HISTORIQUE

Le remorquage des véhicules sur route est loin d’être une chose nouvelle et, dès qu’il a existé des voitures à vapeur, on a essayé de les utiliser comme tracteurs.

Les premières tentatives de ce genre dont l’authenticité soit bien établie remontent à Cugnot,.

La période de 1825 à 1835, qui fut une ère de prospérité momentanée pour les voitures à vapeur en Angleterre, vit se produire de nombreux essais de tracteurs sur route.

En Belgique, en France de nombreux efforts ont été faits pour rendre plus avantageux l’emploi des routière à vapeur.

Lorsque le moteur à pétrole a remplacé la vapeur, de nouvelles tentatives furent faites avec la Batterie automobile Schneider-Caner-du Bocage, les tracteurs Ariès, Saurer et Schneider.

Ces tentatives donnèrent des résultats intéressants, ainsi qu’en témoignent chaque année les épreuves du Concours militaire des poids lourds, mais le problème ne paraissait pas encore avoir été complètement résolu, tout au moins au point de vue militaire.

Après plus d’un siècle d’efforts, on se demandait encore quelle était la solution qu’il conviendrait d’adopter et c’est vers 1910 seulement que la solution définitive a commencé à apparaitre.

Je passe sur cette période d’évolutions progressives et des problèmes de la traction sur route qui avait été détourné au profit de la traction mécanique sur rails, pour en arriver à la solution dite « d’adhérence totale » ou plus simplement de véhicules à quatre roues motrices.

TRACTEURS A QUATRE ROUES MOTRICES

La supériorité du tracteur à quatre roues motrices sur le tracteur qui ne possède que deux roues motrices seulement sur quatre ne peut être contestée un instant, mais cette disposition n’est point sans entrainer certaines difficultés de construction.

Dans un véhicule automobile organisé à la façon ordinaire, avec deux roues motrices montées sur un essieu fixe d’un seul morceau et deux roues directrices montées sur un essieu à fusées mobiles (essieu à pivots conjugués), les quatre roues suivent dans les virages quatre chemins concentriques différents.

Les deux roues arrière décrivent sur le sol deux cercles ayant pour centre un point déterminé de l’essieu qui les porte et les deux roues avant décrivent également deux cercles ayant pour centre le même point.

Ce dernier résultat est obtenu au moyen d’un dispositif spécial qui fait converger les deux fusées avant sur le centre de virage des roues arrière (ce dispositif fort ancien  a été imaginé en 1816, par un mécanicien de Munich, M. Laukensperger et fut importé en France en 1818 par M. Ackermann ; dont le brevet français est daté du 27 janvier 1818).

 Les roues avant n’étant pas motrices et se trouvant indépendantes l’une de l’autre, leurs vitesses de rotation sont réglées par leur contact avec le sol, mais il n’en est pas de méme pour les roues arrière.

Les vitesses de celles-ci doivent, comme celles des roues avant, être proportionnelles aux chemins décrits sur le sol.

Mais, comme elles sont, d’autre part, commandées par le moteur, il en résulte que les vitesses que leur imprime ce dernier doivent être proportionnelles aux chemins parcourus.

Si cette condition n’était pas remplie, une des roues devrait forcément patiner sur le sol, ce qui amènerait des difficultés de direction et une usure prématurée des bandages en caoutchouc.

On sait qu’on a résolu la difficulté en interposant entre les deux roues motrices prises séparément et le moteur, un organe spécial, le différentiel, qui règle la vitesse angulaire imprimée à chacune des roues par le moteur, à la demande des chemins parcourus.

C’est une sorte de balance cinématique et dynamique qui répartit la vitesse et l’énergie entre les roues : je n’entrerai pas dans les détails, pour arriver enfin au tracteur Chatillon-Panhard, objet de mon article, qui adopta cette solution, lorsqu’elle s’occupa quelque temps après de la réalisation d’un tracteur à adhérence totale et, malgré les intéressants résultats qu’elle savait avoir été obtenus dans les essais exécutes en France, elle chercha une autre solution.

