DE D.B. A MATRA : LES DESSOUS DE L’HISTOIRE
La fin de DEUTSCH & BONNET
Comme chacun le sait, le divorce officiel entre les deux associés de D.B., Charles DEUTSCH
et René BONNET, est rendu effectif en juin 1961.
Cependant, depuis longtemps Charles DEUTSCH était minoritaire dans la société EPAF qui construisait et commercialisait les « DB » créée en 1946 sous forme de SARL EPAF a été transformée en société anonyme en novembre 1958.
Selon les rapports des commissaires aux comptes, Charles DEUTSCH ne détenait que 10% des actions ; les 90% restants étaient entre les mains de René BONNET, de son épouse Billy et d’autres actionnaires : personnes physiques, comme le Prince de BOURBON PARME ou Marcel CHASSAGNY ou personnes morales, comme I’ Automobile Club de l’Quest et la Société des Pétroles BP.
L’idée d’une séparation a germé depuis longtemps dans le cerveau de René BONNET.
Selon son fils Claude, sa décision remonte à 1960 après une entrevue avec Paul PANHARD au cours de laquelle celui-ci lui a fait part de la prochaine entrée de CITROEN dans le capital de la S.A.A.E. PANHARD & LEVASSOR, avec pour conséquence l’abandon de tout développement de nouveau moteur.
Le 27 juillet 1961, René BONNET signe un bail avec la SCI Romorantin Sauldre ; cette société, contrôlée par les Engins MATRA et la société NORMAND, a pour objet de diversifier les activités installées dans l’usine de filature situées au bord de la Sauldre.
C’est le début de l’installation de René BONNET à Romorantin et, fin 1961, Jacques LECUYER est nomme directeur de l’usine qui produira en 1961 et 1962 76 cabriolets « Le Mans » à moteur Panhard (n° 5200 à n° 5276), la fin de production des coaches HBRS demeurant à Champigny.
Les automobiles RENE BONNET
Le 28 Septembre 1961, René BONNET modifie la raison sociale d’EPAF qui devient :
« Société des automobiles René BONNET >, au capital de 450 000 francs de l’époque (soit 520 000 euros…) le siège social reste établi au 160, avenue du General de Gaulle à Champigny.
Aussitôt, le montage des nouveaux modèles crées par René BONNET et le fidèle Jacques HUBERT débute à Romorantin : d’abord le Djet,
Voiture d’une conception géniale qui restera pour l’éternité le premier véhicule commercialisé avec moteur central arrière et 4 freins à disques (quelques jours seulement avant l’éphémère DE TOMASO « Vallelunga « à moteur Ford et boite ZF),
– puis vient la René BONNET « Le Mans » (57 exemplaires),
laquelle reprend purement et simplement tout le berceau avant de l’Estafette;
– Ensuite, vient le « Missile « (297 exemplaires), qui est, théoriquement, la voiture dont rêvent les industriels : une plate forme de grande série, motorisée avec suspension et direction, sur laquelle on fixe, après les quelques modifications nécessaires, une carrosserie en polyester.
En somme, le « carry over » maximum avant que le terme et la mode n’en soient réinventés (voire la « Rancho » en 1977).
Si les idées sont bonnes.
La réalisation et l‘industrialisation ne sont pas au rendez-vous : la finition et la fiabilité laissent à désirer malgré des prix plus élevés que la concurrence.
Par ailleurs, les prix de revient ne sont pas maitrisés et le résultat de la société demeure désespérément négatif. Malgré les nombreux succès sportifs en compétition grâce aux Djet « tubulaire » et Aérodjet (17 exemplaires), la diffusion reste confidentielle : 198 véhicules de la marque René BONNET sont produits entre juin 1962 et décembre 1964.
Claude BONNET, jeune directeur technique de la société, très conscient des faiblesses des Djet CRB 1 ou CRB2, entreprend alors, à l’insu de son père, une série de modifications pour en corriger les défauts (exigüité, bruit, chaleur).
Inspiré par I’Aérodjet, il allonge la carrosserie et accroit le volume utile pour aboutir aux Djet 5 et 5s qui seront présentés au salon 1964 par les Automobiles René BONNET sous l’appellation commerciale MATRA BONNET.
Ces évolutions vont précipiter les difficultés de la société : en effet, pour concevoir et construire les premiers exemplaires des Djet 5 et 5s. il faut arrêter la production et les ventes des types 1 et 2.
Or les besoins d’investissements (outillages notamment) interviennent alors que la trésorerie est à sec en l’absence de recettes.
