En 1908, les journaux sont remplis des exploits des premières machines volantes, alors que leurs constructeurs et pilotes échangent leurs idées et comparent leurs résultats dans les colonnes de nombreuses revues spécialisées.
Tellier, convalescent, suit avec passion ces essais et ces controverses.

Il prend contact avec Soreau et étudie pendant l’hiver, plusieurs ailes, construisant même, quai de la Rapée, une catapulte pour leurs essais de rendement et de stabilité.

Au cours de l’été, les travaux de l’ingénieur Auguste Rateau sur l’écoulement des fluides le long des surfaces et de ceux du physicien Marcel Brilloin sur les courbes métacentriques sont, pour lui, une révélation.

Au printemps de 1909, la préparation à Reims de la Grande semaine de Champagne, premier grand meeting aérien du monde, crée dans les milieux sportifs aisés une émulation qui suscite de nombreuses vocations.

Enthousiasmé par ce nouveau sport, Emile Dubonnet, ami d’enfance d’Alphonse Tellier qui suit de très près les travaux scientifiques de ce dernier, lui demande le 29 juillet, de lui construire une machine volante. Après réflexion Tellier accepte et se met au travail.

UN MOTEUR PANHARD POUR S’ENVOLER

Le moteur choisi est un quatre cylindres Panhard et Levassor de 35 ch, spécialement conçu pour l’aviation, mais qui, à ce moment la, n’a pas encore fonctionné.

Peu après, plusieurs maquettes sont fabriquées aux chantiers du Quai de la Rapée où le monoplan est mis en construction.

Bien qu’aucun des compagnons impliqués dans ce travail n’ait jamais touché à un engin volant, le monoplan sort des ateliers quatre mois plus tard, mais le moteur prévu n’étant pas disponible, il faut se contenter d’un Panhard modèle 1907 de 24 ch.

Ce moteur pèse, avec son circuit de refroidissement par eau, près de 150 kg.
Trop lourd et trop peu puissant, entrainant une hélice qui ne lui est pas adaptée, ce moteur ne permet pas de décoller.

Vers la mi-décembre, l’avion est monté à Draveil, alors en Seine et Oise, sur un terrain loué en bordure de la Seine, où Emile Dubonnet, totalement inexpérimenté, commence à se familiariser avec la machine en roulant et en manœuvrant au sol.

Cette activité est malheureusement interrompue en janvier 1910 par la crue de la Seine qui inonde totalement tous les terrains riverains, tant à Draveil qu’à Juvisy.

Bien qu’il soit suspendu à la charpente de son hangar, l’aéroplane est atteint par les eaux, heureusement sans trop de conséquences.

Sitôt le terrain asséché, Dubonnet reprend son entrainement.

Début mars, le moteur Panhard de 35 ch peut enfin être monté sur l’avion.

Le 8 mars, très tôt, à l’heure où l’air est le plus souvent le plus calme, à 5 heures du matin, l’apprenti pilote décolle pour la première fois le léger monoplan.

Très étonnamment, là où la plupart se contentent largement d’une ligne droite, il effectue sans encombre plusieurs tours de piste à une altitude d’environ 200m, en présence d’Alphonse Tellier et de son épouse.

Le 19 mars, à sa quatrième sortie, il effectue avec succès les épreuves du brevet de pilote qui lui est accordé par le Comité de Direction de l’Aéro-Club de France sous le n°47.

Certes, les épreuves du brevet sont simplissimes, mais la rapidité des progrès de Dubonnet tend à démontrer d’une part qu’il est doué, d’autre part que l’aéroplane est particulièrement stable.

CARACTERISTIQUES TECHNIQUE DU TELLIER 1909

Le Tellier 1909 est un monoplan biplace à aile haute de grand allongement.

Chaque aile est constituée par deux longerons en bois sur lesquels sont fixés des nervures dont le profil variable, peu épais et à double courbure, détermine une forte portance.

L’envergure est de 11 m et la surface portante totale de 24 m2 ; la corde est légèrement plus courte vers les extrémités arrondies en larges ellipses.

Les divers éléments sont assemblés par rivetage et liés à des goussets.

Les plans entoilés et enduits, sont fixés sur les longerons supérieurs du fuselage et calés à l’angle de portance nulle : leur rigidité est assurée par des haubans en câbles d’acier épissés ne comportant aucun tendeur et assujettis à un pylône métallique traversant de part en part le fuselage.

Celui-ci, très long, est une poutre de section carrée en frêne et sapin, formée par quatre longerons réunis par des montants et des traverses, rigidifiée par un croisillonage de câbles.