Elle était d’accord en cela avec la Compagnie des Forges de Chatillon-Commentry, dont le conseiller technique, le colonel Deport, cherchait depuis longtemps à résoudre le problème de l’artillerie automobile.

ORGANISATION DU TRACTEUR CHATILLON-PANHARD

La solution adoptée pour le tracteur Chatillon-Panhard a consisté à construire un tracteur marchant « l’amble », si toutefois cette expression ne parait pas trop cavalière pour s’appliquer au fonctionnement d’un engin mécanique

Au lieu d’accoupler les roues d’un même essieu, en leur laissant la possibilité de s’accorder par l’intermédiaire d’un différentiel, on accoupla les roues latérales de façon à leur imprimer rigoureusement le même mouvement et, dans ces conditions, on n’eut plus besoin que d’un seul différentiel destiné à coordonner la marche du couple droit et celle du couple gauche de roues motrices, et à équilibrer leurs efforts entre eux.

On était amené, bien entendu, à rendre les quatre roues directrices, seul moyen d’imprimer le mémo mouvement à des roues placées en ligne.

Les quatre roues devenaient donc en même temps motrices et directrices.

Elles étaient toutes organisées et commandées de la même façon et en particulier la commande de direction leur imprimait des mouvements de braquage identiques.

La voiture se trouvait donc être d’une symétrie parfaite et il en résultait une remarquable facilité d’évolution, car la moitié arrière de la voiture suivant exactement la même piste que la moitié avant.

Tout se passait comme si l’empattement (distance des essieux) avait été réduit à la moitié de sa valeur, c’est-à-dire comme si le châssis avait présenté une longueur moitié moindre.

 Il en résulte que le tracteur Chatillon-Panhard peut faire demi-tour dans un cercle de 4m50 de rayon.

Il faut remarquer toutefois que ce que nous venons de dire au sujet de l’identité des mouvements des deux roues placées en ligne d’un même côté de la voiture, n’est rigoureusement exact qu’en terrain plan.

C’est, en effet, en terrain plan seulement que les roues ont la même vitesse angulaire au même moment : en terrain inégal présentant des bosses et des creux, les vitesses instantanées peuvent être légèrement différentes si la roue avant, par exemple, passe sur une partie plane de la route, pendant que la roue arrière du même côté suit le profil d’une flache et décrit par suite un chemin plus long dans le même temps.

Il résulte de là qu’il se produira, en pareil cas, de légers mouvements de patinage de la roue la moins chargée.

C’est une des raisons pour lesquelles le colonel Renard avait adapté aux roues des remorques de son train à propulsion continue, des barillets compensateurs qui permettaient à l’arbre de transmission, régnant tout le long des voitures, d’entrainer chaque roue par l’intermédiaire d’un ressort en spirale.

Ces ressorts se tendaient ou se détendaient l’un après l’autre au passage du même creux ou de la même bosse, et l’uniformité du mouvement se trouvait rétablie au bout d’un temps très court, celui qui sépare le passage d’un même accident de terrain par les deux roues de la même file.

Il n’a pas été adapté jusqu’ici de dispositif de ce genre aux roues du tracteur Chatillon-Panhard, le besoin ne s’en étant pas fait sentir, mais si l’expérience venait à démontrer la nécessité de le faire pour ménager les bandages en caoutchouc, il serait aisé d’organiser la transmission en conséquence.

CARACTERISTIQUES DU TRACTEUR CHATILLON-PANHARD

LE MOTEUR

Le moteur du Tracteur Chatillon-Panhard, est un moteur à quatre cylindres de 150 mm de course et de 125 mm d’alésage.

ll donne 40 dix à 1.000 tours et 42 ch à 1.100 tours.

Le refroidissement est assuré par une pompe de circulation d’eau avec radiateur à ailettes et ventilateur.

La circulation d’huile est commandée par une pompe actionnée par le moteur.

L’allumage est fait par une magnéto à haute tension.

Les soupapes d’admission et celles d’échappement ont leurs arbres à cames séparés et placés symétriquement par rapport au moteur.

Frein au moteur.