Le salon de Paris approche : il n’est pas question de le rater car le sort de la société dépend de la présentation de nouveaux modèles, mais les créanciers (notamment les fournisseurs) sont de plus en plus insistants.
L’éviction de René BONNET
Compte tenu de la situation très difficile de sa société, René BONNET n’a pas d’autre ressource que de faire appel à une intervention extérieure.
Celle-ci se manifeste en la personne de Marcel CHASSAGNY, fondateur en zone libre en 1941 de la CAPRA qui deviendra MATRA en 1945 (Mécanique Aviation TRAction).
La société « Engins MATRA » cherche à se diversifier.
En 1961, elle a déjà créé à Romorantin la GAP (Générale d’Applications Plastiques) SARL gérée par André MOYNET ami personnel de René BONNET avec lequel il a gagne l’indice de performance aux 24 heures du Mans et par ailleurs député de Saône & Loire et président de la Commission de la défense à I ‘Assemblée nationale.
La GAP, qui s’installe dans les locaux de la SCI Romorantin Sauldre, produit, entre autres choses, les carrosseries des Djet et Missile à partir d’octobre 1962.
Marcel CHASSAGNY fait face aux échéances de la Société des automobiles René BONNET sur ses deniers propres, mais son intervention aboutit à l’éviction de René BONNET contraint de démissionner au cours de la réunion du conseil d’administration tenue le 23 septembre 1964 : il perd le contrôle de sa société et est remplacé par Philippe CHASSAGNY, fils de Marcel.
Son départ entraine la démission du conseil de MM VALAUX, ALICOT et Marcel PICART.
Dans les derniers jours de septembre, le transfert des actions est effectif.
Une assemblée générale ordinaire se tient le 14 octobre 1964 : elle confirme Philippe CHASSAGNY dans ses fonctions de président et désigne de nouveaux administrateurs : Roger CREANGE. Marcel GRIGORI, Jules CADILLON, Raymond ABECASSIS et M. BARBAUD, représentant de SOPIFRIA, société contrôlée par Sylvain FLOIRAT principal actionnaire des Engins MATRA.
Une assemblée générale extraordinaire se tient a la suite de l’AGO et prend d’importantes décisions :
– la raison sociale devient « Automobiles BONNET »
– le siège social est transféré au 162, avenue du General de Gaulle a Champigny,
– une augmentation de capital, qui avait été décidée le 10 octobre 1963, est abandonnée et les souscripteurs sont remboursés
– le fond de commerce de la société est donné en location-gérance à la SARL « MATRA SORTS » créées le même jour.
– la société « Automobiles BONNET » est mise en sommeil.
Douze actionnaires représentant 5742 actions sur les 7500 formant le capital de la société assistent à cette assemblée générale. Marcel CHASSAGNY et Billy BONNET (épouse de René) constituent à eux seuls la majorité et votent ensemble les résolutions ci-dessus.
Lors du conseil d’administration qui se tient le 23 décembre 1964, il est décidé de transférer le siège social au 147, boulevard Murat (Paris 16) dans des locaux appartenant à la « Société immobilière des villas » entièrement contrôlée par Sylvain FLOIRAT.
Cette décision sera suivie d’effet le 1er février 1965.
Le 14 octobre 1964 apparait donc comme une date clé dans la courte histoire de la marque René BONNET.
Par une coïncidence curieuse que certains porteront au crédit du seul hasard, le même jour, Pierre DREYFUS, président de la Régie nationale des usines RENAULT, dénonce, avec effet au 1″ avril 1965, le contrat de fourniture de moteurs de course et le contrat exclusif de compétition qui lient depuis le 2 avril 1962 René BONNET et RENAULT (ALPINE est alors considéré comme un client marginal !).
Le 14 octobre 1964 encore, la Société des pétroles BP, sponsor historique de D.B. et de René BONNET depuis plus de 10 ans, dénonce le contrat de sponsorisation exclusive et demande le remboursement de l’avance sur les primes de résultats en compétition consentie à René BONNET ( 200.000 F de l’époque).
Entrée en scène de MATRA SPORTS
Le 14 octobre toujours (!) est créée MATRA SPORTS, SARL au capital de 1.665.000 F, ayant son siège 49, rue de Lisbonne (Paris 8″).
Son premier acte est de se porter locataire-gérante du fonds de commerce de la société Automobiles BONNET.
