LE GARAGE TOUZOT : IMMERSION AVEC SERGE DERMANIAN
Suite à mon article sur Marc Gignoux, j’ai eu la chance d’avoir été contacté par Rémy Touzot, il y a 4 ans environ, un des enfants de Roland Touzot , issu d’un 3ème mariage en 1970, dont la garage à Lyon, était à la base du DB-Gignoux et des préparations des DB du début des années cinquante.
Je lui avais alors demandé de me donner un maximum d’informations sur les activités mécaniques de son père, afin d’en rédiger un article pour le PRT (Panhard Racing Team).
Né en 1973, Rémy, n’ayant pas connu cette époque, il ne pouvait répondre à ma demande, néanmoins, il me donnait des informations sur son père : Roland Touzot, dont j’espère vous faire un jour un article sur L’Homme.
Depuis, Rémy et son frère Thierry Touzot, ont été contacté par Serge Dermanian qui a travaillé dans le garage Touzot à cette époque.
Rémy eut alors le bon réflexe en me mettant en relation avec cet excellent mécanicien, passionné.
A partir de ce contact, je pouvais espérer des échanges réguliers et authentiques : ce qui fut fait.
C’est sous la forme de mails, que ces échanges eurent lieu, afin de m’aider à rédiger cet article qui me tenait à cœur.
Né en 1936, à Fougères dans l’Ille et Vilaine de parents arméniens, Serge a eut un parcours atypique.
Passionné depuis sa petite enfance par la mécanique, il n’avait qu’un seul but dans sa vie : être mécanicien !
Serge a tout de suite compris que la base de sa réussite dans son métier, passait par la pratique et en 3ème année, avant le CAP de réparateur automobile qu’il obtint en juin 1956, il fut engagé chez Touzot pour se perfectionner : 2 journées de cours et le reste de la semaine au garage !
En juin 1956, il obtient aussi un CAP de spécialiste de moteurs d’avions.
Le centre de formation situé à Villeurbanne, était patronné par la CSNCRA, une organisation qui régissait à l’époque le commerce de l’automobile en France.
Placé au début au Grand Garage Atlas Citroën de Lyon, Serge fut reçu comme un chien dans un jeu de quilles !
Pour le mettre dans l’ambiance immédiatement, le chef d’atelier posa une première question à Serge : « Combien de temps faut-il pour changer un embrayage d’une 2cv ? Car ici, on travaille aux temps usine ».
Serge ne se démonta pas et répondit immédiatement qu’il était là pour faire de la mécanique, de la vraie sans contrainte de temps et sans connaitre le pédigrée de la voiture à traiter.
Cette attitude directe reçu l’approbation du Directeur.
Mais c’est en 3ème année avant son CAP, qu’il se présenta avec son père chez Touzot.
Une poignée de main avait suffit pour être engagé chez Auto Tilsitt, un préparateur connu, place Benoit Crépu à Lyon…
Une Agence Panhard, spécialiste DB, représentant EPAF : jantes alu ainsi que Réda, boite 4 vitesses pour Citroën traction avant 15/6, culasse spéciale et collecteur d’admission pour 3 carbu Solex inversés !
Serge ne pouvait rêver mieux, d’autant que chez Touzot, il règne une ambiance de folie.
Bien qu’engagé comme apprenti (puis comme « perfectionnant »), Serge fut immédiatement plongé dans l’ambiance du sport-mécanique.
Il ne savait plus où donner de la tête tant le garage était rempli de voitures typées « sport », allant de la Dyna à la barquette DB en aluminium : nous étions au début des années cinquante où le sport-automobile repartait en flèche.
LE GARAGE TOUZOT
Le garage Auto-Tilsit, se trouvait au n° 7 de la place Benoit-Crépu dans le 5ème arrondissement de Lyon. Aujourd’hui, c’est une pharmacie qui occupe cet emplacement historique.
N’ayant pas de photo de cette époque, Thierry, fils de Roland et frère de Rémy, en a fait une maquette sur les données de Serge Dermanain qui fige ce décor où il a œuvré.
Garage vu de l’extérieur :
Ci-dessous, le garage vu de l’intérieur où l’on peut voir en haut et sur la gauche, la Packard, la DB bleue foncé du Patron, la Dyna X qui remportera les Mille Miles 1951 et une Dyna Z d’un client.
Précision : ces 4 maquettes sont issues du commerce, les autres ont été réalisées par Thierry Touzot
Le Garage Touzot commence à se faire une belle réputation : les victoires s’enchainent, les télégrammes de félicitations tapissent les murs, le téléphone qui n’arrête pas de sonner, donnant à ce microcosme une motivation et une envie, seulement perturbée par quelques festivités afin d’arroser les victoires : Tour Auto, surtout, comme ici vainqueur en 1952 :
Mille Miles,
Charbonnières, pour les plus médiatiques.
Au final, le champagne commençait à manquer !
Des clients prestigieux comme le Prince Rainier de Monaco, qui se dissimulait derrière le pseudonyme de « Louis Carladès » pour mieux « co-piloter » un superbe coach DB en alu, carrossé par Frua et portant le n°67 au Tour Auto de 1953 : Serge y avait changé les amortisseurs Houdaille.
