Il y a quelques années, à l’orée de l’an 2000, en visite chez Joël Brunel, j’aperçu dans la pénombre de son garage à Montreuil un véritable Sherpa côtoyé lors de mes jeunes années.

Il venait d’arriver, complet et en bon état, ce diable de Joël venait encore de dénicher l’introuvable perle rare !

Ce Sherpa rentrait dans la parenthèse que Joël s’accorde parmi sa formidable collection de berlines et dérivées.

Ce Sherpa, nom qui rappelle les célèbres porteurs himalayens, robustes et que rien n’arrête, a une allure de 3 roues allemandes : Tempo et Goliath.

Conçu pour répondre aux conditions de maniabilité, d’économie et d’un rapport encombrement / charge transportée, très favorable.

Il doit répondre aussi au besoin de promenade de son propriétaire, c’est-à-dire, être confortablement et raisonnablement rapide à vide. Présenté dans sa version définitive au Salon de 1956, il sortait depuis le 1er novembre au rythme de 3 unités par jour des ateliers de Noisy le Sec.

DES EPAULES DE DEMENAGEUR

Le châssis de cette camionnette à 3 roues parait d’une robuste à toute épreuve.

Et si j’en juge de ce qu’il en reste 44 ans après, il faut dire que tout a été calculé large !

Il est constitué par un tube central en acier, d’un diamètre important muni de 5 traverses en acier embouti en forme de U, d’une épaisseur de ‘mm soudées électriquement sur le tube.

Les traverses son renforcées longitudinalement par des profils en U également assemblés par soudure électrique.

La carrosserie est fixée solidement au châssis.

Elle comporte : la cabine pour le conducteur et son passager et une plate-forme en tôle d’acier emboutie à la presse, complétée par une bâche maintenue par des arceaux en profilés.

Cette plate-forme est vaste, rigoureusement plane, suffisamment basse pour faciliter les manœuvre de chargement.

Le volume total utilisable sous bâche, est de 6 m3.

A l’arrière, le hayon vient malheureusement racler au sol lorsqu’il est rabattu et que le véhicule est chargé. Sous le plancher à l’arrière, la roue de secours est exposée à toutes les souillures.

Quant à la cabine, si elle est vaste et relativement confortable, elle est trop grossièrement présentée.

POURQUOI AVOIR CHOISI UN MOTEUR DE PUR-SANG POUR CE PERCHERON ? En effet, les constructeurs ont jeté leur dévolu sur la mécanique Panhard des berlines Dyna.

Si sa cylindrée reste à 851 cc, le taux de compression a été ramené à 6,2.

Tel qu’il se présente, il développe 30 cv à 4.000 t/mn.

L’allumage est classique par batterie de 12 volts et Delco.

Le graissage est assuré par une pompe à engrenage placée sous le carter moteur.

Le refroidissement est bien entendu par air forcé, grâce à une turbine centrifuge, l’air étant guidé par des volutes. La surprise vient de la disposition du moteur Panhard.

L’ingénieuse disposition du moteur/Boite :

La surprise vient de la disposition du moteur Panhard.

En effet, il est monté de façon longitudinale du côté gauche de l’unique roue avant, le cylindre droit orienté vers l’avant.

Lui faisant équilibre, à droite de la roue directrice, la boite de vitesses est une création originale.

Toute la mécanique (moteur, boite, embrayage, transmission) est montée sur une pièce centrale en acier coulé, constituant en même temps que l’essieu de la roue avant, le pivot directeur du véhicule, contrairement aux allemandes qui utilisaient de très faibles moteurs 2 temps refroidis par eau.

L’ensemble moteur-boite, pivote avec la roue. L’équilibre obtenu est de plus satisfaisant puisque dans les virages, il suffisait d’un effort minime du volant.

La direction est, par ailleurs, à peu près absente de parasites.

La boite de vitesses offre trois rapports auxquels il faut ajouter trois rapports courts (à utiliser lorsque le véhicule emporte une charge supérieure à 400 kg), grâce à la présence d’un démultiplicateur.

Celui-ci est placé dans le carter même de la boite de vitesses ! il est muni de 2 différents pignons et transmet l’effort sur un pignon à chaine.

Ce pignon à chaine entraine directement la roue avant par l’intermédiaire d’une chaine à trois rangées.

La tension de la chaine peut se régler très facilement.

La présélection entre les deux gammes de rapports, s’opère par un petit levier qu’il est recommandé de n’employer qu’à l’arrêt.

Le levier de vitesses lui-même est situé au tableau de bord, à côté du levier démultiplicateur.

La commande des 2 leviers s’effectue grâce à des flexibles sur roulement à bille type aviation.

COMMENT LE LANCER ?

La grille des vitesses est inhabituelle et leur commande est dure à manœuvrer tant les verrouillages sont fermes et les opérations de rétrogradage nécessitent un double débrayage rigoureux, faute de quoi, les pignons entonnent une chanson peu mélodieuses.

Notons aussi qu’il existe un trou sérieux entre les 2ème et 3ème vitesses.

Certes, la seconde monte relativement haut… mais pas assez cependant, car le régime moteur fléchit sérieusement au passage de la 3.

S’il est possible de rouler à pleine charge sur les rapports longs, il est préférable d’utiliser les rapports courts.

La perte de vitesse n’est pas considérable et il est permis de gravir les pentes les plus rudes sur la 2ème vitesse.

