Non contente d’avoir commercialisé les premières voitures de tourisme au monde, la société Panhard & Levassor est aussi pionnière en matière de véhicule utilitaire.

D’abord avec quelques « voitures de commis-voyageur » à partir de 1895, puis des voitures de livraison depuis 1896, et enfin un modèle de camion dès 1899.

Le « poids lourd » est né, et il constituera dès lors un volet de l’offre commerciale de la marque pendant soixante ans, avec une importance variable suivant les époques.

Faisons le point sur la construction de ces premiers camions Panhard, nés avant la grande guerre

Etabli sur un châssis 6 CV type M2F (2 cylindres, 1648 cm3), ce tout premier camion est évidemment encore très rudimentaire.

Il s’agit d’un véhicule à moteur sous le siège, disposition particulière que l’on retrouve déjà depuis 1896 sur certains véhicules de la marque, et qui présente des avantages indéniables en matière de maniabilité et de compacité.

Devant le conducteur, qui domine la route, le volant est implanté pratiquement à plat.

Un petit plancher lui permet de poser ses pieds, un auvent le protège un peu du vent et des projections.

Aucun pare-brise n’est prévu.

Immédiatement derrière le siège du conducteur, un grand bac à ridelles permet le chargement de marchandises.

Il semble qu’aucune bâche ne soit prévue avec le véhicule.

Comme c’est le cas sur toutes les automobiles fabriquées par la marque depuis 1891, les roues arrière sont d’un diamètre plus important que les roues avant.

Mais, si les roues avant ont droit à des pneumatiques, les roues arrière sont seulement ferrées.

ROUES FERREES OU BANDAGES CAOUTCHOUTES ? 

Le système des roues ferrées n’a qu’un seul avantage, c’est son prix de revient assez bas, qui permet de diminuer très sensiblement la facture lors de l’achat d’un camion.

Cela peut paraître étonnant de nos jours, mais le coût des pneumatiques est énorme à l’époque.

Dans la mesure où le camion s’adresse à une clientèle pour laquelle l’immobilisation de capitaux importants constitue un réel inconvénient, l’argument n’est pas négligeable.

 Pourtant, les inconvénients sont de taille.

Les secousses engendrées par les bandages ferrés sont telles qu’elles entraînent rapidement une détérioration importante : le cisaillement des rivets d’assemblage des longerons, la cristallisation des essieux, le desserrage des paliers ou des coussinets, des jeux inquiétants dans la direction, la rupture des tuyauteries, les fuites au radiateur.

Les roues surtout souffrent terriblement, au point qu’il est extrêmement rare d’atteindre 3.000 km sans procéder à un rechâtrage…

Et il est fortement déconseillé de dépasser les 12 km/h, sous peine de mettre le véhicule totalement hors d’usage au bout de très peu de temps !

Par ailleurs, les bandages ferrés ont une adhérence insuffisante sur les pavés et surtout sur la neige, à tel point qu’il est impossible de les utiliser dans les régions où les neiges sont fréquentes.

Enfin, ils détériorent fortement les routes, ce qui est coûteux pour les pouvoirs publics, et dommageable pour les autres véhicules.

Et si le camion fait souvent les mêmes trajets, il s’abîme d’autant plus vite que la route est dégradée…

Meilleure adhérence, amortissement des chocs et des trépidations, silence de marche : les bandages pleins ont de quoi faire l’unanimité, si l’on excepte leur prix.

Et une durée de vie qui va de 15.000 à 30.000 km à condition d’en prendre soin : il faut éviter les coups de frein brusques et en extraire régulièrement les corps étrangers : clous, tessons de verre, pierres…

Le pneu en caoutchouc s’imposera évidemment, et assez rapidement avenue d’Ivry.

Mais on verra des bandages ferrés jusqu’en 1914 sur certains camions.

LES PREMIERS CAMIONS

En 1900, quelques camions de tailles variables sont encore construits ; ils sont souvent établis sur des châssis M4E (10 CV) ou M4F (12 CV) et possèdent suivant les cas le moteur sous le siège (ce qui est généralement le cas si la charge est importante) ou le moteur avant, comme la plupart des modèles de tourisme.

La production exacte de ces véhicules n’est pas connue, mais elle ne dépasse pas quelques dizaines par an au mieux.

Toutefois, l’utilité du camion commence à s’imposer et son avenir paraît assuré.

Ce créneau est forcément appelé à se développer.

C’est certainement ce qui va pousser la marque doyenne à maintenir sa présence et à la structurer.

C’est cette gamme structurée que cet article se propose d’analyser.

