Le sujet n’est pas nouveau : la montée en puissance et le basculement prochain vers la voiture électrique, m’a poussé à rechercher les origines et les tentatives vers ce mode de locomotion.

Après mon article sur le camion K47 de Panhard et du Junior d’Henri André, que j’ai retrouvé un article intéressant et prémonitoire dans le magazine « L’Automobile » n°164 de décembre 1959 qui fait le point de cette énergie pour l’automobile des années soixante, et tellement d‘actualité, le voici.

« Inséparable des origines de l’automobile, la voiture électrique va-t-elle, retrouver l’audience que devraient lui conférer les conditions actuelles d’économie et de circulation, et, paradoxalement, constituer un aboutissement logique, après la longue éclipse imposée par le moteur thermique?

Bien que beaucoup de raisons militent en faveur d’un retour à ce mode d’énergie, et qu’à l’heure actuelle des efforts symptomatiques soient consentis, à l’échelon de la recherche pure ou sur le plan industriel, tant aux Etats-Unis qu’en Angleterre, France ou Allemagne, il convient de n’accueillir qu’avec circonspection les prémices de cette résurrection, et de séparer le réalisable du possible…

Poser le problème amène à considérer d’abord le pourquoi de ce retour au premier plan, et ensuite les progrès qui permettraient maintenant de concrétiser une solution pratique.

En réponse au premier point, s’impose un argument majeur qui ne peut échapper aux Pouvoirs Publics : la voiture électrique est silencieuse et ne dégage pas de gaz toxiques.

Quand on connait les préoccupations que pose au service de l’hygiène la pollution croissante des atmosphères urbaines, et les néfastes incidences du bruit sur l’équilibre nerveux des citadins, on ne peut que s’incliner devant deux avantages aussi incontestables, même si l’automobile n’est pas l’unique responsable des phénomènes précités.

Un second argument, essentiellement économique, s’avère sujet, hélas, à controverse: à égalité de performances avec un véhicule à moteur thermique, la voiture électrique bénéficie d’un prix de revient kilométrique imbattable, tant au stade de l’entretien que de la consommation d’énergie; pour ce dernier facteur, la dépense est de quatre à cinq Fois moindre.

Nous disons bien « est », car il serait puéril d’imaginer qu en cas d’accroissement important du parc automobile électrique, l’Etat ne taxe pas cette énergie au même titre que l’essence afin de ne pas perdre une source de revenus dont la constance n’est plus à démontrer.

Enfin, sur le plan plus spécifiquement technique, et expliquant l’avantage précédent, le moteur électrique s’avère, à l’inverse du moteur thermique à combustion interne, tel que nous le connaissons, un excellent transformateur d’énergie en travail puisque accusant un rendement de l’ordre de 80 % .

Le moteur classique, dit « à explosions » n’arrive qu’à 20 %, ce qui veut dire qu’il ne transforme effectivement en travail que le 1/5 environ de l’énergie calorifique contenue dans le carburant.

L’idéal absolu du progrès exigeant une utilisation maximum des sources d’énergie naturelles, semble condamner le moteur à combustion, mais à l’heure où le pétrole, dans le monde et particulièrement au Sahara, cormmence à poser la question de savoir où et comment il va être utilisé, il serait peut-être prématuré de spéculer sur son futur tarissement pour démontrer la supériorité du moteur électrique.

Par contre, cette supériorité s’avère incontestable au point de vue mécanique, du fait de l’absence de pièces en mouvement alternatif ou en friction, ce qui procure un équilibrage, une souplesse et une longévité hors pair.

Maintenant que nous connaissons le pourquoi du regain d’intérêt suscité par la traction électrique — nous mettons à part les intérêts commerciaux inhérents à une vente accrue de courant électrique nécessaire pour la recharge, ceci expliquant qu’aux U.S.A., les grands réseaux de production et de distribution d’électricité se soient associés aux fabricants d’accumulateurs pour stimuler les recherches — il nous faut découvrir ce qui permet aujourd’hui d’envisager un véhicule électrique viable, alors que le moteur thermique a, jusqu’à maintenant, régné en maître quasi-absolu.