La gamme des rapports courts permet en effet, l’utilisation optimale des possibilités assez étonnantes, il faut bien le dire, du moteur Panhard sur un utilitaire.

La vitesse de pointe à vide ou en charge est de l’ordre de 75 km/h (sur route plate et sur la 3ème longue).

Sur la 3ème courte et en charge, on atteint encore 65 km/h.

On comprendra que dans ces conditions, le Sherpa réalise des moyennes honorables.

Quant à la consommation, elle varie essentiellement suivant la charge transportée – donc suivant la démultiplication.

A vide – rapports longs – il faut compter en moyenne de 8,5 à 9 litres aux 100 km.

Avec 900 kg et une moyenne de 58 km/h, il faut compter 13 litres aux 100.

Par rapport aux véhicules concurrents de l’époque, le Sherpa supporte aisément la comparaison et les surclasse même sur le plan des économies d’utilisation.

COMMENT L’ARRETER ?

Le Sherpa est muni de freins hydrauliques sur les 3 roues.

Le diamètre des tambours avant et arrière est de 255 mm.

A vide, le freinage  est d’une puissance redoutable; en charge, il demeure suffisamment efficace pour autoriser le contrôle du véhicule à toutes les allures et quel que soit l’état du sol.

De plus, sur un effort de freinage brutal, le Sherpa continue sa trajectoire, ce qui n’est pas la règle en matière de camionnettes chargées.

Le frein à main agit par l’intermédiaire d’in câble, sur les roues arrière.

Il immobilise réellement le véhicule à l’arrêt et, en cas de nécessité, remplit correctement son office de frein de secours.

ET LE CONFORT ?

La suspension avant du Sherpa est assurée par 2 barres de torsion montées sur des blocs de caoutchouc.

La tension des barres est aisément réglable.

A l’arrière nous trouvons des ressorts hélicoïdaux secondés par des amortisseurs hydrauliques.

Deux plaques fixées longitudinalement par une extrémité au châssis, par l’autre à la flasque qui tient la roue arrière, compensent les réactions du train arrière à l’accélération et au freinage.

A vide, le confort est évidemment assez relatif et la suspension a des réactions très sèches.

Mais il ne faut pas oublier qu’une camionnette est conçue pour le transport de lourdes charges et, dans ces conditions, le Sherpa s’humanise beaucoup.

Un autre point intéressant : à pleine charge, sur les routes défoncées, les suspensions ne talonnent jamais, ceci non plus n’est pas la règle générale sur les véhicules utilitaires.

QUEL EQUILIBRE SUR 3 ROUES ?

Quant à la tenue de route, elle nous a agréablement surpris : le stabilité de l’ensemble est excellent dans toutes les conditions et l’adhérence de l’unique roue avant, chargée à première vue de bien des rôles, est toujours correcte.

Sur des routes très bombées même, le Sherpa est plus facile à tenir d’une 2cv !

Par ailleurs, la direction à vis globique, est agréable. L’effort de direction est transmis à la fourche avant par l’intermédiaire d’une biellette et d’une barre.

La démultiplication est raisonnable et le rayon de braquage (4,95 à gauche, 5,30 à droite) assure une maniabilité fort appréciable, surtout en ville.

Seule la position du volant, quasiment horizontal, est désagréable.

Boutons et voyants sont regroupés autour du compteur de vitesse limité à 90, bien suffisant.

Les circonstances atmosphériques durant l’essai, nous ont également permis d’apprécier la stabilité du Sherpa sur route mouillée.

DES DEFAUTS ENCORE…

Pas de finitions, des tôles brutes un peu partout, un tableau de bord rudimentaire garni de boutons trop durs à manœuvrer et l’absence de jauge à essence.

Les boutons d’avertisseur et de phares, sont trop loin de la main du conducteur.

Pas de séparation entre plate-forme et cabine : sur un coup de frein brutal, les occupants reçoivent la charge dans le dos !

Le réservoir d’essence ne contient que 22 litres, d’où une autonomie absolument insuffisante.

Pas de réglage des phares qui, en charge, pointent vers le ciel.

Un bruit de fonctionnement insupportable (pour converser en marche, il faut utiliser un porte-voix !).

Pas de protection de la batterie montée d’une manière un peu simpliste sous le siège du conducteur.

Pas de pare-chocs avant, pas de serrures de portières.

QUE CONCLURE ALORS ?

Grâce à un prix d’achat relativement peu élevé (598.000 F, bâche comprise), le Sherpa paraissait pouvoir soutenir aisément la concurrence de ses grandes rivales, les fourgonnettes de tonnage à peu près équivalent, Renault, Citroën ou Peugeot.

Il est en effet plus maniable et moins exigeant en carburant grâce au moteur Panhard ; il offre un volume utile à peu près comparable.

Ses performances, bien que quelque peu inférieures, sont suffisantes pour un tel véhicule et l’utilité de ses deux gammes de rapports de boite, nous parait certaine.

La finition demeure rustique.

Il est difficile de se prononcer sur sa robustesse à l’usage, mais les éléments principaux ont été calculés assez largement et particulièrement étudiés. Aussi les éléments de pub vont dans le sens de celles du Sherpa humain !

Aujourd’hui quelques rares Sherpa font l’objet de curiosité dans les musées automobiles ou Salon comme ci-dessous sur le stand du DCPL.

Charly  RAMPAL   (Extrait de l’essai et photos de L’Automobile)