On peut écrire je crois, que l’Ancien Testament de l’automobile s’arrête à l’époque où la maison Panhard et Levassor et la maison Peugeot entrent dans l’industrie automobile.

Le Nouveau Testament s’ouvre et débute par une curieuse dizaine d’années qu’on a appelés les « temps héroïques ».

Les temps héroïques de l’automobile sont ceux où les constructeurs cessent de construire en quelque sorte à vide, sans clients ou presque, ceux où quelques centaines d’enragés dans toute la France commencent à acheter des voitures et à les mettre à rude épreuve.

Ces temps héroïques, où constructeurs et clients se trouvaient face à face, ont duré de 1890 à 1900 à peu près.

Cette délimitation est évidemment fantaisiste, mais elle est commode et correspond d’ailleurs assez bien aux faits.

Dès que les voitures sans chevaux ont atteint un degré suffisant de perfectionnement, une clientèle d’élite, d’élite par son enthousiasme tout au moins, est accourue à elles.

Constructeurs et clients ont fait ainsi une sorte d’apprentissage réciproque.

Plus tard seulement, à partir de 1901 si l’on veut, le public a commencé à venir à la grande révolution automobile.

1890 – 1900 ! Beaux temps, pleins d’angoisse et de charme !

Belles années de désespérance et d’acharnement !

C’était l’époque où les clients présentaient à la pratique grincheuse les modèles nouveaux des constructeurs, où les fanatiques chevauchaient vraiment parfois, des monstres récalcitrants !

Quelle épopée admirable et grotesque par parties égales, que la lutte pour la conquête du moteur à explosion !

Aujourd’hui, la bête est domptée.

Le démarreur donne au moteur l’ordre de partir, même à distance à partir de son Smartphone aujourd’hui, et l’on s’envole !

Au temps héroïque, on tournait la manivelle, et la voiture au garage restait immobile au-dessus de sa fosse.

On tournait, on tournait jusqu’à ce que la tête vous tournât !

Alors, on appelait un domestique.

On se mettait à deux.

Tandis qu’il tournait à son tour, on ouvrait et on fermait, un peu plus ou un peu moins, le registre de l’air…

Tout à coup une explosion à contresens lançait la manivelle sur le bras du domestique – Aië ! – « ce n’est rien ! » – « courage, le moteur a parlé ! ».

Et le domestique, mal rassuré, tournait encore, et le moteur se mettait en route.

Alors, les deux se regardaient parce qu’après s’être demandé pourquoi le moteur ne partait pas, ils se demandaient maintenant : pourquoi il venait de partir !

Et le domestique lui-même se frottant le poignet, les deux se mettaient à rire !

On grimpait vite sur la bête.

L’embrayage était rude. Elle démarrait fréquemment par bons, à la façon d’un kangourou : la progressivité se sera pour plus tard.

Enfin, on partait pour l’inconnu !

Car on savait par expérience que l’on serait arrêté 3 kilomètres plus loin par une panne, mais on était incapable de prévoir quelle elle serait.

On avait coutume de dire que, comme au baccara, en automobile, tous les coups sont nouveaux.

Le charme le plus certain du voyage en automobile aux temps héroïques, était l’imprévu de leurs résultats.

Les engrenages tournaient tous à découvert, et ils étaient faits en bronze, comme les cloches.

Les projecteurs n’étaient pas inventés, et le plus souvent même l’automobile ne portait pas de lanternes, probablement parce qu’on savait qu’avant que la nuit n’arrive, le véhicule serait dans l’impossibilité de continuer à se mouvoir.

Le tableau routier de l’époque était souvent celui d’un personnage assis sur le bord de la route, les pieds dans le fossé, les manches de sa chemise retroussées jusqu’aux coudes, qui enfonce à grands coups de marteau des clous dans des morceaux de cuir.

Qui est-ce ? Un chauffeur des temps héroïques qui raccommode sa courroie de transmission : il vient de la ramasser sur la route !

Sur son visage, aucune impatience ne se lit.

La résignation lui est venue avec l’habitude des pannes.

10 kilomètres auparavant n’a-t-il pas refait le joint de culasse de son moteur, avec de l’amiante et du blanc de céruse ? L’eau de refroidissement entrait dans les chambres d’explosion…

Temps héroïque que ceux de la carburation, nom encore mystérieux qui passait de bouche en bouche.

Les épousailles de l’air et du pétrole (essence), pratiquée dans les tortueux couloirs du carburateur, derrière des grillages et des guichets, inquiétaient l’âme du débutant.