La réponse est simple : pour avoir été moins spectaculaire que ceux réalisés sur les moteurs à explosion, les progrès enregistrés dans le domaine de l’électricité et particulièrement de l’accumulateur n’en sont pas moins  très importants.

Or, si l’on suit l’évolution de la propulsion électrique depuis les premiers âges de l’automobile, on s’aperçoit qu’après avoir lutté à égalité avec la vapeur ou le pétrole (rappelons-nous les fiacres Krieger. et les engins de records de Chasseloup-Laubat et de Jenatzy, ce dernier dépassant pour la première fois les 100 kmh en 1903 avec la « Jamais-Contente »), l’électricité s’inclinait irrémédiablement devant l’essence.

 Pourtant, la puissance massique des quatre temps de l’époque, suant, crachotant et semant leurs bielles plus souvent que nécessaire, ne constituait pas un atout prépondérant, mais ils laissaient espérer une autonomie et une facilité d’utilisation telles qu’ils polarisèrent tout l’intérêt et les efforts.

Car le gros handicap de la voiture électrique résidait non seulement dans le poids élevé et la faible capacité des accumulateurs au plomb, aboutissant à un rapport poids/puissance décevant, et à une autonomie réduite, mais surtout dans la sujétion de recharges par trop fréquentes nécessitant le recours aux installations d’un poste spécialisé et une immobilisation trop longue du véhicule, proportionnellement au temps d’utilisation pratique qu’il permettait.

Ainsi, l’impératif essentiel, conditionnant la viabilité d’une voiture électrique, étant l’autonomie, il importait donc de diminuer le plus possible le poids des accumulateurs tout en augmentant leur capacité volumétrique.

Il tombe sous le sens que le poids d’accumulateurs que la voiture doit transporter est proportionnel à l’autonomie envisagée et qu’il limite d’autant les performances.

Plus le rapport poids d’accumulateurs/autonomie sera faible, et plus l’automobile électrique sera intéressante.

Quant à la recharge, si le problème subsiste, nous verrons que le handicap qu’il sous-entend perd de son importance dans la mesure où l’autonomie augmente, ce, évidemment, en restant dans des conditions d’utilisation normales.

Par ailleurs, la disposition sur le véhicule d’une redresseur et d’un régulateur automatique de charge permet de se brancher sur n’importe quelle prise de courant, et de profiter ainsi d’arrêts plus ou moins prolongés pour procéder à une charge partielle. Des diverses solutions proposées, portant toutes sur l’amélioration des caractéristiques de l’accumulateur, par utilisation d’éléments autres que le plomb — et bien, que la batterie au plomb ait, elle aussi, bénéficié d’un allégement atteignant 30 % et d’un accroissement correspondant de sa capacité volumique – nous ne retiendrons que celle qui semble la plus immédiatement applicable, à savoir l’utilisation de l’accu à l’argent et au zinc dû aux travaux et recherche de l’ingénieur Henri ANDRE. « 

LA BASE D’ESSAI : LE JUNIOR PANHARD D’HENRI ANDRE

Puissance unihoraire 5 ch.

Pour simplifier la transformation, embrayage et boite de vitesses ont été conservés, cette dernière s’avérant intéressante du fait du poids du véhicule (995 kg) bien que les quatre rapports ne soient pas logiquement nécessaires.

250 kg d’accumulateurs argent-zinc assurent une autonomie de 230 km à une vitesse moyenne de 45 kmh. Un redresseur et un régulateur automatique de charge permettent le branchement sur n’importe quel courant, tandis qu’un interrupteur automatique évite toute surcharge.

Schéma du circuit électrique sur la future voiture :

C) convertisseur de puissance; 81 et B2) balais mobiles;

83 et B4) balais fixes connectés aux moteurs;

Ml et M2) moteurs;

El et E2) excitation shunt; Al et /42) excitation série.

L’ACCUMULATEUR ARGENT-ZINC

Le gros avantage de l’accumulateur au zinc et à l’argent réside à la fois dans son poids, environ cinq fois inférieur à celui de l’accumulateur classique au plomb et dans sa capacité volumique également supérieure.

Par ailleurs, son rendement est nettement meilleur, car il ne souffre pas de la rupture d’équilibre chimique de l’électrolyte qui affecte l’accu au plomb.

