Entre 1955 et 1960, Zagato est un des plus grands carrossiers italiens.

L’un des plus créatifs en tout cas. Son image de marque : la compétition.

Tandis que Farina joue le classicisme, que Bertone hésite entre les volutes de son styliste Scaglione, que Michélotti devient le plus prolifique, que Touring atteint son apogée, les frères Zagato se sont associés aux entreprises les plus piquantes de l’industrie italienne.

La Masérati A6 G/2000, c’est Zagato, la FIAT 8V la plus musclée, c’est Zagato, les Lancia et les Alfa les plus typées, c’est toujours Zagato.

Mais c’est surtout au départ Carlo Abarth qui leur confie le dessin et la fabrication d’une berlinette qui utilise la base mécanique de la Fiat 600 « élaborée » , c’est-à-dire muée en 750.

En 1951, Zagato « se fait la main » sur des Fiat, normal, mais, séduit par les performances du moteur Panhard, il va réaliser sur un châssis D.B. une carrosserie compacte (3,23 mètres de long) toutes les caractéristiques de son style : des formes arrondies mais sans mollesse, une gracile agressivité.

Mais, on ne peut pas comprendre une œuvre d’art ou une entreprise sans connaitre les hommes qui sont derrière.

LA FAMILLE ZAGATO : LE POURQUOI DU COMMENT

Pendant la première guerre mondiale, Ugo Zagato fut engagé chez l’avionneur Pomilio, qui fabriquait les premiers chasseurs biplans italiens.

C’est là qu’il apprit les secrets de l’aluminium, une précieuse expérience dont il fera usage dès la création de sa Carrozzéria en 1919.

Installée en 1919 à Greco, dans la banlieue de Milan, non loin de Monza, la SA Carrozzéria Ugo Zagato marqua son temps dès ses débuts, par des méthodes de construction très perfectionnées.

Elles provenaient de l’expérience acquise par son fondateur pendant la guerre de 1914-1918 au sein de la SA Costruzioni Aeronautiche Ing. Ottorino Pomilio de Turin où il dirigeait la production des pièces d’aile et de queue.

La paix revenue, Ugo Zagato, âgé de 28 ans, diplôme de projeteur en poche, complété par diverses études dans des écoles professionnelles de Milan, quitta Pomolio malgré une intéressante promotion en ces temps difficiles.

Mais cet homme brillant et scrupuleux, pas toujours facile à vivre, avait décidé de fonder sa propre affaire.

LE PARCOUR D’UGO ZAGATO

Le parcours professionnel d’Ugo Zagato, né le 25 juin 1890 à Gravello, dans la province de Rovigo, a commencé très jeune.

Dès l’âge de 15 ans, il quitta sa ville natale pour partir en Allemagne comme apprenti dans une entreprise de mécanique pendant quatre ans.

A son retour en Italie, il entre à la fabrique automobile Cesare Belli à Varese, au nord-ouest de Milan, où il fut affecté à l’atelier de mise au point des premiers modèles.

C’est là qu’il rencontra pour la première fois les techniques de conception et d’assemblage.

A l’entrée en guerre de l’Italie, en 1915, Ugo fut mobilisé et envoyé non pas au front, mais à l’Officine Pomilio-Ansaldo de Turin où il construisait les premiers chasseurs biplans Savoia Pomilio C2 pour former les escadrilles de la nouvelle Regia Aeronautica, l’armée de l’air italienne.

Son contrat prévoyait la construction de deux avions par mois, mais grâce à des procédés très efficaces, Ugo Zagato parvenait à assembler soixante avions dans le même délai !

Pendant les péripéties du conflit, Aldo Finzi, second lieutenant de l’escadrille Serenissima, se lança dans une opération considérée comme impossible à l’époque, un incroyable raid de propagande sur Vienne.

Onze avions devaient y prendre part avec le poète Gabriel D’Annunzio comme principal protagoniste.

Le 9 août1918, neuf appareils survolèrent la capitale de l’Empire austro-hongrois tandis que leur équipage déversait par-dessus bord des milliers de tracts appelant le pays à se rendre.

Pour en arriver là, il fallut résoudre de gros problèmes techniques pour permettre aux biplans SVA de parcourir plus de mille kilomètres chargés de réservoir supplémentaires de 300 litres.

Zagato fut parmi les techniciens sélectionnés pour mener à bien les modifications nécessaires sur les avions.

Il remplit sa mission avec grand enthousiasme, apprenant au passage les secrets de l’aluminium.

Sitôt après la guerre, le jeune homme ouvrit son propre atelier de formage de tôles en 1919, situé via Francesco-Ferrer à Greco.

