LA MARCU-PANHARD
Le Mans 2002 : dans la salle de briefing où avait lieu notre Assemblée Générale et parmi les personnalités présentes et connues, un petit bonhomme âgé et un peu timide, s’excusant presque de se retrouver parmi nous, reçu une salve d’applaudissements par les sportifs à mécanique Panhard : Yoland MARCU.
Peu connaissait ce personnage qui eut pourtant son heure de gloire en son temps.
Un temps béni pour les purs, les amateurs de belles voitures qui jalonnent le sport automobile.
Un temps où il suffisait d’avoir une bonne base mécanique et un peu de talent pour construire un engin personnalisé qui marquera l’histoire.
C’était le temps des francs tireurs.
En France, ils, furent légion tous ces petits constructeurs « du dimanche » sans pour autant manquer de talent.
Il est vrai que les bonnes bases mécaniques dans notre pays ne manquaient pas : Panhard, Renault et Simca, étaient les valeurs sûres de nos apprentis constructeurs.
Amateur historique de tout ce qui est sport-automobile en Panhard (et bien d’autres), je convenais d’un interview pour que ce petit bonhomme me raconta son histoire à travers Panhard…
Pour Yoland Marcu, le déclic vint très tôt quand son grand-père, grand amateur de sport automobile, emmenait son rejeton respirer l’huile de ricin sur le bord des circuits.
C’est le côté pilotage qui l’intéressait : voir ces champions admirés par la foule avait quelque chose d’attirant.
Il a 21 ans à la fin du conflit mondial.
C’est le moment de répondre à cette aspiration.
Il se met en quête d’une auto, monture indispensable pour l’accomplissement de cette envie.
Yoland Marcu est styliste de mode et souvent ses coups de crayons s’égarent vers des robes sur 4 roues.
Une rencontre fortuite avec Robert Toui qui assoit sa réputation sur la transformation de Bugatti, est l’élément déclencheur.
Cet idéaliste lui expose ses grands projets.
Mais la monoplace que Marcu est venue voir et trop chère pour ses moyens.
Il poursuit ses investigations ailleurs.
Entre temps, il ouvre un magasin d’articles de sport qui stabilise un peu ses rentrées d’argent.
Dans sa quête, il rencontre de nombreux mécaniciens de génie.
C’est le temps de l’explosion de talents sans contraintes vers le progrès : il faut rattraper les années perdues.
C’est ainsi qu’il rentre en contact avec Pierre Duval qui réalise de superbes châssis en treillis très léger.
Mais là encore, par manque de moyens, il ne peut s’offrir ce qu’on lui propose.
Pour ne pas perdre de temps, et améliorer ses qualités de pilote, il s’inscrit aux stages de pilotage de l’AGACI.
Il corrige ainsi ses erreurs et en 1950, il se sent prêt à se lancer dans le grand bain avec une Dyna achetée neuve.
Il sait que les qualités de base de cette voiture sont au-dessus du lot de la concurrence : il peut participer à quelques courses avec peut-être du succès.
Et si elle est destinée à la compétition avec une bonne préparation, elle lui sert aussi à ses déplacements personnels.
Il poursuit son apprentissage en participant à quelques rallyes : Dieppe, Aigle, Sablé…
Une étape est franchie vers la compétition internationale, lorsque durant l’hiver 51 – 52, il achète une barquette, celle précisément qui participa, au Mans 1950 aux mains de Lachaise.
Cette barquette équipée du 610 cm3 Panhard, ne constitue pas une fin en soi, mais uns base évolutive.
Il la fait débuter à Monaco lors d’un Grand Prix exceptionnellement disputé en formule Sport.
Pour cet évènement, il l’équipa d’un 750.
Il ne put terminer l’épreuve, victime d’un serrage du moteur.
Mais son excellente prestation lui valu les éloges du grand Manitou du moment : Charles Faroux.
Il termine la saison en participant à quelques courses correspondant au type de sa barquette, c’est-à-dire en formule sport 750.
Il profite de la trêve hivernale pour revoir entièrement sa voiture.
Le châssis est mis à nu et allégé au maximum. Les suspensions, les trains et le freinage sont améliorés dans le sens de l’efficacité.
Et enfin, la carrosserie est remodelée en forme d’aile d’avion vers un compromis entre beauté et aérodynamisme.
Toujours à la recherche du meilleur rapport qualité / prix, il se tourne vers un jeune, Roland Carpentier, employé de la Chaudronnerie légère, une firme de Boulogne Billancourt.
Ce jeune, habitué à réaliser des carters pour moteurs à réaction, ne se laissa décider que lorsque Yoland Marcu lui parla de course automobile.
C’est dans un box exigu de la région parisienne que Roland Carpentier réalisa ce bijou avec ses propres outils : un poste autogène et un billot de bois.
C’est dans ce dernier qu’il tailla toutes les courbes qui serviront à modeler tous les éléments de forme de la voiture !
Comme tous les artistes, il était assez caractériel et acceptait mal les remarques, mais son travail était remarquable.