Au garage, la tension était chaque jour présente : démonter les voitures pour la révision, évaluer toutes les pièces et les répertorier soigneusement, etc…
Serge est pris en main par « Ciaccio », le chef d’atelier dont il apprécie la patience et la dextérité, toujours prêt à le conseiller.
Puis, il se voit confier le travail à l’établi sur les moteurs Panhard : démontage, supervision, entretien, amélioration…
Très vite Serge se sent à l’aise avec cette merveilleuse mécanique conçue par Louis Delagarde.
IL est alors comblé et convaincu de sa vocation par le bon choix qu’il a fait et toute sa famille en était ravie : concilier métier et passion.
La préparation pour la compétition est le fil rouge du garage, mais pas seulement, aucun répit dans la journée : il faut répondre aux besoins des clients toujours plus exigeants.
Serge a juste le temps d’enfourcher son vélo pour rentrer à la maison pour un casse-croûte, et ensuite passer une grande partie de la nuit à préparer les voitures de compétitions : « Hé petit ? Je compte sur toi ce soir… » lui lançait « Monsieur » Touzot !
Serge me confie alors quelques anecdotes :
Un après-midi, René Cotton arrive avec sa Dyna grise pour un bruit de boite de vitesses, un classique chez nos Panhard ! Mais il doit repartir le lendemain pour le rallye de Sestrières.
On ne va pas tergiverser : il faut changer la boite et René en à une à Paris, soit à 445 km de Lyon…
Pas de problème, que des solutions : un coup de fil à son ami à Paris et la boite sera mise dans le célèbre train bleu qui faisait Paris – Lyon dans les années cinquante.
Entre temps on en profite pour démonter la voiture et c’est à 3 heures du matin que la boite est réceptionnée à la gare de Lyon-Perrache pour être remontée dès son arrivée. Top chrono : une heure plus tard, René Cotton pouvait repartir…
Plus tard à sa demande, Serge monta une sirène type police sur l’auto de René Cotton pour la lui livrer à son domicile lyonnais à grands coups de sirène.
Une coutume de l’époque était de siphonner de l’essence dans les réservoirs pour l’utiliser au nettoyage des pièces.
Car déjà à cette époque, les économies de carburants été a l'ordre du jour, la France n'ayant pas de pétrole : il fallait bien se débrouiller avec les moyens du bord…
Toujours par soucis d’économie sur le sujet : en 1953, Roland Touzot, reçu le prix de la plus petite consommation de carburants pour la plus grande distance parcouru !
Un jour, Serge décide d’en siphonner dans l’auto du « Boss » : une DB qui était dans la remise…
Hélas, il avait oublié que ces moteurs hyper-compressés marchaient au mélange méthanol/benzol avec l’essence !
Dès les premières aspirations, les vapeurs l’ont suffoqué et Serge du regagner son domicile à vélo : heureusement qu’il n’eut pas à souffler dans le ballon !
Pour le Charbonnières, Serge avait placé un petit bidon de ce mélange, sous le tableau de bord en vu de la spéciale en course de côte qui devait départager les concurrents.
Le moment voulu, le pilote pouvait ouvrir un petit robinet et le mélange arrivait au carbu donnant un sérieux coup de pouce au moteur.
Mais cette solution avait ses limites… Roland Touzot qui adorait améliorer les moteurs, avait monté des pistons « super-haute-compression ».
Et malgré cela, la fiabilité avait été mise à rude épreuve : les moteurs ne duraient pas longtemps et le quai de Fuichiron en fut quelque fois le témoin !
Le patronyme Dermanian de Serge, avait porté la famille Touzot à lui attribuer un diminutif amical de « Nian-Nian ». Ce qui amusait beaucoup Serge, car il savait que ce n’était pas péjoratif.
A tel point qu’au début de janvier 1955, Roland Touzot convoqua Serge dans son petit bureau : « Nian-Nian, j’ai pris contact avec mon ami à l’Auto-Ecole Célestins, il t’attend : je t’offre tes leçons et ton permis de conduire ».
Le 13 janvier 1955, Serge passait son permis qu’il a encore aujourd’hui estampillé de cette date originelle ! C’était ça Roland Touzot.
La première voiture de Serge, fut une américaine.
Roland Touzot, ancien pilote de chasse durant la guerre, avait conservé une Packard verte qu’il avait bien protégée et remisée.
« P’tit , change les bougies et met la batterie en charge ».
Serge, debout sur le pare-choc énorme des autos de cette époque s’exécuta.
Mais devant l'impressionnant 8 cylindres en ligne, il ne put trouver la 8ème bougie !
Et pour cause, le 8ème cylindre était planqué sous le pare-brise !
Serge se souvient aussi de cette batterie de 6 volts, à la forme bizarre, toute en longueur, et à la dimension de la voiture.
Il se souvient de la radio, qu’il fallait laisser chauffer en bourdonnant et le fameux « wonderbar » chercheur d’ondes automatique : l’aiguille se déplaçait d’un bout à l’autre du cadran pendant que le bouton tournait.