« Ne suivez pas les rivières, disaient les expérimentés, la carburation en serait troublée ! Les forêts sont à éviter aussi, mon ami, ainsi que les soirées fraiches, mais aussi les matins frileux et les jours de grand vent ! Craignez du reste le soleil, et surtout redoutez la pluie… »

VINT ALORS LA MAISON PANHARD ET DES HOMMES DE QUALITE

Elle devait jouer un rôle considérable dans l’industrie automobile et le sport automobile.

Pourtant elle semblait tout d’abord ne posséder vers eux aucune propension.

Elle avait été fondée, sous un tout autre nom, celui de Perin, en 1845, par un modeste découpeur de bois, au fond d’une cour, au 97 du Faubourg Saint-Antoine.

Mais ce Perin, avait l’esprit aussi inventif que sage et peu à peu avait si bien modifié et enrichi l’outillage des machines à travailler le bois qu’il était devenu un des grands maîtres de son industrie et qu’en 1867 un ingénieur sorti de l’Ecole Centrale, René Panhard, s’associait avec lui : deux cerveaux de même ordre mais un peu différemment orientés.

L’ingénieur ajoute à l’outillage pour le bois, la fabrication de machines à travailler les métaux.

Pendant la guerre de 1870, il procède à la fabrication et au forage de canons qui lui sont commandés par le gouvernement de la défense nationale.

Puis la paix revenu, on reprend le travail de paix.

La maison Périn-Panhard, dont les ateliers occupaient déjà une centaine d’ouvrier en 1873, se transporta alors au sud-est de Paris, avenue d’Ivry, pour y jeter les premières fondations des usines que nous autres, panhardistes, avons si bien connues, et les deux associés en prennent un troisième : Emile Levassor, un camarade de promotion de René Panhard.

A la mort de Périn, en 1886, la raison sociale devient Panhard et Levassor.

Les deux branches, bois et métal, allaient s’épanouir sous ces deux couleurs.

En 1889, un troisième camarade de promotion de Centrale , nommé Sarrazin, qui avait été expert dans un procès engagé par Lenoir contre la maison allemande Otto, laquelle avait d’ailleurs perdu sa cause, avait reçu de Daimler la mission de négocier en France la vente de brevets concernant les moteurs à explosion.

Il venait de les offrir à Levassor quand subitement il était décédé.

UNE FEMME AUSSI

Sa veuve continua la négociation, dont le succès fut à la base de la grande renommée de la maison Panhard.

Sans rentrer dans les confidences sentimentale, notons que le 17 mai 1890, Mme Sarazin épousait Emile Levassor.

L’histoire du tout Nouveau Testament de l’automobile française, débuté en 1890, était en grande partie due à Panhard : on connait la suite, de nombreux ouvrages l’on raconté, je n’y reviendrai pas.

LE SUCCES DE PANHARD

L’engouement de la clientèle éclairée pour les voitures Panhard et Levassor fut si rapide qu’aux abords de l’année 1900 elles donnaient lieu à un curieux marché, tout à leur honneur, dont l’histoire de l’automobile en a conservé le souvenir.

Comme toutes les maisons de construction de cette époque-là, Panhard et Levassor ne fabriquait que le châssis et l’ensemble mécanique.

Il appartenait au client de faire transporter ce châssis chez un carrossier de son choix et de l’y faire habiller et garnir de tous les accessoires à son goût.

La fabrication des automobiles en série complètement terminées ne date guère en France que de 1920, réalisée à l’instigation de l’exemple américain.

C’est donc vers 1900, le succès des châssis de l’avenue d’Ivry était déjà assez grand pour que l’usine fût débordée.

Lorsqu’un amateur passait commande et, selon la coutume du temps, versait « un tiers à la commande », le caissier consultait son livre d’ordres et, généralement ajoutait au bas du reçu ces mots : « Livraison dans dix-huit mois à dater de ce jour et sans garantie de date. »

LE ROLE DE PANHARD EN CES TEMPS HEROIQUES

Le rôle qu’a joué Panhard dès les temps héroïques et tout au long de l’évolution de notre industrie automobile, fut celui de la sagesse et de la clairvoyance.

Ces rares qualités lui ont valu le surnom qu’on lui a souvent donné de la Doyenne, l’Exemplaire avant d’être d’avant-garde.

Les constructeurs des temps anciens n’ont vu d’abord l’automobile qu’à travers le vélocipède !

Erreur que Panhard a d’abord commise puis rectifié tout de suite, dès 1893, en montrant au monde que l’avenir voulait non tant des cycles qui roulent tout seuls que de véritables voitures, qui nécessitaient un mécanisme qui leur fût propre.

En 2021 nous fêterons le 130ème anniversaire de cette grande maison qui inventa l’automobile pour tous…. Soyez au rendez-vous !

Charly   RAMPAL