De la barquette de départ, il ne reste pas grand-chose : les flasques qui couvrent les roues arrière, le siège et l’ingénieux système d’éclairage du numéro de course que Marcu gardera dans l’espoir de participer aux 24h du Mans.
La voiture toute en aluminium, est très légère et d’une grande qualité de fabrication en finesse et en résistance.
L’aérodynamisme est soigné.
Quelques becquets canalisent les filets d’air.
Le pilote est assis très bas, bien enfoncé dans la caisse pour offrir la moindre résistance au vent.
Le tableau de bord spartiate comme il se doit est très fonctionnel en regroupant autour de la colonne de direction toutes les commandes utiles au pilotage.
Le volant est vertical et le compte-tours saute aux yeux du pilote. La commande des vitesses rappelle celle des Dyna X, au tableau de bord.
A ces travaux de carrosserie s’ajoutent bien entendu ceux du moteur et du freinage avec un remarquable travail de refroidissement sur les tambours eux-mêmes et le carénage.
Un soin particulier est consacré à la circulation interne de l’air.
Tous ces travaux trouvent leur concrétisation et leur bien fondé lors de multiples essais sur l’anneau de vitesse de Monthléry.
Côté mécanique, il dispose de plusieurs arbres à cames.
Pour les essais, il utilise le 610.
Mais c’est le 750 qui est retenu pour les courses.
Il travaille surtout à éliminer les frottements : huile fluide, 2 segments, pistons bombés et équilibrés.
La carter d’huile est augmenté.
Un 850 fut même essayé, sans gain apparent, ainsi qu’un compresseur, mais le tout abandonné, car cette configuration passait la voiture dans la catégorie supérieure.
Pour la boite, tout un échantillonnage de rapports permettait d’adapter au mieux la voiture à chaque configuration des circuits.
Côté structure, les faux châssis avant et arrière de la Dyna sont reliés à des longerons de section carrée, faits maison.
Mais cette solution présentait des faiblesses et il dut faire machine arrière.
La Panhard-Marcu fut présentée officiellement le 21 mai 1953 en grande pompe au cours d’un cocktail.
C’est la photo officielle qu’on voit sur tous les journaux d’époque.
Ces évolutions permanentes dues à quelques tâtonnements propres aux amateurs tout éclairés soient-ils ne permettaient pas de travailler sur la mise au point et donc la fiabilité.
Cette instabilité permanente allait jouer des tours à Marcu qui se soldera par des abandons chroniques aux épreuves de 1954 et 1955 : Bressuires, Sablé Solesme, 12h d’Hyères, Angoulême.
Ici, à Montlhéry, sur la grille de départ, il s’entretient avec Pierre Chancel. On aperçoit en arrière plan sa magnifique voiture couvée par son mécano.
Dans ces années cinquante, l’ambiance de copain régnait.
Chacun essayait d’apporter son coup de main aux plus démunis ou aux plus malchanceux (un peu comme cela était dans notre plateau MEP-Monomill).
C’est ainsi que l’ingénieur Bourven de chez Solex donnait des coups de tournevis magiques qui transformaient le rendement du moteur.
Plus encore, il convaincra Marcu à monter un double corps de 40, relié aux cylindre par une tubulure double spécialement mise au point pour sa voiture.
Ainsi équipée, elle atteignait allègrement le 180 !
De chez Monopole, les techniciens lui fournissaient en douce des soupapes, simplement par amour du sport.
D’autres de chez Marchal plein de cartons de bougies, de chez Dunlop des pneumatiques expérimentaux, donc introuvables.
En 1956, il participe aux Mille Miles avec Lucien Doré sur sa Pichon-Parat.
Pour cela, il récupère le fameux moteur de sa barquette si bien préparé.
Mais, dès le départ, les ennuis commencent à cause d’un embout de bougie mal cliqué et qui provoque un serrage.
Une réparation hâtive lui permet de rejoindre Brescia dans un bruit pas très catholique.
Mais le moteur Panhard tient bon.
Il ne sera pas la cause de leur abandon. En effet, c’est la rupture du train arrière qui sera à l’origine d’une sortie de route qui déclenchera un incendie, détruisant totalement la voiture et… le moteur.
Complètement démoralisé par cette perte, tant de travail et d’espoir pour moins que rien, Yoland Marcu se détourne de la course.
Il ne lui restera que de bons souvenir comme ici à Bressuires :
A tel point qu’il échangera simplement sa magnifique barquette contre une banale Dyna pour son usage quotidien.
Le nouveau propriétaire, au nom inspiré de Raymond Ferrari, engagera la barquette dans diverses courses, après l’avoir transformée, mais il se trainait lamentablement rajoutant une couche d’écœurement à ce pauvre Yoland.
La voiture existe toujours.
On la trouvera chez Coural, puis dans la région de Nantes chez Bertrand Isambert, complète, mais à restaurer entièrement.
Aujourd’hui, heureusement elle a trouvé refuge à Brest qui en termine la restauration.
Quand on connaît les qualités de cœur, de fiabilité et la farouche détermination de ce garçon brestois, on peut-être certain qu’elle va nous réapparaitre comme neuve.
Charly RAMPAL (Photos Yolan MARCU qui me préta)