La petite firme artisanale démarra le 19 avril, une activité de réparation de voitures et d’avions.

Alors que les temps étaient difficiles pour tous les fournisseurs de guerre, le jeune Zagato et ses dix compagnons commencèrent par fabriquer des pièces pour Pomilio, avec qui il avait gardé d’excellentes relations.

Il fit aussi quelques carrosseries pour des châssis de Fiat, Bianchi, Diatto, Chiribiri et italia dans un style traditionnel.

En 1920, Ugo épousa Amelia Bresssello et leur premier enfant, Elio , naquit le 27 février 1921.

LE STYLE ZAGATO

Pour Ugo, l’innovation était son fil conducteur. Il recherchait des formes toujours plus profilée et aérodynamiques.

Ugo Zagato, travailleur obstiné, infatigable, avec un caractère coriace et quelque peu distant, ne se contentait pas de dessiner des carrosseries.

Il passait ainsi des journées dans les ateliers avec ses ouvriers pour vérifier chaque étape de leur travail, intervenant souvent personnellement en phase finale de réalisation.

Ses commandes allaient de la voiture de course à la carrosserie de luxe, la première constituant une activité variable, mais en croissance constante, tandis que la deuxième lui demandait beaucoup de recherches pour trouver des lignes nouvelles, en phase avec les avancées moderne comme l’aérodynamisme.

Le haut niveau des carrosseries Zagato était évidemment très apprécié des gens riches qui pouvaient choisir dans la gamme de 1920.

Pourtant son entreprise connut une série de péripéties et ne put entrer dans une phase de stabilité qu’après la seconde guerre mondiale.

Comme tous ces passionnés de génie, Ugo Zagato  se consacrait corps et âme à son métier sur le plan technique, laissant la partie administrative et financière à ses associés (un peu comme René Bonnet).

Cela eut pour conséquence initiale un renforcement constant de l’image de marque de la firme grâce à une production élevée en quantité (deux voitures complètes par jour) sans oublier les nombreux succès sportifs.

Cependant, la maison eut aussi à affronter les effets de la restructuration et la militarisation d’Alfa Roméo par le gouvernement fasciste.

Le 16 juillet 1930, Ugo Zagato donna sa démission d’administrateur unique dans une lettre à ses associés où il annonce la création de la SA Carrozzeria Ugo Zagato and Co.

Cette entité tournera à plein régime, mais une mauvaise gestion financière mena à sa dissolution et en un changement de nom le 27 mars 1935.

Elle se transforma en Zagato Ditta Individuale, principalement financée par une noble dame britannique du nom de Teresa Johnson Giorgi.

Deux plus tard, Ugo commença à racheter les parts de la nouvelle société et la rendit autonome sur le plan opérationnel.

La dernière transformation eut lieu le 28 août 1937.

Le nom de Zagato était auréolé de la magie dans le monde de la course : les Alfa Roméo 8C 2300 remportèrent de nombreux succès qu’il serait ici trop longs à énumérer.

Dans le même temps, Ugo Zagato ne cessa de chercher à créer des voitures aux lignes toujours plus élancée, en application des principes aérodynamique.

Il fut l’un des premiers stylistes à proposer des pare-brises inclinés, à habiller les phares de manière plus efficace, commençant par les couvrir d’une demi-sphère en aluminium avant de les intégrer dans la carrosserie, des coffres arrière arrondis et des jantes ajourées pour le refroidissement des freins (nous sommes dans les années 30 !).

Le succès de Zagato avant la guerre atteignit un sommet en 1938 aux Mille Miglia : 40 Zagato sur 150 concurrents étaient au départ !

Je vous fais grâce ici de toutes ses différentes productions de ces années d’avant-guerre, dont toutes étaient surtout destinées à la compétition dans un style course assez prononcé, fil rouge de la maison.

Mais passons directement aux années cinquante.

LES ANNES CINQUANTE : L’ERE DU GRAND TOURISME

L’après-guerre permit à Zagato de confirmer sa position de spécialiste des carrosseries à hautes-performances.

La naissance de la catégorie de course Gran Turismo à Milan en 1949 par un ami d’Ugo, Giovanni Canestrini, allait lui apporter une nouvelle consécration.

Idéalement, une GT était conçue pour rouler tous les jours sur route et se transformer en racer pendant les week-ends, par simple ajout d’un numéro de course sur son capot.

 Tel fut le cas de la 750 Gran Turismo Mille Miglia Zagato qui eut un énorme succès et contribua grandement à la renaissance du sport automobile en Italie.