Schématiquement, on peut dire qu’il ne « s’essouffle » pas et il peut être sollicité au maximum jusqu’à décharge complète sans accuser de faiblesse.

Cette faiblesse, les automobilistes qui tirent trop sur leur démarreur pour vaincre un moteur rétif, la connaissent bien: au bout de quelques instants, il faut laisser reposer la batterie et ne se servir à nouveau du démarreur que lorsqu’elle a repris quelques forces.

L’argent entre dans la structure de l’accumulateur argent-zinc pour 30 % sous forme de grilles d’oxyde d’argent.

L’électrolyte est constituée par une solution de potasse 40 %.

Pour concrétiser ses avantages, disons qu’à poids égal, et tous autres facteurs concernant le véhicule demeurant égaux, une batterie argent-zinc permettra une autonomie supérieure de 50 % à celle tolérée par un accu léger au plomb.

A l’appui de ces convictions, l’ingénieur Henri André, dont les brevets sont exploités par les firmes Yardnev aùx U.S.A. et Andyar en France, a réalisé en 1954 une première voiture encore bien imparfaite puisque résultant de la transformation d’une Panhard Junior.

Malgré un poids mort élevé de l’ordre de la tonne, les 250 kg d’accumulateur argent zinc assurent une autonomie ..de 230 km à la vitesse moyenne de 45 kmh, la -vitesse de pointe atteignant 80 kmh.

Mais un second projet est en voie d’étude : considérant qu’un véhicule électrique dont le critère majeure est l’autonomie, ne peut être conçu en s’inspirant d’une automobile classique, M. Henri André a dessiné un engin électrique fonctionnel faisant appel à un châssis-batterie donnant une excellente répartition des masses pour un poids réduit.

Les passagers seront placés l’un derrière l’autre, de façon à diminuer au maximum le maître-couple, ce qui augmente d’autant la puissance disponible pour la propulsion (cela ne vous rappelle-t-il pas la Twizy de chez Renault ?).

Deux moteurs entraînant chacun une roue arrière par l’intermédiaire d’engrenages (d’où suppression du différentiel classique) permettront, grâce aux 160 kg de batterie argent-zinc disposés latéralement de part et d’autre des passagers, une vitesse de pointe de 90 kmh.

L’autonomie atteindra 400 km pour une vitesse de croisière de 60 kmh.

Grâce au poids réduit du véhicule qui, en ordre de marche, n’excéderait pas 600 kg.

La régulation de la vitesse, tant accélération que décélération, sera obtenue par un convertisseur de puissance mis au point par l’ingénieur Henri André et commandé par une seule pédale.

Par ailleurs, et ceci constitue un gros avantage, les décélérations procureront par récupération un freinage énergique jusqu’aux allures les plus faibles.

L’AUGMENTATION DE L’AUTONOMIE MINIMISE LE HANDICAP DU TEMPS NECESSAIRE POUR LA RECHARGE

On a souvent reproché aux véhicules à propulsion électrique dotés d’une autonomie réduite du fait d’un poids excessif, le temps nécessaire à la recharge des batteries, limitant l’utilisation pratique.

Cet argument s’efface en partie dès l’instant que l’autonomie augmente : effectivement, un kilométrage possible de 400 km sans recharge sous entend pour un véhicule urbain ou suburbain, environ 10 h. d’utilisation.

Il est bien rare que cette exigence soit quotidienne et l’on aura le plus souvent à faire que des recharges partielles, bien moins longues qu’une recharge totale.

De toutes façons, dans le cadre d’un usage normal, un automobiliste prend le temps de dormir et ce temps peut toujours être utilisé pour la recharge.

Il reste évident qu’en l’état actuel de la technique, on ne peut concevoir encore un usage exclusivement routier d’un véhicule électrique car les performances possibles imposent une moyen-e routière par trop faible.

Par contre, l’automobile électrique prend toute sa valeur en circulation urbaine et suburbaine, pour laquelle le facteur, moyenne s’efface devant le côté pratique.

L’UTILISATION D’UN METAL PRECIEUX IMPOSERA PEUT-ETRE POUR LA GENERALISATION DE L’ACCU ARGENT-ZINC UN CONTROLE DE L’ETAT

L’accumulateur argent-zinc en son stade actuel de fabrication est cher et même très cher.

