COUPE DES ALPES 1959 : VICTOIRE GT DE GUILHAUDIN-REY SUR DB-HBR
Crée dans les années 1930, la Coupe des Alpes n’a obtenu ses lettres de noblesse qu’à partir des années cinquante en devenant une épreuve internationale.
Initialement appelé « Rallye des Alpes Françaises », elle prit son nom de Coupe des Alpes au début des années soixante.
Ce rallye « provençal » fut longtemps considéré comme une épreuve la plus sélective du championnat d’Europe à cause de sa grande difficulté à travers les Alpes françaises, allemandes, italiennes, autrichiennes, yougoslaves et suissesses ! Près de 4.000 km de plaisirs masochistes !
Alors pourquoi avoir choisi l’année 1959, pour vous en raconter les faits ?
Eh bien, parce que j’avais 14 ans et que marseillais, passionné de sport automobile (déjà ? Eh oui… !), j’avais réussi à décider mon père à m’emmener voir le départ devant la Mairie, située au bord du Vieux-Port !
Ce ne fut pas une sinécure, car il était allergique à ce sport : à Marseille c’est le foot et la pétanque ! Et même si j’ai porté le maillot blanc de l’OM pendant 13 ans et tatoué au « Droit au but » qui restera ma devise à jamais, j’avais pour le sport-auto une envie précoce !
J’avais lu dans « Le Provençal » du lundi 22 juin 1959, que le départ de cette 20ème Coupe des Alpes aurait lieu le lendemain, mardi, entre 13h30 et 16h30, avec ce titre aguicheur « Sévère lutte prévue pour la Coupe des Alpes entre Pat Moss–Wisdom et Annie Soisbault ».
Les anglais dominant en effet, les épreuves sportives du moment.
Fan de Panhard depuis l’âge de 5 ans, j’avais fait acheter une Dyna X, puis une Dyna Z6 à mes parents, je cherchais vainement dans la liste des engagés une voiture à mécanique Panhard !
Ce fut une tache très difficile de trouver notre marque parmi la forêt de Triump TR3, Renault Dauphine, Ford Zephir, Fiat, Alfa, etc..
Il faut dire que les caractéristiques de cette épreuve, toute en montées, ne favorisaient pas le faible couple de notre bicylindre, plus favorable aux hauts régimes !
Finalement, à force de ténacité, je réussis à dénicher deux DB-Panhard en catégorie GT de 500 à 1000cc : Surles-Pinier et Guilhaudin-Rey, l’honneur était sauf !
LUNDI 22 JUIN 1959
La journée fut consacrée aux contrôles techniques qu’on appelait à l’époque « vérifications ».
Elles avaient commencées à 18h et devaient se poursuivre le lendemain à partir de 10h.
Pat Moss était sur une Austin A40 préparée par l’usine et s’était présentée peu avant la fermeture du contrôle.
Elle était donc, d’après les médias, en concurrence directe avec Annie Soisbault sur Triumph TR3, non seulement pour la coupe des Dames, mais aussi pour la victoire au Général !
MARDI 23 JUIN 1959
Le jour J était arrivé pour les 58 équipages.
Un podium avait été installé à même le quai du Vieux Port en face de la Mairie.
Enfin, le départ tant attendu pouvait être donné.
Longue de 1.240 km, le première étape conduira les concurrents à Cortina d’Ampezzo par un itinéraire difficile à travers les Alpes françaises et italiennes.
Notons pour le fun, qu’en raison des travaux entre Marseille et Aubagne, ce parcours avait été neutralisé : le départ réel sera donné à Aubagne !
Le col de l’Espigoulier, le premier d’une longue série, avait permis de chauffer les moteurs et allait mettre de suite les équipages dans l’ambiance de la montagne!
Les cols du Labouret, de Moure, Saint-Jean d’Allos, de la Cayolle, de Vars, du Mont Genèvre, côté français, puis San Giovani, Vivione, Tonale et du Falzarego en Italie, se dressent déjà sur la route des concurrents.
Voir la carte ci-dessous pour l’ensemble du parcours :
Une épreuve chronométrée en côte se déroulera dans le col d’Allos sur 17 km et une épreuve de vitesse sur la piste fameuse du célèbre autodrome de Monza.
Le parcours général a été découpé en 3 étapes :
– Cortina d’Ampezzo – Mérano
– Merano – St Gervais les Bains
– St Gervais les Bains – Cannes
Organisée par l’Automobile Club de Marseille-Provence, cette XXème édition avait de la gueule !