Un autre jour, le docteur Persillon, copilote de Roland Touzot, arriva au garage au volant d’une superbe Alfa Roméo rouge, un coupé 1900 SS.
Pour Serge, c’était la première fois qu’il pouvait contempler ce beau moteur double-arbres à cames en tête qui a fait la réputation de la marque italienne.
Devant les yeux ébahis de Serge, Persillon l’invita à aller faire un tour dans la grande côte qui jouxtait l’atelier.
Le son du moteur, la dextérité avec laquelle Persillon manipulait le levier de vitesses et jonglait avec le volant, impressionna le jeune mécano.
En effet, prés du garage se trouve la montée de Choulan, célèbre à Lyon pour sa forte pente dans les collines de Fourvière.
Le but du jeu étant de la gravir moteur à fond.
Si la voiture arrivait en haut, elle était bonne pour la compétition. Par contre, si il y avait de la casse, c'est le propriétaire qui payait les réparations.
Autre anecdote : une nuit, tout en préparant la DB, on s’aperçut qu’il manquait un accessoire important : le siège !
Vers 2 heures du matin, Roland Touzot interpella Serge « Démerdes-toi Nian-Nian ! ».
Gaby, le mécano, regarde Serge en riant et lui indique le café du coin qui avait l’habitude de laisser ses chaises entassées devant son commerce.
A cette heure avancée de la nuit, il n’y avait personne et Serge « empruntera » une chaise.
La chaise en osier récupérée, on lui coupa les pieds et on l’installa devant le volant : la voiture est partie pour le rallye, ainsi configurée.
C’était le temps béni de la débrouille : on était loin des vérifications techniques et de sécurité qui nous polluent aujourd’hui pour ce sacré principe de précaution ! Notre vie nous appartient ou quoi ?
Un autre souvenir fort.
Pour les 4 heures du Forez du 8 mai 1955, Serge accompagne Touzot pour faire l’assistance.
L’auto fonctionne à merveille et les temps sont au niveau des records.
Soudain, Touzot s’arrête au stand pour ravitailler, mais le moteur perd de sa puissance.
Un second arrêt au stand et Serge se plonge sous la capot pour vérifier les bougies en se brulant les doigts.
Diagnostique : piston. C’est l’abandon, la course est terminée. Serge est au bord des larmes.
« T’inquiète pas, Nian-Nian, tu as bien bossé ! ».
Grand seigneur et pour le consoler, Roland Touzot emmène Serge au Casino où il l’installe sur un grand tabouret et offre le champagne pour tout le monde !
Soucieux de son personnel, le travail en hivers abondait. C’est ainsi que Serge apprit ce que le mot « restauration » voulait dire.
Fréquemment, les autos un peu « fatiguées » étaient complètement démontées, la caisse accrochée à un palan au plafond, séparée du châssis.
Objectif : révision complète de tous les éléments, même les amortisseurs Houdaille sont révisés et repeints.
Jusqu’aux batteries, dont Serge enlevait le goudron qui fermait le bac, remplaçait les plaques dans l’ordre, une positive, une négative, le bac scellé, les bornes soudées, le plein d’acide, une mise en charge… et voilà une batterie neuve bonne pour le service !
A cette époque, Monsieur, on ne jetait rien, on recyclait… Tout avait une valeur, sentimentale ou fonctionnelle.
Autre amélioration : des compresseurs étaient aussi installés en aval du carburateur entre le collecteur d’amission et le carbu, que nous panhardistes connaissons : MAG ou Constantin.
Pour les rallyes, Roland Touzot avait eu l’idée d’installer une deuxième courroie de dynamo au cas où.
Serge l’installait avec un petit fil de fer. Si besoin, il suffirait de desserrer juste un peu les boulons pour placer cette courroie, régler la tension et le tour était joué !
Serge se souvient aussi d’un DB rouge (qui appartenait à un certain Crawford).
Il avait galéré pour remplacer les amortisseurs Houdaille placés de chaque côté vers la paroi, proche des tubes du châssis et des boulons (17 ou 19) difficilement accessibles.
Egalement, d’un client nommé Benmussa qui possédait une superbe barquette DB bleue, toujours fringué comme un gandin, chapeau melon, manteau en Mohair gris… Un MONSIEUR !
A cette époque l’habit faisait le moine…
Voilà, en quelques phrases ce qu’était l’ambiance au garage Touzot de Lyon.
Pas étonnant que Serge Dermanian en garde un souvenir profond et ému.
Des souvenirs du même type que ceux que Marc Gignoux m’avait racontés lors de notre rencontre à son domicile parisien et j’en avais été profondément touché par la gentillesse et le savoir vivre de la famille Touzot.
C’est pourquoi, lorsque Rémy m’avait contacté, tout ce passé religieusement écouté, était remonté à la surface et me poussait à vous le faire partager.
Charly RAMPAL sur des informations précises de Serge Dermanian que je remercie chaleureusement, ainsi que Rémy et Thierry Touzot.
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