Lundi 17 Mars, un coup de fil de De Valance arrive à mon bureau :

– « Charly, cela vous ferez plaisir de venir au Mans vendredi 21 à 17H pour rendre un hommage à Charles Deutsch dans le cadre de la remise par le Conseil Régional du CD Peugeot 66 au Musée

Et pour aiguiser encore mon envi, Etienne de rajouter :

– « Il y aura des DB et CD Panhard, avec les maquettes de soufflerie et surtout les personnages qui ont gravi autour de cette équipe, Robert Choulet et Mme Deutsch en tête. »

Il n’en fallait pas plus, Etienne avait une fois encore touché ma corde sensible : Panhard et la compétition!

Le temps de poser une demi-journée de congé, de terminer la semaine la tête dans les années soixante et me voilà en route pour le circuit du Mans et son Musée.

UN TRAVAIL DE PRO…

Comme toujours, Etienne De Valance, le Musée du Mans, M. Piquerat, M. Guyomard et le Conseil Régional avaient bien fait les choses : du sérieux, du professionnalisme, beaucoup de technicité et un parfum de vrai, d’authentique. Nous n’étions pas là pour nous remplir la panse en se congratulant sur un air plus ou moins faux!

Sur les 280 personnes invitées, 60 avaient répondu à l’appel : un record à ce qu’il paraît!

De tous les Présidents de Clubs invités, seuls l’Amicale DB (Roland Roy), le Club Peugeot et le DCPL pour Panhard étaient présents.

Dans la salle de conférence du Musée, une estrade était dressée sur la quelle trois noms prestigieux s’attribuaient un micro : Mme Deutsch, Robert Choulet, et Jean Bernardet, la mémoire automobile.

Au fond de la salle, derrière les rangées de fauteuils, une brochette de véhicules de course retraçait l’œuvre de Charles Deutsch : une barquette DB Citroên,

le tank DB-Panhard de 1959, le CD 62

et la longue queue de 64.

Mais « le plus » venait de l’exposition inédite des maquettes de soufflerie retraçant l’évolution de ce parcours fantastique.

Rapidement, Piquerat remonta l’histoire en se positionnant à chacune des étapes que représentaient ces voitures historiques.

Le décor posé, les acteurs en place, le rideau pouvait se lever sur la reine de la soirée : le CD Peugeot du Mans 66.

Sous les projecteurs, au pied de l’assistance médusée, une œuvre d’art bleu métallisée se présenta dans un bruit feutré.

Une standing ovation s’en suivit, alors que Piquerat : et le petit fils de Charles Deutsch, tout ému, en sortaient péniblement.

Piquérat, aussi à l’aise au volant qu’au micro, pouvait commencer son rôle d’animateur.

Dans un long monologue, il retraça la carrière unique de Charles Deutsch et arriva au CD 66 que le Conseil Régional de la Sarthe avait arraché au marteau du commissaire priseur, le célèbre Hervé Poulain, présent et heureux que ce patrimoine revienne au berceau qui lui avait donné sa raison d’exister : Le Mans.

Tout cela avec, en parallèle, la mise en route de la commercialisation du coach CD, dérivé de la voiture ayant gagné l’indice de performance au Mans 1962, la définition d’une voiture de record bâtie sur le projet CD 64, l’avant projet de la CDBM1 réalisée en collaboration avec Bertin et le Moteur-Moderne, l’étude d’un véhicule spécial amphi-drome pour l’Aéroport de Paris …

Par ailleurs, ces études de projets s’accompagnaient, pour le compte du Ministère des Transports, d’études théoriques de simulations numériques du comportement routier – domaine dans lequel Charles Deutsch était précurseur – afin de développer les connaissances sur la sécurité des véhicules de Tourisme.

Et Robert Choulet de prendre la parole :

« Le bureau d’étude CD était, dès cette époque, un bouillonnement de recherches théoriques et appliquées, la synergie entre ces deux aspects se faisait sans aucun délai par les essais de nos voitures de course sur les pistes, notamment chez Michelin à Clermont-Ferrand.

Dans ce contexte, l’étude, la réalisation, l’exploitation en course et le développement de la CD-Peugeot LM 66 allait être, sur une durée de plus de deux ans, l’aventure de l’engagement sans limite d’une équipe de passionnés.

