AU VOLANT DE LA MONOPOLE

Eté 1992 : une bouffe entre copains autour d’un barbecue orchestré par l’ami Hervouet, tout en racontant nos campagnes d’anciens combattants et quelques bêtises sur les filles, le tout sans rock and roll, puis soudain, le « sorcier de Dourdan » me glisse à l’oreille : «ça te dirait de faire un tour en Monopole ? » . Quelle question ! Autant proposer une paire d’yeux à un aveugle !

Merveilleusement restaurée, elle était là dans sa livrée bleue de France, dans un style de vaisseau spatial né de l’imagination d’un Jules Vernes, prête à avaler le bitume !

Nullement du passé ; comme si quelqu’un avait fait sauter les plombs et déclenché une accélération vers le futur. Du coup le futur était là, devant moi, comme si la folie et la beauté avaient éliminé l’ordre établi, une sorte de doux désordre trop longtemps enfermé !

Pourtant j’avais vu sa sœur magnifiquement restaurée par Eric Toutain, dans une autre version du bleu de France, mais aujourd’hui j’allais conduire cet engin un peu fou, ce « Meccano » d’aluminium !

En effet le châssis est un enchevêtrement de tubes d’acier judicieusement soudés les uns au autres recouverts d’innombrables feuilles d’aluminium.

Les dimensions intérieures sont généreuses et la conduite à droite, si elle déboussole un peu, surtout pour passer les vitesses de la main gauche, se digère dans les 3 secondes qui suivent, contrairement à la grille latérale de l’HBR5 !

Le groupe propulseur est un 850 maison, c’est dire si tous les chevaux répondent présent ! Que des pur-sang triés sur le volet : Chaussée pourtant de vulgaires Michelin X, la tenue de route est correcte et le châssis semble rigide.
C’est bien sûr une stricte deux place qui ne fait pas la part belle aux bagages, même si derrière vous, un espace s’étend jusqu’aux extrémités de la poupe.
De l’alu partout, un régal !

La technique est simple pour un plaisir immédiat sans complexes. Légère, d’une finesse aérodynamique extrême (aile d’avion) , elle n’a que faire des équipements que l’on juge indispensable au confort d’une simple berline contemporaine. D’ailleurs sa vocation est tout autre : elle est faite pour la compétition et surtout pour la piste.
Rouler vite est son point fort, une vitesse qu’elle atteint rapidement tant le rapport poids / puissance prend ici tout son sens pour le bonheur de son pilote.

Sa conduite tient du vélo et sans la mise en garde de son propriétaire peu confiant en ses vieilles gommes, on se laisserait emporter.
Groupés dans le champ visuel du pilote, les cadrans utiles permettent la bonne surveillance du moteur. Pas de compteur de vitesse, seule l’aiguille du compte-tours doit monopoliser ( !) votre attention. Car il monte dans les tours ce moulin ! D’autant que rien ne semble freiner son ardeur : le poids ? Inexistant = 480 kg, le Cx ? Un très petit chiffre après la virgule !

Les vitesses passent terriblement bien, on sent qu’elles ont été réglées au poil et le tout petit levier sous le tableau de bord (comme sur les Dyna X ou les Junior) se manie entre le pouce et l’index.

La direction très légère et précise nous change de celle de poids lourd de nos 17 ou 24.

Par contre, le bruit est amplifié par cette caisse de résonance qu’offre l’habitacle.
Je comprends mieux maintenant l’idée qu’avait eu Bionnier en réalisant le « violoncélium » , sorte de violon en aluminium dont il déposa le brevet !
Car pour chanter il chante et la conversation devient impossible. On se surprend alors à parler par gestes, communication naturelle pour le marseillais que je suis, mais lorsqu’on a un volant entre les mains, cela tient de l’acrobatie !

Pour rentrer et sortir, il faut un minimum de souplesse, le seuil est haut, mais les portes papillons largement échancrées facilitent bien les choses, masquant les raideurs de nos ages très avancés !

Le pédalier est très course avec des trous partout.

La suspension, peu habituée aux routes de campagne, ne se préoccupe pas de votre fessier. Elle compte les bosses comme l’avare compte ses sous : aucune brindille n’est oubliée !

Position de conduite que l’on dira « d’époque » , assis sur le grand volant, la Monopole invite à l’attaque. Devant, le capot très plongeant est invisible.

Question conduite, on secoue la boite pour rester dans les tours, on en rajoute et l’on est secoué tout court. Heureusement les baquets en alu aussi (sans ceintures) sont là pour vous soutenir latéralement.

On en bave, c’est le but recherché, mais on s’amuse tellement que les muscles endoloris ne se réveillent qu’une fois à l’arrêt. Et si l’estomac est transformé en shaker, la digestion n’est pas affectée !

La Monopole se pilote, se place sur les freins avant de se caler en appuis. Surtout ne pas lever le pied dans les courbes. Hélas, je n’ai pas pu aller au fond des choses, seul un circuit aurait pu m’y inciter. Et si nous n’avons pas dépassé la limite raisonnable ; on se fait quand même de drôles de sensations.

A 90 dans les Gorges de l’Ardèche ça doit être le pied, car il existe encore des routes et des autos libres comme l’air.

Charly RAMPAL