Le 26 juin 1993, une cinquantaine de Panhard 24 s’étaient données rendez-vous sur les lieux même où, trente ans plus tôt à deux jours près, ce modèle avant-gardiste fut présenté pour la première fois à la presse automobile…

Nous panhardistes connaissons bien cette célèbre photo où la première 24 CT, pas encore terminée et sans moteur (des gueuses l’avaient remplacées !) trônait au beau milieu d’une pièce d’eau artificielle au sein de la jardinerie Truffaut à La Ville du Bois, à quelques kilomètres au nord de Montlhéry.

Ses lignes, émergeant d’un tapis de nénuphars, époustoufla tous les observateurs de l’époque et aujourd’hui encore !

Même si le circuit de Montlhéry avait fait le plein des fans du sport-automobile V.H.C. à l’occasion des Coupes de l’Age d’Or, le parking de Truffaut était truffé de Panhard 24 majoritairement des CT évidemment…

Organisé sous l’égide de la Fédération des clubs Panhard et de son Président de l’époque, Robert Panhard, avec la complicité d’Etienne de Valance, cette manifestation fut l’exceptionnelle occasion d’apprécier la présence de Jean Panhard, le « père » de la 24 CT, qui profita du déjeuner pour évoquer ses souvenirs à propos de la sortie de celle qui allait être la dernière Panhard.

C’est ce monologue de ce capitaine d’industrie que je vous livre dans son intégralité en forme de document historique exceptionnel.

« La période à laquelle la 24 CT est sortie était particulièrement difficile, puisque depuis 1955 des accords avaient été pris avec Citroën et la PL 17 vieillissait.

Il s’agissait de savoir par quoi nous la remplacerions…

J’eu eu de nombreuses conversations avec les dirigeants de Citroën, et finalement il fut décidé de lancer une voiture qui devait être sportive avec de belles lignes et qui surtout ne concurrençait pas Citroën.

Il y avait plusieurs solutions envisageables, notamment du 4 cylindres, mais je me rappelle très bien d’une conversation avec Cadiou, qui était à ce moment là, directeur des études de Citroën, qui me dit : « A non ! pas de quatre cylindres par Panhard ! ».

Je crois effectivement qu’étant donné la qualité des ingénieurs que nous avions au sein de l’équipe, je pense particulièrement à Louis Delagarde, nous aurions pu fait un 4 cylindres tout à fait remarquable…

Le 24 juin, mon père Paul avait 82 ans, c’était l’émerveillement devant cette voiture présentée chez Truffaut..

C’était l’émerveillement de ceux qui ne l’avaient jamais vue mais également de ceux qui l’avaient conçue et préparée.

Les journalistes avaient fêté l’évènement et avaient dit que la voiture était vraiment remarquable.

Roland Peugeot était présent ce jour-là et me dit : « Vraiment ! Nous n’avons pas chez nous des ingénieurs de la qualité des vôtres. Nous sommes incapables de faire des voitures aussi belles. Nous sommes obligés de nous adresser aux italiens ! »

Afin de, comme il le dit lui-même, « se rafraichir la mémoire » et celle de ses convives, Jean Panhard reprit le pré-argumentaire commercial de 1963 qui devait servir aux futurs vendeurs pour présenter toutes les qualités qui firent et qui font toujours, si l’on en juge par le nombre présent lors de cette manifestation, le succès de cette voiture.

« Ce document , comme le stipule la première page est confidentiel, je compte donc sur votre discrétion ! » précisait Jean Panhard avec humour !. ».

La sécurité et le confort étaient les deux points forts de la 24 CT.

« Les voitures faites par Bionnier étaient particulièrement solides et leur tenue de route excellente… A ce sujet, la 24 CT fut essayée sur un certain nombre de routes en région parisienne.

J’avais moi-même participé aux essais et je dois dire qu’au début, la voiture, sur le plan de la tenue de route, n’était pas tout à fait remarquable, elle était très nettement inférieure à celle de la PL 17  et j’étais vraiment très ennuyé.

Et c’est là qu’on voit la qualité du personnel de Panhard à l’époque… Car, en très peu de temps ils ont réussi à lui donner la tenue de route que vous connaissez tous.

La modification portait notamment sur la traverse avant qui n’était pas suffisamment rigide initialement… »

Evidemment l’esthétisme ne fut pas laissé au hasard : « Lorsqu’on dessine une carrosserie, le très grand problème, c’est l’emplacement des phares… Les phares sont plats et il s’agit de les encastrer dans une voiture aux formes arrondies.

C’est là où le génie de Bionnier est intervenu. Il a réussi à donner au nez de la voiture cette forme aérodynamique et belle à la fois.

On retrouve cette forme sur la DS et ce fut, il y a quelques années, un grand plaisir pour moi lorsque le Directeur du service d’études de Ford lors de la sortie de la Sierra, me dit : « Vous savez Monsieur Panhard, j’ai été très inspiré par les formes de votre 24 CT. »

Continuant sur l’esthétisme de la voiture : « Vous avez sur la voiture un pare-choc en acier inoxydable, je ne sais pas si vous l’appréciez, mais c’est moi qui l’ai souhaité… Bionnier voulait lui le faire en plastique.

Je crois que finalement, il avait raison vu l’évolution, mais étant donné la qualité de la voiture et de ce que nous voulons en faire, des pare-chocs en acier inoxydable me paraissait s’imposer. »

Pour conclure, après avoir rappelé combien le système de dégivrage fut novateur et à quel point le souci du détail fut apporté : «En ce qui concerne le confort, j’exigeais  que mon mètre quatre-vingt-dix puisse accéder dans la voiture sans que mes cheveux frottent contre le plafond, il fallait qu’il y ait au moins un doigt d’écart, je ne demandais pas de pouvoir entrer avec un haut de forme !

Pour finir je voulais vous dire combien je vécus des jours difficiles lors de la crise des plastiques.

Nous avions confié les tableaux de bord à Quillery mais ce dernier fut incapable de nous en livrer un !

Pendant les mois d’attente de ce fameux tableau de bord en plastique, la production s’entassait sans que nous ne puissions rien faire…

Nous avons finalement été obligés, dans les délais les plus brefs, de réaliser un tableau de bord en tôle.

Ce fut vraiment des moments très pénibles ! »

Quant aux projets : « Nous avions prévu, nous Panhard, de sortir une quatre porte et également un quatre cylindres, mais comme vous le savez en 1956, il y eu fusion avec Citroën qui connaissait également des problèmes.

Et voyez-vous, je suis tout de même fier de cette fusion, en ce sens  qu’il n’y a eu aucun licenciement, tout le personnel de Panhard a été repris sans exception chez Citroën, ce qui pour moi était quelque chose d’extrêmement important. »

Heureux sont ceux qui, comme moi, ont pu assister à ce rassemblement et ainsi découvrir en quelque sorte « de l’intérieur » ce que fut la genèse de cette voiture.

Charly RAMPAL