Sous la direction de Charles Deutsch, j’étais responsable de la conception du véhicule, tandis que la réalisation était confiée à Gilles Gazel-Anthoine, centralien comme moi.

Les études de détails des châssis, suspension et carrosserie étaient réalisées par Jean-Claude Haenel, Boris Plotnikoff et Michel Bonnet, tandis que pour les études aérodynamiques en soufflerie, je pouvais compter sur Lucien Romani assisté de D’Heurle et de Jarry.

Plus tard dans le cours du projet, l’équipe allait se renforcer par l’arrivée de Michel Tétu spécialement chargé des études du comportement routier.

A l’atelier, l’équipe technique se complétait des mécaniciens Seckler, Chenailler, Leroux et Chevallier chargés de l’assemblage, du réglage et des révisions des voitures.Parallèlement, le groupe propulseur était développé, dans la version La Mans, par les ingénieurs du Centre d’Etudes Peugeot, à la Garenne 

Un développement spécial, maxi couple, était par ailleurs réalisé par Jacques Pichard et son équipe du Moteur-Moderne.Michelin s’engageait avec nous dans un véritable partenariat en nous ouvrant ses pistes et ses laboratoires d’analyse véhicule, tout en nous fournissant pour essais de nouveaux équipement continûment développés, dont notamment de nouveaux pneumatiques slicks.

Les essais de développement étaient confiés à Alain Bertaut, tandis qu’Etienne De Valance assurait la direction sportive de l’Ecurie.

Esso était le sponsor principal de l’Ecurie qui bénéficiait par ailleurs, pour la réalisation des carrosseries, du concours du département composites de Chausson.

J’avais convaincu Charles Deutsch de la nécessité d’adopter le moteur central arrière afin de permettre une bonne motricité pour des puissances supérieures à 100 chevaux. Ce changement de cap, après la réalisation des CD Le Mans 64 à traction avant qui se conduisaient avec la plus grande facilité, allait nous valoir, au début, maintes difficultés, constituant un apprentissage accéléré des subtilités du comportement dynamique des voitures à centrage arrière.

Quel était la raison de ces ailerons que vous avez mis à l’arrière ? » posa Piquérat.

– » Il fallait réaliser un véhicule dont le CX de route serait égal ou inférieur à 0,15 tout en présentant, en assiette moyenne en portance et un moment de tangage aérodynamiques nuls ainsi qu’un moment de lacet proche de zéro en dérive et par vent latéral.

Or dès qu’on veut très fortement profiler une voiture et qu’elle est soumise à un vent latéral, elle a la propriété, à la différence des voitures beaucoup plus carrées, de faire que l’écoulement qui s’agit sur la voiture est carrément dévié par la voiture.Si vous avez un vent transversal par exemple sur le côté avant gauche et sous un certain angle, sur le côté opposé de la voiture l’écoulement continue à « coller » et du fait qu’il ne décroche pas, il produit une très forte dépression sur le côté AVD de la voiture et au contraire il fait monter la pression sur le côté ARD tendant à faire dévier la voiture et pour neutraliser cet effet, on rajoute des plans verticaux que sont les dérives , très en arrière de façon que grâce aux poussées exercées sur ces pièces, on obtient une résultante de l’action du vent qui est très près du centre de gravité, si bien que la voiture fait de petites dérives latérales de quelques centimètres, mais ne change pas de cap. Or ce qui est terrible pour la sensibilité d’une voiture au vent c’est lorsqu’elle change de cap, compte tenu de la vitesse 

A 180, si vous déviez de quelques minutes voir un degré vous avez vite fait de parcourir de grandes distances.

C’est pour cela que ces voitures la 64 et la 66 sont totalement insensibles au vent.

Si la dérive est double, c’est parce que le vent subit une usure au contact de la carrosserie. Si on avait qu’une dérive axiale, l’air qui a circulé sur la voiture arrive sur la dérive avec une énergie beaucoup plus faible et la dérive n’est pas très efficace. En doublant ces dérives on obtient une très grande efficacité.

Vous avez pu remarquer que ces dérives sont grandes, ceci est du à la grande finesse de la voiture.

Si vous supprimez les dérives, le vent agit avant les roues avant de la voiture, pour une voiture de tourisme c’est au niveau du pare-brise.

Vous remarquez aussi qu’elles sont vrillées, le but est de rendre plus convergeant les filets d’air au niveau de la voiture et moins en haut de la voiture, c’est pour cette raison que ces dérives sont droites à leur sommet

Ces dérives n’apportent aucune traînée supplémentaire.

