Avec l’aboutissement de l’étude du D.B. B Le Mans et le lancement de sa construction, René Bonnet avait un besoin impératif d’agrandir son usine.

Champigny devenait trop étroit et au fil des années, l’usine D.B. voyait s’entasser le service course, le bureau d’études et la construction de ses voitures de série, même s’il avait confié toute la fabrication des caisses en plastiques par des sous-traitants (voir article sur Robert Sobeau).

René Bonnet avait tout d’abord pensé s’installer en grande banlieue, à Ormesson, en raison de la proximité de la Capitale car Paris, c’est un fait, est le seul centre où l’on pouvait réunir tous les sous-traitants indispensables à la réalisation de prototypes dont les ateliers D.B. n’ont jamais cessé les études malgré leur expansion industrielle.

Les terrains furent achetés mais, par l’entremise de son vieil ami André Moynet – dont l’activité principale ets l’étude et la réalisation de fusées.

Ceux-ci amenèrent rapidement le constructeur des D.B. à penser qu’il n’avait pas vu assez grand.

LE CONTEXTE ENVIRONNEMENTAL

C’est vers Romorantin que René Bonnet, André Moynet et leurs puissants alliés tournèrent leurs regards.

A Romorantin, l’industrie de grand-papa est mourante, et une véritable révolution industrielle tire peu à peu la ville de sa léthargie.

Depuis plusieurs générations pourtant, les habitants de Romorantin, avaient pris l’habitude de travailler en usine.

De père en fils, de mère en fille, on était employé chez Normant.

Une lente évolution s’opère, mais Normant est partout à Romorantin.

Avant-guerre, cette puissante famille contrôlait toute l’activité de la commune et une partie de celle-ci lui appartenait.

Les usines Normant constituaient un colosse employant 1.200 ouvriers, alors que la ville comptait, au plus, 7.000 habitants.

Normant, c’était le roi du drap administratif, ce drap cardé avec lequel on confectionne les uniformes de nos militaires, de nos gendarmes, et dont on recouvre les banquettes de nos wagons de chemin de fer.

Ça n’est peut-être pas très beau, mais c’était du solide.

C’est à l’image de cet ensemble créé en 1861 par l’ancêtre des Normant.

L’usine peut vivre sans concours extérieur : elle produit son énergie (chaufferie et barrage fournissant l’électricité), elle dispose de son service d’entretien et c’est en partant de la laine brute et en effectuant toutes les opérations de transformation qu’elle produisait son drap…

Hélas ! Pour les héritiers Normant, les années soixante nous ont fait entrer dans l’ère de la spécialisation en même temps que le chef de famille disparaissait.

Ce fut un rude coup pour l’usine. On dut se rendre à l’évidence : il fallait abandonner certaines activités (cardage de la laine en particulier) et vendre une partie des 50.000 m2 de l’usine.

René Bonnet et ses associés se mirent sur les rangs, non sans s’entourer de garanties, car Romorantin jouissait d’une réputation tenace de cité peu dynamique.

D.B. VA DYNAMISER CETT APATHIE GENERALE

Romorantin, au cœur de la Sologne, a longtemps eu une activité réduite et peu de contacts avec l’extérieur : on était encore très loin de l’ère du numérique !

En plus, la ville n’était pas située sur un grand axe routier, seul un vieil autocar assurait la liaison avec Salbris sur la ligne Paris-Vierzon.

Cette situation d’enfermement avait été voulue par le tout-puissant M. Normant qui voulait garder sa mainmise sur la ville en ayant refusé le passage d’un chemin de fer : le rail aurait donné à la main d’œuvre la possibilité de trouver ailleurs du travail à des tarifs dont le contrôle lui eût, lui aussi, échappé.

La nouvelle municipalité au début des années soixante, fut alors dirigée par un maire dynamique, et le conseil général, avait donc tenté d’attirer les industriels prêts à s’installer dans cette ville qui, en dehors du groupe Normant, n’avait que des ateliers de confection pouvant offrir un emploi à la main d’œuvre féminine, et les usines Lavalette-Paloma dont la réorganisation était programmée.

La mise en route d’un programme de construction de cinq HLM offrant 1.000 logements, et de quarante pavillons, sera un des signes les plus visibles de ce mouvement de résurrection de Romorantin.

Avant René Bonnet, d’autres usines se sont déjà installées dans la région : les caméras Beaulieu, les bouchons déshydratants Air-Sec, les réfrigérateurs Névé et les ateliers de bobinage et condensateurs Precis, entre autres.

Des primes de décentralisation prévues à 10 et 12%, d’ailleurs curieusement abaissées à 8% par la suite, ont favorisé l’installation d’industries nouvelles dans cette région où l’entretien des forêts, la culture des asperges et des fraises ne suffisaient plus à retenir une main d’œuvre qui allait chercher ailleurs ce qu’elle n’était pas en mesure de trouver sur place.

La conjoncture étant favorable, la Société civile et mobilière Romorantin-Salbris (groupant les capitaux de la Matra, de René Bonnet et du député volant André Moynet) fit l’acquisition de 15.000 m2 de terrains que lui céda la Société Normant  gérée à ce moment là par Roland de Moustier.

Ce fut pour les uns le point de départ d’une belle aventure, et pour les autres un ballon d’oxygène venu fort à propos pour entretenir  le fonctionnement d’une usine qui employait  encore plus de 300 ouvriers.