Par ailleurs, MATRA SPORTS se porte acquéreur du stock (matières premières, pièces, véhicules en cours de fabrication, véhicules termines), du mobilier et des machines pour un montant évalué aux dires de l’expert PELLEVOISIN à 1.670.146 F.
II est prévu que cette somme sera réglée en 36 échéances du 31 janvier 1965 au 5 février 1967.
Le contrat de location-gérance était conclu pour une période de deux ans reconductibles tacitement, moyennant un loyer annuel de 200 000 F versé en 4 trimestrialités.
Le 14 octobre 1964, MATRA SPORTS verse un an de loyer d’avance assorti d’un dépôt de garantie de 150 000 F décaissé le 2 novembre suivant.
Par ailleurs, au début de son installation, René BONNET, qui avait investi 774 000 F avait déposé au cours de l’exercice 1962 une demande d’aide à l’investissement sous forme de prime d’équipement.
Cette demande, prise en considération avec un certain délai, entraine le versement d’une prime de 61 920 F le 22 octobre 1964…dans les caisses de MATRA SPORTS !
Selon l’extrait K bis de la SATL MATRA SPORTS, le début de l’exploitation de l’établissement de Champigny est fixé au 1″ octobre 1964, avec effet rétroactif, alors que, curieusement, le début d’exploitation de l’usine de Romorantin est fixe au 1″ avril 1965.
Cette dernière date correspond d’ailleurs au début du contrat de location-gérance de la SATL GAP par MATRA SPORTS.
En avril 1965 tout est en place pour produire le nouveau Djet ont la dénomination commerciale est MATRA-BONNET.
A ce sujet, une précision s’impose : contrairement à ce qui est couramment écrit, cette dénomination ne correspond pas à celle d’une société : plusieurs courriers de R. ABECASSIS à différentes autorités précisent d’ailleurs qu’elle n’a pas d’autre valeur que commerciale.
La fin d’Automobiles BONNET… et de MATRA SPORTS
Octobre 1966 représente également la fin de la première période de location-gérance et sans doute (en l’absence de document on est réduit à des suppositions) la fin du contrat par lequel René BONNET autorisait MATRA SPORTS à utiliser, moyennant redevance, son nom patronymique pour les véhicules produits dans les installations de son ex-société.
Les relations entre René BONNET et MATRA SPORTS furent orageuses et se sont très mal passées : des contentieux nombreux et violents sont survenus à propos de l’arrêt des comptes de la Société des Automobiles René BONNET en octobre 1964 (ses pertes étaient supérieures à 50 % de son chiffre d’affaires !).
Quoiqu’il en soit, le loyer perçu par la société Automobiles BONNET (au titre de la location-gérance d’abord, puis en contrat libre a partir de 1966) ne suffisant pas, en l’absence d’autres ressources, à permettre l’apurement des dettes et des pertes cumulées.
La modification de la loi sur les sociétés, en juillet 1966, fixant aux 2/3 du capital social le niveau de pertes cumulées devant conduire à la liquidation (au lieu de la moitie sous l’emprise de la loi de 1867), des Automobiles BONNET est mise en liquidation sous la conduite de Marcel GREGORI qui s’acquittera de sa tache du mieux possible.
Le 31 décembre 1972, Engins MATRA / division automobile (et non pas MATRA SPORTS), s’est porté acquéreur des actifs et du fonds de commerce d’Automobiles BONNET pour une somme de 150 000 F à valoir sur le dépôt de garantie verse lors de la conclusion du contrat de location-gérance, donc sans décaissement.
La société Automobiles BONNET est liquidée le 18 janvier 1973.
Cette disparité avait été précédée, ironie de l’histoire, par celle de MATRA SPORTS absorbée « toute crue » par Engins MATRA le 20 janvier 1969.
Peu après, le 14 avril 1969, la GAP avait disparu pour les mêmes raisons qui menèrent à la liquidation d’Automobiles BONNET.
On constate donc que MATRA SPORTS et GAP n’ont pas survécu à la disparition du Djet / Jet pour lequel elles avaient été créées.
Epilogue : « la voiture des copains »
Engins MATRA / division automobile ayant racheté tous les actifs de la SCI Romorantin Sauldre dispose donc de la totalité des terrains et bâtiments du Faubourg Saint-Roch pour y produire à partir de 1967 la MATRA 530 avec le succès que l’on sait et avec de nouveaux liens commerciaux (accord MATRA SIMCA de décembre 1969).
TABLEAU RECAPITULATIF :
Charly RAMPAL pour les photos et retranscription de l’article de Dominique PINAUD de l’Amicale D.B. de Mai 1999.