En 1913, Panhard et Levassor est une firme qui vit sur sa notoriété acquise sur de réelles innovations techniques ou des succès sportifs.

Le glorieux passé en compétition de la marque doyenne française a vécu, connaissant un point final en 1908 où deux bolides Panhard et Levassor s’élancèrent pour le deuxième Grand Prix de l’ACF qui se court, cette année là, à Dieppe.

Lors de cette ultime épreuve – on ne reverra Panhard et Levassor en course qu’en 1923, - les voitures engagées se révèleront bien décevantes : l’une sera victime d’un accident tandis que l’autre terminera péniblement à la neuvième place.

Pratiquement oubliés donc, les succès auxquels, de 1894 à 1903, du premier Paris-Rouen à l’aube du Paris-Madrid en passant par la Coupe Gordon-Bennett, Panhard et Levassor avait habitué sa clientèle à des autos victorieuses pilotées par des noms aussi illustres que Farman, Le Chevalier de Knyff ou Charles Rolls en personne.

Il faut naturellement porter au crédit de Panhard et Levassor l’adoption du moteur fonctionnant selon le principe Knight-Kilbourne (chemises coulissantes à tiroir) : les fameuses sans-soupapes.

Mais cette réelle innovation technique sera réservée à quelques modèles de la gamme et ne se généralisera vraiment qu’après la première Guerre Mondiale.

Conséquence ou volonté déterminée, pour toutes ces raisons, en 1913, Panhard et Levassor fabrique du solide, du cossu et n’hésite pas à faire payer cher à ses clients cette qualité de fabrication.

La 10cv que je vous présente, en est un exemple.

En 1913, ce modèle coûte 9.300 F. Darracq, une autre marque de renommée identique, vend son modèle de cylindrée supérieure, 13cv, également carrossé en torpédo mais équipé lui d’un moteur sans-soupapes : 8.200 F.

Reconnaissons cependant que Panhard et Levassor livre cette même année tous ses modèles équipés des derniers accessoires alors en vogue, sa clientèle étant, en ce début de siècle, une bourgeoisie aisée, éprise d’un certain classicisme automobile, prête à la payer, mais qui n’a pas les moyens d’acquérir – ou l’envie d’exhiber – une très grande marque de prestige.

LE TOUR DU PROPRIETAIRE

Important, le premier coup d’œil sur une voiture.
Parfois, il est bien plus révélateur qu’un examen plus approfondi.

L’impression première de la Panhard et Levassor est celle d’un gros torpédo. Lorsqu’on s’approche, l’impression se confirme : le radiateur de la Panhard et Levassor est large, les phares d’un diamètre important.

Déjà, l’accès surprend puisque pour s’installer au volant qui est à droite, il faut passer par la porte de gauche !

Assis au volant, on constate que celui-ci est de grand diamètre, en bois à quatre branches muni de la manette des gaz.

Levier de vitesses et frein à main sont blottis contre la carrosserie, la banquette est très haute rappelant que le souci d’ergonomie n’est pas encore passé par là !

Par contre, dès qu’il s’agit de démarrer, la Panhard et Levassor montre ses avantages par rapport à la concurrence : la X19 possède une dynamo-démarreur malgré la présence d’une manivelle au cas où !

C’est un atout majeur à l’époque où nombre de chauffeurs étaient sacrifiés à l’autel des entorses, ecchymoses et autres douceurs des manivelles récalcitrantes…

Autre atout en faveur de la Panhard et Levassor : les accessoires de conduite.

En effet, celle-ci est munie d’origine d’un compteur kilométrique, d’un indicateur de vitesses (de marque OS) et d’un boitier ampèremètre-contacteur avec bouton de mise à la masse et d’avertisseur et clé de contact.

C’est en manœuvrant cette clé que l’on obtient successivement l’éclairage des veilleuses et des phares.

Nous touchons là d’ailleurs à un point d’équipement très important car si la X19 était munie d’un éclairage électrique – un détail sur lequel insistait beaucoup à l’époque Panhard et Levassor dans l’ensemble des publicités et des catalogues – pour mettre encore plus fort l’accent sur un confort de conduite inégalé, duquel ne fait certainement pas partie l’orifice de remplissage du carburant au tableau de bord !

