LE MANS 1953 : CHANCEL QUI RIT, BONNET QUI PLEURE !

Suite à sa victoire au Mans 1952, Pierre Chancel intensifie ses efforts de préparation pour l'épreuve de 1953.
La Maison Panhard lui accorde tout son crédit et les Chancel travaillent en collaboration étroite avec les ingénieurs de la marque doyenne.
Ses voitures représenteront le nom de Panhard et Etienne De Valance en sera le chronométreur officiel.

Voilà ce que nous dit Etienne de Valance : "Pierre Chancel a couru avec Raymond Gaillard. Ce dernier était concessionnaire Panhard rue du Ranelague.
M. René Panhard ayant, en autre, la responsabilité du sport a fait sélectionner des moteurs ou des éléments mécanique pour ceux qui voulaient participer à des manifestations sportives ex : Marcel Lecoq pour Monte Carlo 1952 - D.B - Monopole - Plantivaux ETC...
Après sa seconde place au Mans, M. Gaillard avec Pierre Chancel ont eu des contacts avec M. René Panhard....
Ce dernier avait avant la 2ème guerre travaillé avec M. Riffard et piloté de ses avions.
L'étude de carrosserie a été payé par Panhard et c'est P. Chancel qui réalisé la fabrication.
A l'usine l'on appelais cette voiture "l'escargot" a cause de sa proéminence pour les phares
Pour la course, pendant le jour, les otiques de phares étaient obstruées par des cônes en alu en forme d'obus
L'écurie Panhard née a cette occasion et était dirigé par M. Pierre Durand (n° 2 des Services d'Etudes Techniques )
Pour l'épreuve le responsable des mécaniciens était L. Levert assisté par des mécaniciens provenant du même service des expériences ( M. Delagarde)
Il y avait aussi des mécaniciens de Gaillard-Chancel."

Louis Delagarde qui dirige les études pour la série, tolère les travaux. Il participe même à la boite de 6 vitesses. En général, il tient à ce que les progrès réalisés puissent rapidement être transposés sur les voitures de série.

Pierre Chancel trouve avec le collaborateur Delagarde, Pierre Durand, polytechnicien de valeur, un complice efficace et enthousiaste. Rapidement les rapports deviennent amicaux.

Tantôt officiels, tantôt officieux, les travaux s’avèrent très précieux pour améliorer les moteurs.

Panhard et Pierre Chancel mettent leurs travaux en commun, tout le monde à l'usine va travailler dans le bon sens et cela va porter ses fruits.

L’épreuve phare à laquelle la voiture est destinée, est bien évidement Le Mans.
Cette voiture sera équipée du petit 610 cm3 préparé par Louis Delagarde emmené par son chef mécanicien Lever .

L’idée de cette voiture remonte à l’année dernière et revient à Plantivaux qui s’était fait construire pour Le Mans un coupé dont les performances ne lui donnaient pas satisfaction.
Il pense alors qu’un aérodynamisme réel valait mieux que la ligne dite « italienne ».

M. René Panhard, un ancien As de l’aviation en fut bien vite convaincu et un contact fut pris avec l’ingénieur Riffard, le célèbre créateur des petits Caudron « Rafale » de la coupe Deutsch qui devaient leur vitesse à la pureté de leur ligne.

Riffard, déçu par l’attitude de Renault après son étude de la 1064 des records, se montra séduit par le moteur Dyna et donna bien volontiers un plan de carrosserie réellement aérodynamique.
Il poursuivrait ainsi la réalisation de l’idée maîtresse de sa vie : aller le plus vite possible avec un minimum de chevaux en comptant uniquement sur le profilage. L’influence de l’aviation est visible au premier coup d’œil puisque le profil des ailes avants n’est autre que celui du Caudron « Rafale ».

La carrosserie de ce tank est construite par les établissements Baritaut, spécialiste en chaudronnerie de métaux légers d’où étaient sorties les avions « Rafale ».
Cette caisse en duralinox est montée sur un châssis Panhard, lui aussi en alliage léger. L’ensemble ne dépasse pas 450 kg avec un réservoir de 75 litres d’essence.
On ne saura jamais quel était le Cx de cette barquette, mais avec le même moteur, la voiture dépasse de 20 km/h le modèle de l’an passé.

Une voiture extrêmement profilée, trop peut-être, car Pierre Chancel se plaint du manque de visibilité du petit cockpit qui enferme la tête du pilote.

Côté mécanique, le 610 cm3 est bien connu. Il a déjà couru 2 fois au 24h du Mans. Il reste proche de celui de la série. Seule concession à la compétition , le montage d’un carburateur double corps 40 PII mis au point et adapté par les soins des techniciens de chez Solex. Là-dessus, une préparation et une mise au point minutieuse permettront d’atteindre les 39 cv à 5.800 tours, une belle performance pour l’époque.

Avec cette puissance et un pont plus long, rendu obligatoire par suite de l’extrême finesse de la caisse, la voiture atteint une vitesse de 161 km/h au régime de puissance maximum.

LES FORCES EN PRESENCE

On sait que la course à l’indice de performance sera très animée. Son intérêt est le même que pour la victoire à la distance. Les concurrents sont nombreux à viser ce trophée. Les plus en vue sont : Porsche, Borgward, Monopole et DB, qui monte en puissance.

Bien avant 16h, le plein du circuit a été fait. Les tribunes et les enceintes qui craquent des 300.000 personnes qui prouvent, si besoin était, de la portée mondiale de l’épreuve mancelle.
Il ne faut pas se louper, l’honneur de chacun est en jeu, avec des répercutions commerciales que les grandes marques commencent à appréhender.

