ingénieur bien connu, avec une benne automobile basculante de sa construction, employée comme tracteur au concours de l’alcool en 1903, faisait construire au Havre, par les ateliers Schneider, la batterie automobile de quatre obusiers de 150 mm dont, nous avons parlé plus haut, et qui était, destinée à la défense mobile du camp retranché de Lisbonne.
En 1911, de nouveaux essais eurent lieu en Autriche avec un tracteur Daimler, qui trainait les voitures de 3.500 kg kg du mortier de 24cm, modèle. 98,
Enfin, au même moment, on exécutait dans le même pays des expériences de traction automobile avec le mortier de 30cm5.
En France, en dépit, des efforts d’un certain nombre d’officiers, parmi lesquels le général directeur Mengin, alors en poste de directeur de l’artillerie, on a attendu plus longtemps pour appliquer la traction automobile à l’artillerie lourde, mais le retard va être rattrapé et profiter des progrès remarquables accomplis, à ce point de vue, dans notre pays.
Il résulte, en effet, des expériences faites, qu’on peut aisément remorquer un train de 15 tonnes (21 à 22 tonnes au total avec le tracteur Chatillon-Panhard) à la vitesse moyenne de 9 km en terrain accidenté, de 11 à 12 km en terrain moyen, c’est-à-dire à une vitesse au moins double de celle que permettent d’obtenir les chevaux.
D’autre part, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut à propos des manœuvres de l’Ouest en 1912, on raccourcit ainsi considérablement les colonnes, un train de 25 ni remplaçant avantageusement une colonne de 75 à 80 m et économisant 34 chevaux et 15 conducteurs.
Or, un résultat de ce genre n’est pas à dédaigner à une époque où les chevaux et les effectifs semblent avoir une tendance à se raréfier.
Ajoutons que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un tracteur à adhérence totale, bien compris, peut sortir le matériel qu’il traine de beaucoup de mauvais pas où les attelages resteraient absolument impuissants.
Cela tient à ce que l’énorme élasticité de puissance du cheval disparaît quand on se trouve forcé d’employer à un même effort plus d’une dizaine de chevaux, à moins que ces chevaux n’aient reçu un dressage spécial et ne se trouvent admirablement conduits, ce qui ne peut guère être le cas dans l’armée.
La puissance d’un tracteur est, au contraire, beaucoup moins limitée.
Comme, d’autre part, le tracteur peut parcourir, dans sa journée, 90 km plus facilement que les chevaux n’en parcourent une trentaine, ce qui est particulièrement précieux pour le ravitaillement de l’artillerie moderne, on voit quel précieux concours cet engin pourra apporter à l’artillerie de cette époque si l’on sait utiliser convenablement son énorme rendement.
Cette utilisation du tracteur à adhérence totale va amener, dans un avenir plus ou moins éloigné la création d’une arme nouvelle, l’artillerie automobile.
Une conception de ce genre paraissait, il y a quelques années seulement, une aimable fantaisie.
L’armée aurait du se rappeler qu’en 1779, l’inventeur de la locomotion automobile, l’illustre Cugnot, avait été traité de visionnaire par des hommes considérables de son temps parce qu’il prétendait « substituer aux voitures et chevaux qui traient l’artillerie, des machines à feu mises en mouvement par des pompes et pistons ».
Cugnot n’avait qu’un tort, celui de s’être trouvé de plus d’’un siècle en avance sur ses contemporains et d’avoir, par suite, suscité l’opposition irréductible de ce personnage immuable et tout puissant qui existait déjà sous Louis XVI sous un autre nom que celui de M. Lebureau.
Il semble que cette opposition ait disparu et qu’un souille nouveau anime, du plus petit au plus grand, les artilleurs de 1913.
Le général marquis de Saint-Auban, s’il vivait encore, déplorerait une fois de plus « la manie des nouveautés portée à un point à peine croyable et l’illusion qui faisait donner, en 1768, des ordres pour l’essai d’une pareille machine » !
Mais il finirait sans doute par comprendre qu’un engin capable de traîner, à travers champs, les lourds tombereaux chargés de betteraves de nos départements du Nord, n’éprouverait pas de difficulté sérieuse à amener, sur la ligne de feu, les canons à tir rapide de notre artillerie lourde et surtout à les alimenter en munitions. Il reconnaîtrait peut-être alors que, contrairement aux affirmations de l’Ecclésiaste, il n’est pas impossible de rencontrer quelque chose de nouveau sous le soleil.
EMPLOI DU TRACTEUR EN TERRAIN VARIE
Enfin, et pour terminer cet article, je vous joins ci-après les recommandations de l’utilisation du tracteur en terrain varié.
En terrain varié les obstacles rencontrés sont de natures très diverses et peuvent généralement se ranger dans les catégories suivantes. Sol dur et glissant (Cas du pavé mouillé).
Les roues patinent : jeter sous les roues du sable, des scories, des cendres, du machefer.
Monter les chaines antidérapantes.
Quand deux roues seulement patinent, bloquer le différentiel.
Quand les moyens précédents ne suffisent pas, tirer le train remorque par remorque, ou tirer le train au treuil.
Sol couvert de neige.
Mêmes observations que précédemment, sauf pour le sable qui ne donne pas de résultats.
Sol argileux.
Les remorques donnent beaucoup de tirage.
Les roues du tracteur s’enfoncent et patinent, ou le moteur cale.
Si les roues patinent, monter les chaines ; si cela ne suffit pas, monter les ceintures de roues.
Si le moteur cale, remorquer voiture par voiture, ou employer le treuil.
Remarque. — Quand les roues s’engagent dans le sol jusqu’au moyeu, plusieurs organes de la direction prennent contact avec le sol.
Il faut manœuvrer le tracteur avec beaucoup de précautions pour ne rien fausser et, au besoin, dégager ces organes à la pioche. (Se méfier des manœuvres en marche arrière.)
Fossés et levées de terre.
Avant d’aborder l’obstacle, se rendre compte si le treuil, les organes de direction ou les coffres ne prendront pas contact avec le sol.
Écrêter le terrain pour obtenir le passage de ces organes.
Si, par une fausse manœuvre, l’un de ces organes prend contact avec le sol, arrêter de suite le tracteur, et dégager à la pioche.
Ces obstacles ne doivent pas être pris obliquement, mais de front.
Passage d’un tronc d’arbre.
S’assurer d’abord qu’aucun organe ne prendra contact avec le tronc d’arbre entre les roues avant et les roues arrière.
Le tracteur doit aborder l’obstacle de front, de façon que les deux roues avant l’attaquent en même temps.
Freiner le tracteur dès que les roues arrivent à la partie supérieure pour éviter, à la descente, la chute trop brutale du tracteur sur le sol.
Remarque. — En terrain varié, les obstacles doivent être abordés très franchement et sans hésitation, après avoir pris les précautions indiquées plus haut. Voilà, je crois vous avoir tout dit (et plus..) sur le tracteur Chatillon-Panhard fleuron de notre marque Panhard en 1913 qui a même était honoré par un timbre postal…
… des maquettes en situation !
.. Enfin en carte postale.
Charly RAMPAL (Extrait de la Revue d’Artillerie de juillet 1913, Photos des archives Panhard)