D’autant plus que l’élite des pilotes internationaux au volant de voitures très performantes, prévoyait une lutte sévère pour le classement général, comme pour celui par classe.
Nos pilotes DB étaient parmi les favoris : Surles-Pinier venaient de terminer le Monte-Carlo à la 3ème place et premier de sa catégorie.
Guilhaundin, n’avait pas dit son dernier mot, et même en retrait sur sa côte, il était dans son jardin, lui l’homme de Chambéry.
Par contre, visuellement, la Régie Renault était venue en force : 5 équipages avaient fait une impressionnante apparition derrière la Frégate de François Landon, chef du service compétition, lorsqu’ils étaient arrivés dans le Parc fermé à 17 heures précises !
5 Dauphine bien préparées et toutes auréolées de leur triomphe au dernier Tour de Corse.
Mais ce seront les anglais les plus nombreux.
En effet, cette épreuve jouit d’un prestige extraordinaire en Grande-Bretagne : 34 équipages !
Face aux 16 français, 4 allemands, 2 américains, 1 hollandais et 1 suédois. Aucun italien pourtant sur une partie de leur terre ! Vas comprendre !
MERCREDI 24 JUIN : MARSEILLE- CORTINA
Cette première étape vers Cortina d’Ampezzo, n’a pas été favorisée par le temps.
En effet, de violents orages accompagnés parfois de chutes de grêle, s’étaient abattus dans la nuit et la veille sur les Alpes italiennes, rendant les routes dangereusement glissantes.
Et quand on connait l’état du bitume de cette époque, plus proche du chemin des vaches que des voies rapides, on se demande encore pourquoi il n’y eut que 6 abandons !
C’est également sous la pluie que s’est déroulée l’épreuve de vitesse de Monza.
52 équipages sont finalement arrivés à Cortina.
Ce peu d’abandons est du à la qualité de pilotage des équipages rompus à la compétition sur route.
Rien à voir avec la conduite assistée d’aujourd’hui : à cette époque, le simple pékin savait tenir un volant !
A l’issu de cette étape, ce sont deux voitures françaises qui se placent en tête, l’une du classement « Tourisme », la Dauphine de Clarou-Rambaud et l’autre du classement « Grand Tourisme », la DBHBR de Guilhaudfin-Rey.
JEUDI 25 JUIN : CORTINA – MERANO
Les concurrents redoutaient, avec juste raison, cette deuxième étape.
En effet, pour des raisons mécaniques diverses, 13 concurrents n’allaient pas prendre le départ, dont notre équipage DB, Surles-Pinier, en panne de dynamo depuis Marseille et sa batterie complètement déchargée, refusait tout service.
C’était fort dommage, car, malgré cet avatar, ce sympathique équipage salonais n’était pas pénalisé et figurait à la 8ème place du Général.
L’étape dans son ensemble a été très dure, surtout la dernière partie.
Les concurrents se plaignaient de leur mécanique, qui des freins, qui de la transmission, boite, pont, embrayage, qui de la suspension.
Mais notre DB survivante tenait bon.
VENDREDI 26 JUIN : MERANO – ST GERVAIS LES BAINS
Le Gavia ayant été supprimé, la 3ème étape de la Coupe des Alpes ne comportait pas de difficultés majeures, si l’on excepte le Selvio et le Vivione où se déroulèrent deux épreuves chronométrées.
Mais la pluie diluvienne a sérieusement gêné les concurrents sur la quasi-totalité du parcours.
Cette épreuve fut fatale aux deux favorites : Annie Soisbault à cause d’une crevaison dans le Vivione et Pat Moss, boite de vitesse cassée !
Enfin, les médias vont pouvoir se tourner vers les rescapés, mais surtout les non pénalisés dont nos amis Guilaudin-Rey qui en plus de leur talent de pilotes, allient l’intelligence de la navigation et du chronomètre !
Egalement l’équipage de la Dauphine en tête : Clarou-Rambaud.
Puis derrière 2 Dauphine aux mains de pointures que sont Condriller et Feret.
Suit une DKW, une Austin, Oreiller et son Alfa-Roméo, et toute une cohorte de voitures britanniques.
SAMEDI 27 JUIN : ST GERVAIS LES BAINS
Journée de repos bien méritée pour les 38 équipages rescapés, le temps de faire un point avant le départ demain dimanche pour la dernière étape qui les conduira à Cannes : altitude zéro et soleil retrouvé !