Un type des Mines spécifique est désormais réservé aux camions à partir de 1903 : le type K, reçu le 24 avril.

Il s’agit d’un châssis 10 CV (à moteur Centaure type 04E).

Toutefois, ce type K va exister progressivement en différentes cylindrées, avec moteur avant ou moteur sous le siège, avec des empattements compris entre 2,82 m et 3,56 m, la charge utile étant d’une tonne ou de deux tonnes…

C’est un peu la catégorie fourre-tout utilitaires !

Mais cela confirme, s’il en était besoin, la volonté d’aller de l’avant dans ce secteur.

Les chiffres de production des modèles K restent pourtant faibles au cours des premières années : 2 exemplaires du 10 CV en 1903, puis 25 exemplaires en 1904 (20 à moteur 10 CV, 4 à moteur 7 CV et 1 omnibus 24 CV), ensuite 13 exemplaires en 1905 (6 à moteur 7 CV, 5 à moteur 10 CV et 2 omnibus 24 CV), 22 en 1906 (14 équipés d’un moteur 10 CV et 8 du nouveau type à moteur 15 CV), puis 21 en 1907 (7 en 10 HP et 14 en 15 HP).

Ces types K sont tous dotés du moteur Centaure ; en 1903, le type 04E (4 cylindres parallèles, par groupes de deux), puis dès 1904 avec les Centaure allégés types S4E et S4R et S4I (4 cylindres séparés), puis à partir de 1907, les versions améliorées type T4E, T4R, T4F et T4I.

L’unique 10 CV des débuts est donc secondée dès 1906 par un 15 CV puis par un 18 CV en 1908.

Quelques 24 CV sont également construits dans les années 1911-1913, plus quatre omnibus pour Michelin, trois dès 1904, et un seul en 1908.

Et puis, presque clandestinement, on trouve dix véhicules de 7 CV à moteur deux cylindres type 02R, en 1904-1905 ; ce type ne cadre pas avec la définition des Mines (quatre cylindres), mais c’est pourtant ainsi qu’ils sont répertoriés dans les registres de production.

 Tous ces véhicules bénéficient de l’allumage électrique et restent fidèles à la transmission par chaîne.

La boîte, à quatre vitesses, est du type KC, dont il existe plusieurs variantes (KC 1/2, KC 4/9, KCB).

LA CLIENTELE DES CAMIONS TYPE K :

Blanchisserie de Cambrai : 5 « K » 10 CV en 1908 et 2 en 1909

Ets Charles Gervais : 4 «K» 10 CV en 1908

Galeries Lafayette : 5 « K » 15 CV en 1907

Nouvelles Galeries : 10 « K » 10 CV (1 en 1904, 8 en 1906 et 1 en 1907) et 5 « K » 15 CV en 1908

Magasins du Bon Marché : 1 « K » 15 CV en 1909 ; 3 « K » 18 CV en 1908

Magasins du Printemps : 13 « K » 15 CV (7 en 1909 et 6 en 1910) ; 2 « K » 18 CV en 1909

Société Paris-France : 6 « K » 10 CV (3 en 1904 et 3 en 1906)

Michelin : 4 omnibus type « K » 24 CV (1 en 1904, 2 en 1905 et 1 en 1908)

Quelques utilitaires sont également exportés :

• Aux Etats-Unis : 2 « K » 10 CV (1906 et1910); 11 « K » 15 CV (4 en 1907, 5 en 1908, 2 en 1909)

• En Belgique : 1 « K » 15 CV (1908)

• En Hongrie : 1 «K» 10 CV (1908)

• En Espagne : 1 « K » 15 CV (1909)

• En Argentine : 4 «K » 15 CV (2 en 1909 et 2 en 1911)

• En Uruguay : 1 « K » 18 CV (1910)

Le véritable démarrage a lieu en 1908. Cette année-là, la marque prouve sa volonté d’aller de l’avant en éditant un catalogue spécifique dédié aux véhicules utilitaires.

Il ne s’agit pas d’un simple complément au catalogue « tourisme », mais bien d’un catalogue tout aussi épais et luxueux !

Ci-dessous le camion à ridelles à moteur 7 HP type M2F est daté de juin 1899.

Ce qui correspondrait au n° 1.695, livré le 13 juin 1899 à Clément.  Mais le n° 1.696, daté du 16 septembre 1899, a été débité au compte de la société Panhard & Levassor…

Ci-dessous : petit camion à moteur sous le siège 7 HP Type M2F de 1901

Ci-dessus : Un des premiers camions militaire 12 CV M4F avec moteur sous le siège.

Charly  RAMPAL   (archives Panhard et informations complémentaires de Bernard Vermeylen)