Elles ont aussi pour rôle de neutraliser la trajectoire de la voiture en courbe. Egalement le dessous de la voiture a été travaillé pour un meilleur appuie. L’arrière de la voiture remonte à partir du train arrière.

Il y a une inflexion du dessous de la voiture vers le haut, que nous avions déjà étudié sur le CD 62.

Il crée une pression sur le dessus de l’arrière de la voiture et une dépression sous la voiture, les deux se combinat pour appuyer davantage le train arrière.

Ce qui évite de placer un aileron transversal et ne s’accompagne d’aucune traînée complémentaire.

Nous avons recherché sur ces voitures que se soit sur le CD 64 que sur la 66 : une portance nulle

Ces voitures étaient faiblement motorisées, donc il n’y avait de problèmes de motricité qui soient vraiment énormes.

Donc nous n’avions que des problèmes de stabilité et pas de passage de puissance au sol. Il fallait seulement que la voiture ne se décharge pas à grande vitesse.

Donc cet angle d’incidence suffisait.

L’autre innovation du CD 66 était au niveau des suspensions à 5 bielles qui permettaient de remonter les triangles au niveau des arbres de transmission ce qui débouchait sur un dessous parfaitement lisse.

Contrairement aux suspensions classiques où un triangle est sous la transmission et avec le débattement vous perdez une dizaine de centimètres ».

QUEL EST LEUR PASSE EN COMPTITION 

« Trois furent engagées aux 24 Heures du Mans 66, pilotées par Bertaut-Lelong, Ogier-Rives, Heligoin.

Une voiture abandonna sur panne d’embrayage et les deux autres sur sortie de route.

Deux voitures furent engagées aux « 1000 km de Paris » : une 66A conforme à la définition Le Mans à l’exception de la répartition de freinage et de l’amélioration de la commande de vitesse et une 66B qui y ajoutait les modifications de train AR et de train AV qui viennent d’être décrites ainsi que la définition de moteur préparée par Le Moteur-Moderne.

La 66A était pilotée par Lelong­-Heligoin, la 66B par Bertaut­-Guilhaudin.

Puis les 24 heures du Mans 67 , deux voitures qui abandonnèrent rapidement : Bertaut-Guilhaudin sur rupture de moteur, sur désamorçage du circuit d’eau sur la voiture de Ballot Léna­ Dayan.Une voiture fut engagée aux « 12H de Reims » à la fin juin. 

La voiture pilotée par Bertaut­-Guilhaudin remporta sa catégorie (moins de 1150 cm3).

Ainsi se terminait une aventure riche d’enseignements. La voiture participa en 1967 à un certain nombre de séances d’essais à Monthléry et sur les pistes Michelin en vue de continuer le développement des pneumatiques de cette firme.

L’arrêt des compétitions par CD et la suppression des moyens correspondants stoppaient le développement de la voiture. »

ROBERT CHOULET DIGEST

A la fermeture de CD, Robert Choulet passera chez MATRA en 1968.

Il travaillera pour Porsche à partir de 1970. Il donnera naissance à la plus célèbre des Porsche, la 917.

Suivra les Porsche CANAM en 1972 et les ALFA 3 litres en 1973.

Puis se sera l’aventure Peugeot avec les fantastiques 905 qui comme les Porsche remportèrent le championnat du monde.

Il terminera chez Peugeot, où il travaillera sur la Jordan-Peugeot de Formule 1.

Quel palmarès ! !

ET  ROBERT CHOULET DE SE SOUVENIR…

Avril au Mans, c’est la période des essais préliminaires.

Un week-end à haut risque en ces temps d’expérimentations aérodynamiques.

En peu de temps, quatre pilotes ont payé de leur vie cette recherche de la performance : Lucky Cassner (1965), Walt Hansgen (66), Robby Weber (67) et Lucien Bianchi (69).

Quant à Henri Pescarolo, c’est lors d’une séance privée que sa Matra 640 s’est envolée dans les Hunaudières, avant de retomber au milieu des arbres et de prendre feu.

L’ingénieur français Robert Choulet, déjà connu pour ses travaux sur les CD., se remet au travail.

Il ne tarde pas à trouver les raisons qui ont provoqué l’envol de la Matra, et le moyen d’empêcher qu’une telle mésaventure ne se reproduise.

