RENE RACONTE BONNET
Né le 27 décembre 1904 à Vaunas (Allier), tous les panhardistes sportifs connaissent cet ancien pilote et constructeur automobile qui a été pour nous ses fans inconditionnels, l’homme qui a fait triompher la France dans les années 50/60 dans toutes les disciplines sportives internationales et celui qui a le mieux utilisé la mécanique Panhard qui nous est si chère.
Aussi, c’est avec émotion que je me suis repassé la cassette où, au soir de sa retraite, René Bonnet s’était confié à Joseph Pasteur, journaliste sportif de la 1ere chaine, lors de son émission « la vocation d’un homme ».
C’est cet échange que je vous retranscrits fidèlement.
Rares sont les interviews du maître de Champigny. Plus qu’un bilan, c’est une réflexion sur sa passion et sur les hommes qui l’on aidé à créer cet œuvre éternelle.
Et si on connait René Bonnet, meneur d’hommes, fort en gueule, on s’aperçoit qu’il a un cœur énorme, que les évènements de la vie le touchaient profondément.
Joseph Pasteur (J.P.) :
- « Votre première grande victoire eut lieu en 1954 au Mans, ce devait être merveilleux pour vous ? »
René Bonnet (R.B.) :
- « Oui, merveilleux, car cela faisait quelques années que je courrai après, et ça a été très très dur. Car cette année là, on a eu 17 heures de pluie, ce qui posait pas mal de problèmes. Mais cela faisait partie des 24 Heures et j’avoue que ce fut une grande satisfaction pour moi, et jusqu’à la dernière minute j’étais inquiet. On ne croit pas à la victoire, parce que j’avais été payé pour savoir que tant que M. Faroux n’avait pas donné le drapeau à damiers, la course n’était pas finie.
J.P. : « Et la voiture, c’était quoi, une D.B. ? »
R.B. : « Oui, une D.B., une voiture de ma fabrication bien sûr ! »
J.P. : « Donc en 54, avec cette victoire, ça a été le début de la gloire ? »
R.B. : «Oui, mais disons que c’était une victoire personnelle. J’avais gagné d’autres épreuves, mais pas les 24 Heures du Mans.
Disons que les 24 Heures, c’était le sommet et ce que peut désirer le plus, je pense, un pilote.
Beaucoup courent après les 24H. Le nombre de pilotes qui ont fait les 24 pendant des années, j’en connais qui les ont fait 20 fois, alors vous pensez, lorsqu’on peut s’offrir la victoire !
C’est une très grande chose pour soi-même, mais c’est aussi une très grande satisfaction pour ceux qui aiment dans la vie, pour les amis et aussi pour tous les collaborateurs qui ont contribué à ce succès parce que dans mon histoire, je possédais une petite équipe qui travaillaient beaucoup, et mon dieu, l’année d’avant, on l’avait raté pour une fraction de minute et là c’était sans bavure, on est au poteau et on gagne les 24H.
J.P. : « Est-c » qu’on peut dire que ce temps là a été la meilleure période de votre vie ? »
R.B. : « Oui, certainement ».
J.P. : « Est-ce que ça va vous manquer maintenant que vous ne faites plus de compétition ? »
R.B : « ça va me manquer. Jusqu’à maintenant ça ne m’a pas manqué, mais disons que ça va me manquer beaucoup ».
J.P. : « Est-ce que vous avez l’impression d’être un homme fini, parce que vous ne faites plus de compétition ? »
R.B. : « Ah non, pas du tout ! J’ai dépassé la cinquantaine, je ne fais plus de compétition depuis fort longtemps, mais ne plus assurer la compétition comme je le faisais en tant que constructeur, manager et être un peu le papa de toute cette équipe, c’est sûr que ça va me manquer beaucoup.
Mais enfin, je pense que je ne suis pas encore un homme fini et que peut-être on me verra dans une histoire de compétition».
J.P. : « Qu’est-ce que vous éprouvez en ce moment alors que nous approchons des tribunes de ce circuit des 24H ? ».
R.B. : « J’ai toujours les frissons que l’on peut avoir, car vous me remettez vraiment dans le bain.
Ces frissons que l’on a à la fois de satisfaction, de joie et d’émotion.
Cette ligne, je l’ai franchi souvent, je l’ai franchi dans des circonstances difficiles.