Dans la catégorie Grand Tourisme, c’est toujours notre DB-HBR de Guilhaudin-Rey qui est en tête devant 10 voitures étrangères pourtant renommées pour leurs performances.
Un bon 850 bien mené sera devant un 954 aux mains d’un « moyen » !
Dans la catégorie Tourisme, trois des cinq Dauphine du Team Renault sont en tête du peloton.
Notons également un bloc indissoluble de 7 Ford Zéphyr, toutes pareilles et de la même couleur, partant et arrivant chaque jour dans un ordre impeccable.
Deux seulement sont pénalisées. C’est une magnifique démonstration des qualités mécaniques et d’une organisation hors pair.
DIMANCHE 28 JUIN : ST GERVAIS LES BAINS – CANNES
Coup de Théâtre lors de cette dernière étape : l’équipage Féret-Monraisse sur Dauphine, dont la position de leader semblait solidement établie, a été pénalisée de 28 points dans le premier tronçon de l’épreuve chronométrée du col de la Cayolle et d’Allos.
Non seulement cela fait rétrograder cet équipage aux dernières places, elle lui fait perdre la Coupe des Alpes en Tourisme, mais fait aussi perdre à la Régie Renault la Coupe des constructeurs.
Cette dernière étape a donc été très difficile, surtout la nuit. Au petit matin, on enregistrait déjà 8 abandons.
Seulement 11 concurrents n’étaient pas pénalisés, dont notre DB-HBR n°81.
Près de Bédoin, ce fut encore 3 nouveaux pénalisés !
D’abord lors de l’épreuve du Ventoux où une Triumph fit un spectaculaire tonneau dans le virage de St Estève.
La voiture fut détruite et les occupants conduits à l’hôpital de Carpentras. Ils en ressortiront bardés de pansements, mais leur état ayant été jugé sans gravité !
Dans la descente du Ventoux, la Dauphine de Clarou-Rambaud abandonnera trahie par son embrayage.
Enfin, le seul équipage féminin encore en course (Hall-Mitchell) sur Ford Zéphyr était immobilisé sur rupture de leur pont arrière.
L’arrivée était en vue :
Finalement ce sont 27 équipages seulement sur les 58 au départ de Marseille (soit 52% de déchet) qui parviendront au but dont 9 non pénalisés, dont Guilhaudin-Rey !
Une fois les comptes des points et les vérifications techniques faites par les commissaires sportifs, les classements définitifs purent être validés et annoncés à la Presse.
L’équipage Condriller-Robin sur Dauphine d’usine, prend la première place du classement Général et la première place de la catégorie Tourisme devant une DKW.
En Catégorie Grand Tourisme, c’est l’équipage de notre DB, Guilhaudin-Rey qui triomphe tout en étant la seule voiture non-pénalisée de la catégorie : un exploit !
Sans les deux incidents survenus aux deux Dauphine qui caracolaient en tête, François Landon pouvait espérer une victoire absolue avec la Coupe des constructeurs qui sera attribuée cette année à la Ford Britannique : 3 Ford Zéphyrs étant rentrées non-pénalisées.
De notre côté, on ne donnait pas cher des deux DB-Panhard engagées. Elles auront néanmoins montré la qualité et les performances de la production pourtant confidentielle de l’usine de Champigny.
Mais que dire alors d’André Guilhaudin, l’extraordinaire pilote qui nous réservera encore de nombreuses victoires sur routes et sur circuits.
Notez qu’à cette occasion, André Guilhaudin avait testé brillamment une de ses nombreuses améliorations techniques : ici en équipant sa voiture de tambour avant spéciaux avec la fabrication d’ailettes soudées améliorant le refroidissement. Ce principe a été retenu par Bonnet avec la sortie des tambours Alfin.
Car les parcours chronométrés de la Coupe des alpes se faisaient aussi bien dans la montée du col que dans la descente. Ce qui fait que le freinage avait beaucoup d’importance.
Mis à part ses qualités hors du commun de pilotage, André était aussi un innovateur dans l’amélioration des voitures. Précurseur pour ces tambours et aussi pour le coach surbaissé HBR !
Suite à cet exploit, il a conservé sa Coupe bien méritée et qui trône fièrement sur le buffet de sa maison de Chambéry et ses plaques de rallye.
Je vous joins une vidéo réalisée par nos amis britanniques et axée sur les concurrents anglais.
On ne voit pas les deux DB, mais on peut se faire une idée sur l’ambiance et la difficulté des routes alpestres du moment.
Charly RAMPAL (Documentation « Le Provençal » + photos Gulhaudin + et ma photothèque)