UN DENOMINATEUR COMMUN : LE PLASTIQUE

Les dirigeants de Matra, dont une usine était située tout près, à Salbris, s’intéressait à la matière plastique.

Ils ont donc pensé tout naturellement à faire  cause commune avec René Bonnet en montant un atelier de plastique : la G.A.P.

Cet atelier avait pour vocation de fournir les caisses plastiques de voitures D.B.

Cela permettait de former des ouvriers et d’acquérir une expérience qui manquait encore à Matra dans ce domaine si particulier.

Les 11.000 m2 de halls  couverts ont donc été loués pour moitié à la Général Automobile Plastique et à la Société des Automobiles René Bonnet : l’une vendant à l’autre des carrosseries qu’elle fabriquait… sous le contrôle des contremaitres de D.B. dont on a bien été obligé de solliciter le concours pour la formation d’un personnel recruté sur place et n’ayant aucune notion de ce travail très particulier.

C’est surtout Matra qui supportera tout le poids de l’opération. Et les projets du groupe seront à la hauteur des moyens qu’il lui est possible de mettre en œuvre.

Tout est donc en place pour procéder à la mise en route des chaînes.

Pendant un mois de rodage, 35 ouvriers avaient produit une dizaine de voitures.

Puis, la cadence passera à 4 par semaine dans l’objectif très optimiste de 4 par jour lorsque l’usine tournera à plein avec 150 ouvriers !

Tout cela est bien beau, mais il faudra vendre ensuite toutes ces voitures !

Quant on sait qu’en cette époque de 1961, le réseau D.B. à travers la France était réduit à sa plus simple expression.

On comptait bien aussi sur les exportations aux Etats-Unis, où D.B.  avait une belle réputation, mais elle ne fonctionnait qu’épisodiquement.

Et il ne fallait pas compter sur Panhard pour suppléer à ce déficit, même si D.B. utilisait sa mécanique.

On note donc, que les problèmes restent nombreux à l’aube du lancement du DB Lemans, quant ont sait qu’en cette fin de 1961, on en était encore au stade de la formation de ce petit noyai de Solognots un peu surpris de construire une voiture en tissu, un pinceau, et de la résine contenue dans une vieille boite de conserves…

UN ENSEMBLE COMPLET

Une route sera construite par la municipalité pour offrir un accès direct à ce nouveau groupe.

Chez René Bonnet la priorité n’est pas aux abords de l’usine : il est urgent d’aménager les ateliers.

Il fallait alors franchir un véritable cloaque, que l’on s’était employé à combler à grand renfort de camions de sable, pour accéder aux usines !

A l’intérieur des halls bien éclairés, ce n’est pas encore la ruche bourdonnante.

Pourtant la chaîne commence à prendre forme.

On aperçoit néanmoins les ensembles mécaniques (plateforme, moteur, transmission et suspension) en provenance de chez Panhard-Orléans et les accessoires de Champigny.

Puis, les carrosseries fournies par les ateliers voisins de la G.A.P. Le tout sera ensuite assemblé, peint et habillé.

Bien sûr, M. Lécuyer, le directeur de l’usine, aimerait bien que tout son monde se remue un peu plus.

Mais déjà, il a compris qu’l ne faut rien brusquer : le Solognot est lent, mais il est affable, consciencieux et appliqué, garantissant la qualité du produit final.

C’est donc cette usine de Romorantin qui sera spécialisée dans la construction du cabriolet Le Mans, tandis qu’à Champigny sera réservé aux études, le département course et la production du coach encore très apprécié des clients sportifs.

C’st à Champigny également que sera installé un service après-vente capable de satisfaire la demande, car on croit à la montée des demandes pour ce nouveau cabriolet.

D’ailleurs l’usine de Romorantin sera flanquée d’une station-service type BP, d’un hall d’exposition et d’un centre d’essai : du top niveau, quoi !

LES PROBLEMES SUBSISTENT

Pour René Bonnet, les problèmes restaient nombreux : il faut construire, vendre et évoluer.

L’ampleur des moyens mis en œuvre fera penser que cette évolution ne pourra pas se limiter à des problèmes d’organisation.

Depuis de très nombreuses années, le nom d D.B.  est accolé à celui de Panhard.

Un contrat moral, et d’intérêt réciproque, lie les deux firmes.

Bonnet a offert à Panhard ses plus belles victoires et Panhard a permis à Bonnet de construire en petite série une voiture qui devait lui ouvrir des horizons nouveaux.

Il ne s’agissait pas d’un contrat à vie, surtout qu’à cette époque, on connaissait déjà que l’avenir des usines de la Porte d’Ivry n’étaient pas brillant ! L’épée de Damoclès qui avait pour nom Citroën se balançait dangereusement au dessus de la tête de notre Doyenne !

René Bonnet avait déjà compris qu’il fallait se tourner vers une autre mécanique et faire disparaitre le « D » de D.B. !

En Janvier 1962, ce sera la rupture.

C’est donc dans ce contexte que le D.B. Le Mans sera produit, mais on savait déjà, qu’il était condamné : il restera comme le dernier opus de l’oeuvre de Deutsch et Bonnet.

Charly  RAMPAL             d’après le récit de Georges Michel « L’Auto-Journal «  du 30 Novembre 1961 et photos Archives Matra (Roland Roy) et PRT.