Mais Jean-Luc Lagardère va trancher dans le vif: il n’y aura pas d’autre 640 et Choulet réintègre bientôt les bureaux d’étude de la SERA, sous la responsabilité de Charles Deutsch.

C’est alors que Porsche prend contact avec le cabinet parisien et lui confie une mission des plus délicates : redonner aux 917 la stabilité qu’elles ont perdue en raison de l’interdiction des ailerons mobiles montés à l’origine. Choulet s’y attelle en avril 1970, la première 917 LH se présente sur le circuit du Mans.

La voiture n’est pas encore au point mais en juin, Vic Elford signe la pole position à son volant et Larrousse-Kaushen terminent seconds sur l’autre voiture.

La vitesse de pointe dépasse maintenant les 350 km/h et la stabilité a nettement progressé, mais nous n’en sommes qu’au début du développement.

En ce samedi matin du 17 avril, quatre Porsche sont alignées devant les stands.

Aux côtes de deux 917 K (dont une surmontée d’une double prise d’air), on découvre une bête trapue dénommée 917-20: bientôt, sa livrée particulière lui vaudra le surnom de « cochon rose », mais pour l’instant, il est plus question de « bateau blanc ».

C’est également dans un blanc immaculé que se présente la version longue.

Avec son capot avant moins effilé et ses carénages de roues arrière, la dernière-née du cabinet SERA semble encore plus impressionnante, monstrueuse : sa beauté est à la fois bestiale et élégante.

UN MOMENT D’ETERNITE

Le dimanche, le staff Porsche est à pied d’œuvre de bonne heure. Il fait frais, le soleil brille lorsqu’à 9 heures précises, Jackie Oliver s’élance au volant de la 917 « longue ».

Il est presque seul en piste et d’emblée, bat le record de Siffert en 3’16″9.

Peu après, il descend en 3’16″0, puis vers 10h, en 3’15″1.

Négociant la courbe Dun­lop à 280 km/h, le pilote anglais poursuit sa quête d’absolu. Sa voiture se comporte parfaitement ».

Bien campée sur ses Firestone extra larges, elle se montre d’une stabilité exemplaire. Les 620 chevaux du flat 12 refroidi par air respirent à plein poumons par cette belle matinée et avalent la ligne droite en 5e, à près de 390 km/h.

À l’heure de la messe, Oliver tutoie les anges… lorsqu’il aborde la courbe des Hunaudières, son pied droit reste collé au plancher, puis juste après la bosse, plonge sur les freins. Les gros disques d’acier perforés « façon gruyère ralentissent le missile de 850 kg, qui s’inscrit dans l’étroit virage de Mulsanne.

À la sortie, le pilote dérive au train arrière.

La917 disparaît vers l’horizon au milieu des grands pins.

Indianapolis, Arnage, les esses de Maison-Blanche, la chicane Ford… au bout des 13,469 km de ce tour de rêve, le chrono s’arrête sur 3’13″6.

Un frisson parcourt toute la zone des stands et des tribunes : la barre des 250 km/h de moyenne vient d’être franchie pour la première fois au Mans! Robert Choulet jubile : «Je ne sais pas exactement pourquoi, mais c’est l’un de mes meilleurs souvenirs.

Il faisait beau, le soleil brillait et les conditions avaient quelque chose d’électrique, racontera-t-il quelques années plus tard à AUTO-hebdo. Quand nous eûmes connaissance du temps d’Oliver, cela fit à tous ceux qui étaient réunis autour de nous une impression extraordinaire ».

En juin, les trois 917 LH firent encore la preuve de leur vélocité, malgré une configuration « endurance » (notamment un poids élevé de 913 à 934 kg).

Pedro Rodriguez franchit encore la barre des 250 km/h en 3’13″9, s’octroyant la pole position sans donner l’impression de forcer.

En course, les trois voitures abandonneront, Rodriguez-Oliver menant avant d’être trahis par une canalisation d’huile aux abords de la mi-course.

Quant au record du tour officiel et définitif du tracé de 13,469 km, il fut attribué par l’ACO à Siffert en 3181, mais le speaker ayant annoncé durant l’épreuve un temps de 3’18″4 pour Oliver, bon nombre d’historiens considèrent que ce dernier en est le vrai détenteur.

Charly  RAMPAL    (Souvenir d’une journée mémorable..)