Le moteur est un Panhard et Levassor de 35 ch « type léger » à quatre cylindres en ligne et refroidis par eau.
D’une cylindrée de 5,3 L, il pèse 95 kg complet.

Les cylindres individuels sont en acier, entourés de chemises de circulation d’eau en cuivre rouge soudées à l’argent sur les cylindres.

Les culasses sont en fonte et le carter moteur en aluminium avec un fond semi-cylindrique en tôle d’acier.

Au sommet de chaque culasse, les orifices d’admission et d’échappement, concentriques, sont obturés par une unique soupape commandée par un culbuteur et une tige, par l’intermédiaire d’un arbre à cames sur le côté droit du carter.

Le moteur repose sur un bâti en cornières perforées, fixé à l’avant du fuselage par 12 boulons, entraine la prise directe à 1.000 t/mn une hélice bipale Tellier en acacia.
Il est alimenté par de l’essence sous-pression : l’alimentation en huile, régulière et par pression, est assurée par une cuve à flotteur et niveau constant.

Immédiatement derrière le moteur, un radiateur carré en nid d’abeilles est posé sur les longerons inférieurs du fuselage : cette position n’assurant pas un refroidissement efficace, ce radiateur sera bientôt remonté plus haut que le moteur, en appui sur les longerons supérieurs du fuselage.

Le réservoir de carburant est placé un peu plus en arrière, avant la place du passager qui précède celle du pilote.

Les commandes sont actionnées par un unique volant horizontal qui, grâce à deux cardans concentriques, agit sur le gauchissement profondeur et direction.
Seule la partie avant du fuselage est entoilée.

La dérive, simple triangle entoilé et haubanné par câbles, est prolongé par un gouvernail de direction elliptique de faible surface, mais de forme caractéristique, ressemblant à un drapeau arrondi.

L’empennage horizontal, de plus grande surface également haubanné, et le gouvernail de profondeur polygonal sont plutôt grands pour l’époque.

L’attérisseur, inspiré par celui du Blériot XI, est un châssis porteur carré à roues tirées et folles, fortement haubanné à la voilure et au fuselage.

Construit en tube d’acier autour de deux « V » en bois supportant la bâti moteur, sa base comporte deux amortisseurs parallèles en lames de ressort.
Une roue arrière, d’assez grand diamètre, également folle, est fixée sur l’un des cadres du fuselage.

En ordre de marche avec de l’essence et de l’huile pour 6 heures de vol , le monoplan Tellier-Panhard 1909 pèse 500 Kg.
Il quitte le sol en 50m par vent moyen et avec une hélice Tellier.
Sa charge alaire est de 23,3 kg/m2 et sa charge au ch de 16 kg.

PREMIERS SUCCES

A peine est-il en possession de son brevet de pilote qu’Emile Dubonnet s’engage pour le prix de 10.000 frs offert par la revue scientifique « La Nature » au premier aviateur qui effectuera en deux heures le parcours de 100 km à vol d’oiseau, entre deux points préalablement définis.
Il désigne la Ferme de Champagne, au nord de Juvisy, et La Ferté-Saint-Aubin, au sud d’Orléans, séparé de 109 km en ligne droite.

Le 5 avril 1910 à 14h50’20’’, par un léger vent de nord-ouest, il s’envole à bprd de son Tellier-Panhard en présence de MM. Taris, commissaire de l’épreuve, et Rignelle, chronométreur de départ.

A 500 m d’altitude, il survole la Gâtinais, mais entre bientôt dans la brume.
Dépourvu de boussole, il se pose juste avant d’aborder la forêt d’Orléans.
3 mn d’escale et quelques questions aux habitants du lieu lui suffisent pour le situer à Neuville-aux-Bois et le mettre dans la bonne direction.

A 16h39’11’’ après son départ, il se pose à la Ferté-Saint-Aubin, salué parla population rassemblée autour de M. Sautin, chronométreur à l’arrivée.

Le prix de « La nature » est brillament gagné… et le record du monde du vol à travers champs battu avec 130 km environ, parcouru à 70 km/h de moyenne.

La performance du 5 avril compte également pour le prix de 25.000 frs du Daily Mail, attribué au pilote ayant réalisé, entre les 15 août 1909 et 1910, le plus long voyage aérien.

Cette prouesse est d’autant plus remarquable qu’Emile Dubonnet n’avait accompli jusque là que 10 vols depuis son premier virage, tous sur le même autodrome ! L’exploit lui vaut une médaille de Vermeil commémorative que le Comité Directeur de l’Aéro-Club de France lui remet solennellement la 7 avril où le moteur Panhard et Levassor fut aussi associé à ce premier succès qui en appellera bien d’autres.

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Charly RAMPAL (Informations et Documentation Musée de l’Air et de l’Espace)

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