La tension monte. Notre « Pétoulet » national lance au micro du speaker que ce sera une vraie course de vitesse, et qui jouera la prudence ne sera plus dans la course.

Un à un les bolides s’installent devant leur stand. C’est le moment magique du Mans avec ce départ typique qui lui a donné ses lettres de noblesse.
Les commissaires transpirent. Ils sont partout. Il faut que l’organisation continue à être parfaite. Quelques forfaits de dernières minutes feront le bonheur de suppléants qui n’en espéraient pas tant.

LA COURSE

Le départ est donné. Les puissantes Cunningham s’élancent en tête. Chez DB, c’est déjà le choc : la voiture de Gignoux/Azéma reste scotchée, elle aura du mal à démarrer… Est-ce un signe du destin ?

Les premières heures sont favorables à DB qui mène la danse en 750 cm3.

Pendant que les grosses cylindrées se livrent une farouche bataille, nos bleus vont bien. Les Panhard, tout constructeurs confondus, tournent avec une surprenante régularité sans amuser le chrono. Le seul problème vient des dépassements par les « Grosses » dont le déplacement d’air affole ces frêles insectes.
La douzième heure est atteinte. On peut enfin décrypter les calculs à l’indice de performance et s’apercevoir déjà la lutte entre la DB de Bonnet-Moynet et la Panhard-Riffard des frères Chancel.

A 6h15 du matin, la mort vient hanter le circuit : la Ferrari de Tom Cole ne passe plus. Comme une traînée de poudre, une nouvelle court et grossit, puis éclate comme une bombe aux tribunes : la voiture n°16 est gravement accidentée à Maison-Blanche. Le pilote est sérieusement blessé. Il a été éjecté de la voiture folle qui se trouve maintenant dans le jardin de M. Gustave Gasse, après avoir arraché toutes ses barrières. On saura plus tard que le malheureux a été tué sur le coup.

Mais, comme on dit, la course continue.

A l’indice, la concurrence se fait de plus en plus forte. Il faut compter maintenant avec la Gordini de Trintignant et une Jaguar.
Plus que 4 heures à tenir. Les positions sont serrées entre la DB, la Panhard-Riffard et la Jaguar de Rolt-Hamilton. Le combat tourne à l’héroïsme. Plus qu’un ravitaillement pour DB : l’espoir est permis.

Une heure encore. La tension monte d’un cran. Chez DB, la voiture de Bonnet-Moynet en tête de l’indice n’a plus de freins depuis 2 heures. Même problème sur la 61 des frères Chancel. L’égalité est la même jusque dans le malheur.

Enfin, le drapeau à damiers est en vue. Si à la distance, la Cunningham a passé la ligne trot tôt et c’est la Jaguar qui sera victorieuse, pour nous, le drame se joue à l’indice. Chez DB, on est sûr de son coup, mais la voiture n°57 ne passe plus depuis 20 mn. L’angoisse se lit sur les visages. Les yeux fouillent l’horizon. Une DB se profile… Hélas, c’est celle de Gignoux-Azéma qui a 2 tours de retard… Un autre moteur panhard se pointe… C’est celle de Chancel !

Là-bas, quelque part sur la piste, Moynet s’escrime sur son moteur en panne. Le « député-volant » se brûle les doigts en changeant les bougies et la bobine pour remédier à une stupide panne d’allumage qui immobilise sa voiture dans le dernier tour ! Il est toujours en tête. Combien de temps encore ? René Bonnet se désespère et retient à peine ses larmes. Pourtant le stand DB n’ose penser à une possible défaite.

16h07 : Moynet arrive enfin ! Il a perdu près de 24 mn, salué par le speaker qui annonce sa victoire à l’indice. Du coup, une joie inattendue éclate dans le clan DB. Les larmes coulent à nouveau, mais ce sont des larmes de joie cette fois !
Puis, c’est la Marseillaise qui fait du bien après le « Gode save the Queen ».

Seul Charles Deutsch reste sceptique. Ses calculs montrent une égalité jusqu’au centième… !

Mais une rumeur insistante s’installe : la DB ne serait pas victorieuse. Les officiels gênés sont bouche cousue. Chez DB on refait les calculs en poussant jusqu’au millième d’indice : un écart de 2 en faveur des Chancel est confirmé. A 4km900 près (à peine 2mn) la victoire a échappé à la maison de Champigny. Le petit Claude Bonnet s’écroule en pleurs au bureau des commissaires où il a suivi son père. « Pourquoi n’a-t-on pas laissé courir papa avec la 610… c’est injuste » murmure l’enfant à travers ses larmes. Mes les dès sont jetés : la troisième décimale a jeté son verdict.

René Bonnet, racontez nous comment vous avez perdu ces 24h du Mans 1953 pour quelques points de calcul à l'indice et qu’elle a été votre réaction :

Ce sera néanmoins une victoire de plus pour Panhard.

LE RESUME DE LA COURSE EN IMAGES :

Le lendemain de la course, à l’occasion de la remise des prix, Paul Panhard remet aux frères Chancel gagnants à l’indice sur Panhard, un chèque égal à celui remis par les organisateurs : pratique établie chez Panhard, mais limité aux vainqueurs.
Touché par la performance et la déception de l’équipage Bonnet-Moynet, Paul Panhard décide de remettre à DB un chèque d’un montant équivalent. C’était le temps des seigneurs !

Charly RAMPAL