Il m’est arrivé de rester à ce stand que vous voyez, les premiers là-bas, là, d’être arrêté pendant 2 heures 07 en 1950, après avoir cassé ma voiture, et on avait réussi avec Elie Bayol, qui est un excellent mécanicien, à faire partir cette voiture sur un seul cylindre.
Il faut dire qu’il avait triché un petit peu ! A savoir que la voitures avait un petit coffre à l’arrière avec une poignée.
Les mécaniciens qui étaient là, avaient essayé de la faire démarrer et sur un cylindre c’était difficile, cela faisait poff, poff, poff, car le moteur n’avait que deux cylindres, j’ai alors dit aux mécaniciens « ouvrez la porte du coffre !».
Ils ne comprenaient pas et m’ont regardé avec des yeux ahuris, il y avait deux heures qu’ils travaillaient sur la voiture de façon acharnée, ils ne comprenaient pas.
J’ai répété « ouvrez le coffre ! Et puis, vous la refermez la porte du coffre ! »
Un des mécanos faisait 1m90, il a refermé la porte et disons qu’il a fait une petite poussette pour que la voiture puisse démarrer »
J.P. : « Ah très bien, et comme ça vous avez pu terminer l’épreuve ! »
R.B. : « Oui, on a pu terminer l’épreuve, c’est-à-dire que nous avons fait un tour et nous sommes revenus.
Nous avons de nouveau mécaniqué. On a remplacé cylindre et piston et on est reparti.
Au moment où nous avions eu le pépin, nous avions 2H d’avance, si bien qu’on a terminé l’épreuve en gagnant qu’en même à la distance par rapport à notre second, mais il était dit dans le règlement que si une voiture était arrêtée plus de 2H à son stand, elle était reléguée à la dernière place. »
J.P. : « Est-ce qu’il y a de bonnes et de mauvaises années, un peu comme le vin ? »
R.B. : « on a tort de rester quelques fois sur ses succès. Une année sur deux en principe, on est très bien, pourquoi ? Parce que vous gagnez une année et vous avez tendance, sur le plan technique, la recherche, l’étude, non pas à vous endormir, mais rester sur vos lauriers. Alors que si vous êtes chatouillé par des concurrents l’année d’après, là vous êtes obligé de faire encore mieux pour les battre.»
J.P. : « Vous avez été chatouillé souvent ? »
R .B. : « Alors oui, bien sûr ! Pensez que j’étais la bête à abattre, j’étais le cerf de ces 24H, avec la meute à mes trousses quoi.
Pas que dans les 24H, au Tour de France, il m’est arrivé de prendre la tête au début et de la garder jusqu’à la fin. Voyez ce que cela pouvait représenter comme responsabilité pour le pilote mais aussi pour toute l’équipe, j’étais le cerf et je traduisais ça en disant, attention vous êtes le cerf qu’on doit abattre, face à la meute avec les meilleurs cavaliers, les meilleurs chevaux et dans le fond, ils voudraient bien vous avoir. »
J.P. : « Est-ce que ce genre de compétition entre constructeurs se déroule toujours sportivement ?»
R.B. : « Absolument ! Vraiment je ne connais pas d’incident. C’est un sport qui est beaucoup trop dangereux pour qu’on puisse se permettre de telle fantaisie, parce qu’à ce moment là, les coups on les rend.
C’est non seulement votre vie, mais aussi les vie des autres qui est en jeu. C’est pas possible ça. C’est pas possible, il y a des gens qui s’imaginent qu’en compétition on se fait des crasses, ce n’est pas vrai !
Dans le sport automobile, j’ai toujours rencontré un esprit de parfait gentleman, jusque dans les très grands. Fangio était un garçon extraordinaire. Moss aussi. Disons que quelques vaseux, il y en a dans la vie, il y en a peut-être en compétition, mais cela n’a pas d’importance car ils sont obligé de se mettre au diapason et disons qu’on leur fait leur éducation.
Et si un jour ils commettent une incorrection on allait quand même leurs dire.
Alors quand Moss vous passait, nous qui avions des cylindrées plus petites, Moss ne manquait pas lors d’un dépassement de vous faire un petit salut. »
J.P. : « Vous pensez qu’il y a une sorte de chevalerie chez les pilotes ? »
R.B. : »Ah oui, sûr, sûr ! En tout cas, moi, au temps où j’étais pilote, ça existait parfaitement. Et je n’ai eu qu’à me féliciter des relations que j’ai pu avoir même avec mes concurrents les plus méchants. Et d’ailleurs les concurrents méchants sont devenus mes amis ! »
J.P. : « Pour quel genre d’hommes avez-vous particulièrement de l’estime ? »
R.B. : « J’ai de l’estime pour ceux qui travaillent, pour ceux qui créent, qui apportent quelque chose dans l’existence.