Sa construction en grande série pour un usage automobile en abaisserait certainement le prix, mais il faudra toujours compter avec l’argent qui est un métal précieux et dont l’utilisation actuelle s’avère assez restreinte.

Qu’il y ait une brusque demande et les cours risquent fort de monter sur les marchés mondiaux ce qui aboutirait à des spéculations rendant impossible un prix de revient stable.

C’est ici que l’intervention de l’Etat serait nécessaire afin de maintenir si possible le cours de l’argent dans des limites étroites.

Le prix même des batteries, pour élevé qu’il restera, ne constitue pas un handicap : l’argent contenu dans les batteries constitue un capital (au même titre que des lingots d’or dans un coffre) dont l’intérêt se concrétisera par des kilomètres à bas prix.

Cet argent étant récupérable, sans aucune perte ni dégradation, l’opération.

SI l’on suit ce raisonnement, semble donc ne présenter aucun risque, mis à part, évidemment, le vol de la voiture. Par ailleurs, afin d’augmenter la diffusion possible de la voiture électrique, il est également possible de prévoir une location de la batterie plutôt qu’une vente, ce qui serait d’un intérêt certain pour les fabricants.

Le convertisseur électrique, interposé entre les accumulateurs et les moteurs, permet de faire varier la tension du courant alimentant les moteurs, et en conséquence, d’obtenir accélérations et décélérations.

Il n’intervient donc que pour les régimes transitoires.

Il ne sert pas à vitesse maximum et peut alors être coupé.

MONTAGE DU MOTEUR ELECTRIQUE DANS LE JUNIOR

A gauche : Maquette du châssis-batterie : les accumulateurs prendront place dans les alvéoles latérales; suspension avant à voie constante (coulisseaux télescopiques type Lancia) suspension arrière par bras oscillants. Deux moteurs à l’arrière assureront la propulsion.

A droite : Maquette de la future voiture étudiée par l’ingénieur Henri André; deux places en tandem, 160 kg de batteries disposées longitudinalement de part et d’autre des passagers, un maître-couple réduit et une carrosserie étudiée en soufflerie la caractérisent.

Autonomie prévue : 400 kilomètres.

L’HYDROGENE DEJA EN 1960 !

LA VOITURE ELECTRIQUE AVEC ACCUMULATEURS NE SERA-T-ELLE QU’UNE ETAPE DE TRANSITION AVANT LES GENERATEURS INDEPENDANTS ?

Nous entrons ici dans la voie des hypothèses séduisantes, qui conféreraient à la voiture électrique une totale indépendance puisque l’énergie serait fournie par des générateurs installés sur le véhicule lui-même.

Le plus intéressant de ces générateurs semble être pour l’instant, celui faisant appel à la réaction chimique de deux gaz mis en présence : l’oxygène et l’hydrogène, d’où le nom de « générateur oxhydrique » donné à cet appareil.

A la suite du professeur allemand Edourd Justi, qui présenta en 1958 le premier générateur oxhydrique à l’Académie des Sciences de Mayence, les Américains et les Anglais se sont résolument engagés dans cette voie et des résultats probants auraient d’ores et déjà obtenus.

On parle notamment d’un rendement de 70 à 80 % en partant de produits marchands tel que charbon ou gaz de ville pour l’obtention de l’hydrogène, ce qui serait remarquable, si l’on veut bien se souvenir que te rendement des centrales thermiques les plus modernes ne dépasse pas 25 %.

On a ainsi pu voir à l’exposition automobile de Chicago, en janvier, une De Soto baptisée « Cella 1 », se réclamant de la chimio, électricité : électrifiée de cette façon, l’automobile n’aurait qu’à emporter soit de l’hydrogène en bouteille, soit un générateur donnant cet hydrogène à partir de combustibles marchands, l’oxygène étant fourni par l’air atmosphérique.

Hypothèse séduisante avons-nous dit, mais il est plus sage, pour l’instant, et certainement plus pratique de compter davantage sur la classique source d’énergie par accumulateurs : ceux-ci sont loin d’avoir atteint leur ultime expression technique et peuvent nous réserver encore bien des surprises.

Charly  RAMPAL  (Reproduction et adaptation du journal L’AUTOMOBILE n° 164)