Voilà qui devait être pratique lorsqu’il s’agissait de faire le plein avec des bidons à l’époque !

Après avoir planté le décor, il s’agit maintenant d’attaquer le cérémonial compliqué du démarrage : soulever le capot, ouvrir les robinets d’essence, noyer les carburateurs, mettre un peu de gaz au volant.

Cependant, le moteur de la X19 s’ébroue sans difficulté. Après un nécessaire temps de chauffage, le moteur est mis au ralenti.

La Panhard et Levassor émet un son plus chuinté, plus « ancêtre » à l’oreille et son ralenti ne tient pas très bien.

EN ROUTE POUR UNE IDEE

Nous voilà parti. Le passage des vitesses est facilité par une disposition de la grille en H qui ne dépayse pas, contrairement à la plupart des voitures de l’époque, en ligne, comme sur les motos.

C’est une boite à 4 vitesses qui passent assez bien, mais qui siffle désagréablement.

Par contre, le gros problème est de pouvoir arrêter la voiture.

Ce manque d’efficacité s’explique par des freins qui n’agissent QUE sur les roues arrière.

Aussi doit-on dans certaines descentes avoir recours au frein à main qui agit sur un deuxième jeu de mâchoires également disposé sur les roues arrière.

En marche, la sonorité du moteur est agréable et une sensation de nervosité est à remarquer à chaque pression sur l’accélérateur, ce qui s’explique par la présence d’une mécanique de plus de 2 litres (2.154 cm3).

Cette impression se confirme par une montée en tours plus franche même en 3ème et 4ème d’autant mieux que le passage de la puissance au roue est parfaite, pourtant l’étroitesse des pneumatiques tendrait au contraire.

Cette constatation s’explique par une règle mécanique sous la forme d’un astucieux joint de flector.
Il s’agit d’un joint universel élastique en toile et caoutchouc qui permet le déplacement des arbres en action-réaction sans à coup.

PEUT-ON PARLER DE CONFORT ?

La Panhard et Levassor X19 encaisse « les mauvais revêtements à sa manière », mais il ne s’agit pas de véritable confort, quant on se remémore l’état des routes de l’époque, il y a tout lieu de plaindre ses pauvres occupants.

Cependant, après un long parcours on ne descend pas « démonté » de cette Panhard et Levassor : tout juste garde-t-on en souvenir, quelques instants, un léger tremblement…

La visibilité à toutes les places est par contre excellente encore accrue par la version torpédo.

L’espace est généreux et l’on peut étendre complètement ses jambes aux places arrière.

Mais la position « haute sur patte » des voitures de cette époque délivre dans les virages un ballant qui surprend tant il tient du tangage marin !

Surprenant l’absence de bruits ou grincement parasites contrairement à l’idée que l’on pourrait se faire d’un véhicule du début du 20ème siècle.

Pour la conduite, il faut s’habituer, faute de place en largeur, à mettre le coude droit en dehors.

Hormis cela, le gros volant de bois transmet très directement les mouvements aux roues et, réciproquement, on ressent très bien les inégalités de la route à travers leurs vibrations : c’est peut-être cela « vivre la route ! ».

En ce qui concerne la tenue de route, disons le tout net : les choses se gâtent.

Il faut dire qu’avec des pneus 760/90, la surface d’adhérence au sol est des plus réduites, ne pardonnant en courbe aucune brusquerie ou freinage intempestif.

Une fois habitué à ces paramètres, il devient alors possible de lancer l’auto en pleine vitesse.

La X19 atteint les 90 km/h, seul inconvénient à cette vitesse élevée, il devient difficile de maintenir l’auto sur le droit chemin et, au moindre défaut de revêtement, elle semble vouloir se désintégrer !

En conclusion, disons que la Panhard et Levassor est joliment finie et elle offre un agrément de conduite digne d’éloge, mais son prix s’en ressent.

Une fois encore Panhard et Levassor trace la voie d’une ligne technologique qui sera à l’origine des progrès de l’automobile.

Charly RAMPAL (D’après les documents d’époque et les impressions de conduite ressenties en direct, sous la conduite de Marcel Lecocq de St Brieuc, aujourd’hui disparu)

Rappel : pour agrandir les photos, cliquez dessus, pour revenir au texte, cliquez sur la flèche du retour en haut et à gauche.