Je plains ceux qui se réveillent le matin et qui se demandent ce qu’ils vont bien faire. Ceux-là, je les plains . Ceux qui ‘ont rien à faire dans la vie. Ceux-là, sont des malheureux.
Les gens qui ont trop de bien être et qui n’ont aucun but, aucun idéal dans l’existence, alors je les plains. »
J.P. : « M. Bonnet, est-ce qu’il y a des hommes dont vous regrettez la disparition ? »
R.B. : « Oui bien sûr. Dans mon entourage direct malheureusement, mais aussi il y a des grands gars qui ont influencé ma vie.
Il y a beaucoup de grands bonhommes qui ont disparu et dont je regrette la disparition.
Pour le moment, je ne citerai qu’un nom, celui de Mermoz. Mermoz est un Monsieur, un sportif qui m’avait beaucoup impressionné dans ma vie et je dois dire que le jour où Mermoz a disparu, j’ai pleuré.
Dans mon entourage direct, je dois dire que j’ai pleuré beaucoup de garçons, parce qu’ils se sont tués sur mes automobiles, ça pour moi, ce fut quelque chose de terrible.
Le premier s’appelait Bossut, il s’est tué au bois de Boulogne, sur ma première voiture, sur la première D.B..
Rappel de l’accident :
André Bossut se tue aux essais des Coupes de Paris le 28 juillet 1947
Puis après, ça a été le docteur Azéma. Le docteur Azéma était un grand chirurgien de Béziers, cette histoire là, m’a profondément choquée. »
J.P. : « Le docteur Azéma n’était pas un pilote, c’était un passionné. Qu’est-ce qui vous a le plus choqué dans sa mort ? »
R.B. : « Ce qui m’a particulièrement choqué, c’est lorsqu’on l’a ramassé à St Gaudens et qu’on l’a retiré du virage de la remontée des tribunes et que là, quand on l’a retiré du paquet de ronces, le docteur m’a dit : René n’ayez pas de soucis, ce n’est rien, vous savez je suis docteur et ce n’est pas la première fois que j’ai des aventures, j’ai le bassin cassé et je peux le réparer, il n’y a pas de problèmes, je m’en sortirai très bien.
Et puis, deux heures après, il me disait, il disait surtout à sa femme extraordinaire, je t’ai fait beaucoup de peine dans ta vie, mais aujourd’hui je vais t’en faire beaucoup plus, parce que dans quelques heures, je ne serai plus…
Alors, vous savez c’est terrible quand un Monsieur vous dit ça avec tact, alors qu’il sait qu’il va mourir… »
Rappel de l’accident :
Le 11 juillet 1954, la 4ème cours de Monomills a lieu sur le circuit de Comminges près de St Gaudens, 20 voitures prennent le départ pour la première manche très disputée. Marc Azéma, excellent pilote, perd le contrôle de sa voiture.
J.P. : « Est-ce que vous vous sentez responsable de la mort de certaines personnes ? »
R.B. : « Absolument pas. Je pense que c’est celle qu’ils ont choisi. D’ailleurs, Mme Azéma, qui est une très grande Dame, Mme Azéma m’a dit : « René, c’est la mort que mon mari avait choisi »… Mme Azéma m’a dit ça… »
J.P. : « Alors, c’était une consolation… »
R.B. : « Une grande consolation. »
J.P. : « Lorsque vous vous penchez sur vos souvenirs, j’imagine que vous le faites quelques fois, est-ce vous vous dites, René Bonnet, c’est quelqu’un de très important ? »
R.B. : « Surtout pas. Surtout pas, pourquoi ? Je suis un individu comme les autres. Je n’ai rien fait d’extraordinaire dans ma vie. J’ai fait un métier qui me plaisait. Personne ne m’a obligé à le faire.
C’est l’engrenage qui m’a mené à ce que je suis, à un certain succès. Mais je pense que si on dit que les echecs forment le caractère, alors, je pense que je ne suis pas un cabotin. Je suis resté sage, bien que cassé de partout, je reste quand même en équilibre.»
Charly RAMPAL (Retranscription exacte d’un interview )