Prévu dans les années cinquante pour remplacer le célèbre bi-cylindre, le 4 cylindres Panhard a bien failli voir le jour. C’était sans compter sur le véto de Citroën qui, dès 1955, retardera sa sortie pour des raisons financières, puis le rejettera pour cause de concurrence avec le futur produit de milieu de gamme de la marque du quai de Javel.

Pourtant les études ne manquent pas, à commencer par le moteur en X et bien sûr, celle extrapolée du 4 cylindres d’origine militaire.

C’est au centre d’essai Citroën de la Ferté Vidamme que les portes se sont ouvertes sur un des prototypes conçu par la marque dans les années cinquante.
Cette voiture n’a jamais été présentée au public.
Dans sa livrée bleue layette, elle apparaît comme une grosse AMI 6 dont elle reprend la lunette arrière inversée, ainsi que le tissu intérieur et quelques accessoires, mais la filiation s’arrête là.

UN PEU D’HISTOIRE

Après 1955, la gamme Citroën est composée de deux grands pôles : la 2cv et la DS.
Pour Pierre Bercot, le PDG de la marque aux chevrons, ce vaste espace entre les deux modèles doit être comblé. Ce sera fait partiellement en peu de temps avec la sortie rapprochée de l’ID et de l’Ami 6 qui constitueront en quelque sorte le bas de gamme DS et le haut de gamme 2cv.

Mais le besoin urgent d’un véhicule spécifique ou milieu de gamme reste entier. Une étude est donc mise en route pour un véhicule intermédiaire, une berline familiale de quatre places dotée d»’un moteur à 4 cylindres.

Le prototype en question est-il une réponse à ce cahier des charges ?

Nous sommes tentés de le croire bien que rien n’ait pu confirmer une telle hypothèse lors de nos recherches.
Encore un peu énigmatique, la plaque constructeur indique seulement : « ELV 19.36 », ce qu’on peut traduite par « E » Etude, « V » Vélizy, quant au « L », il reste à découvrir.

UN EXERCICE DE STYLE

Au second regard, on constate que la lunette arrière possède des contours bien différents et plus travaillés que ceux de l’Ami 6. Elle se rapprocherait volontiers des Lincoln Continental de 1959 ou des Mercury 1963. La différence la plus marquante réside dans l’absence de visière qui rend son aînée, l’Ami 6, si plaisante avec ses montants de pavillon tulipés. Une puissante ligne de lumière court du pare-brise à l’extrême arrière.

A l’avant, le capot évoque d’autres souvenirs : s’il s’est fait quelque peu forcer la main pour former le capot plongeant de la DS, Flaminio Bertoni semble ici y avoir pris un certain plaisir. Il nous parait même plus imposant que celui de sa grande sœur. Les ouïes placées légèrement devant l’axe de l’essieu, laissent deviner la présence de quelque système original…

Le pare-choc courbe est formé dans le profil en alu de ceux de l’Ami 6 et les phares doubles sous verre rapporté rappellent ceux de la 24.
Ils auraient gagné à être plus inclinés pour suivre la courbe du pare-brise qui, s’il n’est pas à proprement parler, panoramique, n’en est pas moins très large et très enveloppant.
Vue de profil, les portes arrière sont longues et donnent à cette petite berline de faux airs de limousine.

A l’arrière, de volumineux blocs optiques recouvrent les petits feux ronds de l’Ami 6.
Le toit lui, est la première approche d’une autre idée : donner plus de rigidité face aux chocs latéraux. Dans cet esprit, il est soudé ou collé ( ?) sur les brancards de toit avec un couvre joint, comme cela sera popularisé plus tard sur la Renault 16.

La carrosserie a été entièrement réalisée à la main sur des formes en bois de frêne ou de hêtre, sans l’aide des plans de carrossiers. Les éléments ont été ensuite assemblés un par un et les améliorations de détails y ont été directement appliqués. Ceci est toujours le cas des véhicules d’étude et des deux ou trois prototypes réalisés avant découpe pour industrialisation.

UN MYSTERIEUX MOTEUR

Côté mécanique, l’hydraulique est omniprésente. Cela n’a donc rien à voir avec une plate-forme de bicylindre, bien que les confidentielles M35 aient rassemblées les deux solutions.

Le caisson-poutre est de filiation DS incontestablement, bien que de facture bien moins « industrielle ». Capot levé, les ailes et l’auvent dévoilent leur tôle d’aluminium sans trop de traces d’oxydation : c’était l’époque de la folie "aluminium " nous déclare un vieux serviteur du double-chevron « on l’assemblait, on le rivetait, on le collait, on l’adhérisait de mille manières, c’est tout juste si on n’en bouffait pas au petit déjeuner » !