C’est dans cette période que le fils d’Ugo, Elio Zagato ne fut pas épargné par la passion ambiante et ne tarda pas à abandonner de belles perspectives d’administrateur de société, alors qu’il était diplômé en économie, pour se consacrer au pilotage des voitures de son père.

Il devint ainsi parmi les grands promoteurs de la nouvelle catégorie GT, à travers la Coppa Intereuropa.

ZAGATO ET D.B.

En ce début des années cinquante, de l’autre côté des Alpes, le succès des D.B. en compétition autour du moteur Panhard de 750 cc, ne cesse de croitre.

Cet ensemble mécanique châssis attire Zagato en vue de réaliser une GT sur les mêmes bases que sa 750 Fiat.

C’est le 19 janvier 1952 que les représentants de la socitété R.A.M. se rendirent à Champigny pour commander un châssis D.B. n°781 et mécanique Panhard bien entendu, maintenant indissociable aux succès.

Voici la lettre de remerciement de Bonnet à ses commanditaires :

Le 25 mars 1952, tout est prêt à être expédié par D.B. :

C’est alors que les problèmes entre les deux firmes vont commencer tout d’abord concernant l’exportation et les droits de douane.

Voici les deux feuillets d’expédition datés du 26 mars 1952.

Enfin, au mois de septembre la voiture est terminée avec une carrosserie et c’est normal, qui s’inspire de celle du coupé Fiat-Zagato 750 Gran Turismo Mille Miglia, toutes deux destinées à la Coupe Intereuropa

VOICI LE RSULTAT DE LA D.B. ZAGATO EN PHOTOS

De la planche à dessin :

De face :

Sa calandre spécifique :

Son compartiment moteur :

SON PALMARES

Cet exemplaire unique va courir en Italie jusqu’en 1955 aux mains d’Elio Zagato au début et va obtenir de très beaux résultats.

Et dès le 14 septembre elle sera engagée à la Coupe Inter-Europe.

Zagato s’est empressé le lendemain de rendre compte de cette première sortie encourageante malgré une mise au point et une prise en main encore perfectible.

Voici le courrier envoyé de Milan à Champigny :

Quelques photos des diverses épreuves :

Les courses vont alors se succéder jusqu’en 1955, avec en 1954 et 1955 une participation aux Mille Miglia qui s’était concrétisée par deux abandon.

LE TABLEAU DES RESULTATS (réalisé par Roland ROY)

L’IMBROGLIO D.B. / ZAGATO

Après les difficultés d’envoi et retard due aux déclarations douanières, Bonnet va envoyer le 4 juillet 1952 la lettre suivante aux établissements Zagato qui commencent à s’impatienter :

C’est à partir du 23 septembre 1952 que les nuages noirs vont s’accumuler dans le ciel des relations entre les deux marques au sujet du retard du paiement du châssis.

C’est à partir de cette date que des échanges de courrier de plus en plus chauds allaient casser le lien passionnel entre Milan et Champigny :

Lettres du 23 septembre 1952 envoyées à Zagato et celle envoyée au conseiller commercial de Paris :

Pourtant Zagato continue à envoyer les résultats de ses courses à D.B., comme celle du 15 octobre 1952 :

Le 20 octobre, René Bonnet commence  se mettre en colère et adresse à la société RAM Zagato la lettre suivante :

Un mois plus tard, le 26 novembre 1952 exactement, les établissement Zagato répondent par une longue lettre d’excuse :

Alors, d’où vient cette incompréhension voulue ou non ?

Alain Gaillard l’explique en ces termes :

« Au moment ou FRUA est en contact avec D.B. pour réaliser un prototype et une éventuelle fabrication en série, Zagato envisage de se présenter comme un partenaire possible.

En construisant rapidement un prototype à ses frais, Zagato pense sans doute avoir plus de chances d’être retenu par D.B. pour construire une série de voitures en Italie.

D’ailleurs D.B. laisse croire qu’une série de 4 voitures pourrait être envisagée rapidement. »

Mais suite à cet imbroglio entre les deux marques que je viens d’évoquer et qui font perdre la confiance à D.B. pour des raisons de paiement, D.B. abandonnera la piste Zagato et se tournera vers Frua.  

Qui a raison ? Qui a tort ? Nous n’en saurons pas plus, chacun défendant son point de vu, un peu comme l’imbroglio qu’il y eut plus tard en 1962 entre René Bonnet et Panhard.

Entre temps, cette D.B. Zagato a totalement disparue et je ne sais pas comment…

Charly RAMPAL    (Doc. personnelle et archives Zagato. Avec l’aide de Roland ROY)