En toute apparence, on retrouve toute l’hydraulique de la DS sur un véhicule de moindre gabarit. Sans être réellement le prototype de la GS, cela annonce une préoccupation du même ordre. Ici tout est à sa place avec encore un peu d’ostentation tandis que dans la GS tout disparaitra sous l’ombre protectrice du moteur.

Sur ce prototype, il s’agit d’un 4 cylindre à plat refroidi par air avec un extracteur horizontal type Porsche, entrainé par une courroie trapézoïdale au trajet sinueux semblable à celle d’une Peugeot 204.

Les anciens consultés se rangent en deux camps :
Pour les uns, il s’agirait d’une extrapolation du 6 cylindres à plat créé à l’origine pour la DS. Refroidi par air, il se révélait peu fiable à pleine puissance et trop mou une fois dégonflé. Refroidi pas eau, il était de construction onéreuse posant des problèmes d’investissement industriels.

Toute fois à cette époque de « collaboration active » entre Citroën et Panhard, une seconde hypothèse serait la présence d’un moteur Panhard de la famille des AML. Cela a été notre première impression à la vue de la dynamo de 130mm de diamètre, plus dans les normes d’un véhicule militaire que de tourisme !

Ce qui est certain par contre, c’est que ce moteur a longuement tourné : la turbine est noire de crasse et un peu grasse. Elle a pour fonction d’aspirer l’air à travers le moteur et de le rejeter par les ouïes du capot, à un emplacement pourtant plus propice à faire entrer l’air qu’à le pousser dehors.

Sur le plan des liaisons au sol, on note des bras poussés à l’avant, tirés à l’arrière, d’une taille intermédiaire entre ceux de la DS et des bicylindres.
La barre antiroulis est ici positionnée à hauteur de la crémaillère, plus en hauteur et d’un accès plus aisé que celle de la DS.

Dans la boite à gants, deux manomètres, l’un à haute pression avec robinet et l’autre basse tension sans robinet rappellent qu’il s’agit encore d’un véhicule d’étude où l’on surveille attentivement la suspension.

UN HABITACLE FAMILIER

L’habitacle est clair, vaste et presque trop vitré. Une ambiance qui n’évoque absolument pas le véhicule laboratoire. La finition est très soignée avec un revêtement de sol gris gaufré, et l’habillage des banquettes et des sièges en tissu bleu similaire à ceux des Ami 6 des années 61 – 62.
Les passagers arrière disposent d’un vaste espace qui n’est pas sans rappeler, à son échelle, l’habitabilité de la DS.

Le tableau de bord est d’un grand classicisme, un peu rigide, non sans un air de famille avec celui de l’ID 19 de 1959 / 62, ou mieux celui de la M35 : gainage de cuir noir, bandeau intermédiaire métallique avec des cadrans standards Jaeger.

Le compteur kilométrique gradué jusqu’à 180 km/h indique un kilométrage important pour un prototype.

Le grand levier de vitesse, plus « queue de vache » que « moutardier » de boite Cotal intrigue de prime abord mais la paume de la main se pose tout de suite sur la boule de plastique blanche si familière aux amateurs des bicylindres Citroën. Les vitesses sont en ligne comme ça avait été envisagé pour la DS et révèlent donc une probable commande des fourchettes par poussoir hydraulique.
Terminons par le coffre à bagages très volumineux bien dégagé par la position inversée de la lunette mais au seuil aussi haut que celui de l’Ami 6 de série.

L’EMPREINTE D’UNE EQUIPE LEGENDAIRE

Installé aux commandes, les premières pensées vont à ceux qui, les premiers, s’y sont trouvés avant nous et qui ont tourné inlassablement sur la piste, ici-même.

Les maîtres tôliers qui ont formé la carrosserie, les ouvriers qui, à Vélizy, ont réalisé l’assemblage en improvisant quelque peu sous la direction d’un quarteron d’ingénieurs citroenistes ¨ : Lefebvre, Becchia, Magès et Bertoni qui propulsèrent Citroën à des sommets inégalés de succès et d’estime dont leurs successeurs profitent encore abondamment.

ELV 19.36 est donc la matérialisation d’une dernière œuvre, un testament de ces hommes totalement investis dans une œuvre commune.

Pour nous panhardistes, si ce moteur est bien celui qui aurait du équiper nos chères voitures, le voir sur un prototype Citroën si près de la commercialisation est une consolation de plus de la qualité des produits de la Porte d’Yvry.

Charly RAMPAL (remerciements à Dominique PAGNEUX pour son précieux témoignage.)