L’arbre des cames d’échappement est muni de cames spéciales qui entrent en jeu lorsqu’on déplace cet arbre longitudinalement, et qui transforment le moteur en une pompe de compression.

On obtient ainsi ce qu’on a appelé le frein au moteur, système qui constitue de beaucoup le meilleur de tous les freins, surtout dans les longues pentes de montagne, et qui donne sans aucun inconvénient une sécurité à peu près absolue.

Carburateur.

Le carburateur est un carburateur automatique du système bien connu dû au commandant Krebs.

Embrayage.

L’embrayage est un embrayage à disques métalliques multiples contenu dans le volant du moteur.

Il fonctionne dans l’huile et présente une très grande progressivité, absolument nécessaire du reste avec un tracteur puissant.

Boite de vitesses.

La boite de vitesses comprend quatre vitesses et une marche arrière.

Elle comporte trois baladeurs actionnés par un levier à déplacement latéral.

Un verrouillage empêche deux baladeurs de venir se mettre simultanément en prise.

Les vitesses kilométriques sur route, correspondant au régime de 950 tours, étaient respectivement de 2km 8, 7 km, 12km 6 et 13km9.

Elles ont été légèrement modifiées d’après les indications du concours de mars 1913.

La boite est montée sur billes et ne possède pas de prise directe qui ne présenterait aucun intérêt sérieux pour un engin de ce genre.

Différentiel

L’arbre moteur, au sortir de la boite des vitesses, attaque par pignons d’angle le différentiel unique, placé perpendiculairement à l’axe longitudinal et chargé de répartir l’énergie entre les deux files de roues.

Ce différentiel comporte le dispositif de blocage indispensable à un tracteur et qui permet, au cas où deux roues d’un même côté manqueraient d’adhérence, de les empêcher de tourner folles au grand préjudice de l’effet utile des deux autres roues.

Il actionne comme d’ordinaire deux demi-arbres transversaux chargés de commander par pignons d’angle les arbres longitudinaux allant aux roues.

Transmission. (un peu compliqué à décrire et comprendre, mais allons-y.. !)

L’ensemble de la transmission est particulièrement intéressant en ce sens qu’il ne comprend ni articulation, ni cardan, pour tenir compte des déplacements relatifs des essieux et du châssis, les effets de ces déplacements étant annulés par des dispositions spéciales.

L’arbre moteur à sa sortie de la boite des vitesses, actionne, par l’intermédiaire d’un couple conique et du différentiel,  les deux demi-arbres transversaux.

Chacun de ceux-ci attaque par pignons d’angle les deux arbres longitudinaux et les arbres à leur tour attaquent, par l’intermédiaire d’un petit arbre transversal insisté sur l’essieu parallèlement à celui-ci, un arbre auxiliaire vertical dont l’axe est l’axe de pivotement de la fusée d’essieu.

Cet arbre auxiliaire porte à sa partie inférieure un pignon conique qui engrène avec une grande couronne dentée conique, faisant corps avec le moyeu.

Les arbres longitudinaux sont enfermés dans de longs et solides fourreaux en tôle qui, d’une part, sont boulonnés au carter des pignons coniques, fixé à l’essieu et, d’autre part, portent un manchon-tourillon concentrique au demi-arbre transversal.

 Ce manchon-tourillon prend son appui sur le carter des pignons coniques des arbres, carter qui est fixé au châssis.

Il résulte de là que les fourreaux remplissent le rôle de bielles de poussée de l’essieu arrière et de bielles de traction de l’essieu avant.

D’un autre côté, quand une roue monte ou descend, la bielle de poussée oscille autour du demi-arbre correspondant, et ce mouvement d’oscillation n’a d’autre effet que de faire rouler le pignon terminal de l’arbre sur le pignon terminal correspondant du demi-arbre transversal.

Enfin l’essieu relié à la bielle oscillant autour du demi-arbre, la longueur de l’arbre peut rester invariable et il n’est pas nécessaire de le composer de deux parties coulissant l’une par rapport à l’autre.

Lorsqu’au lieu d’un mouvement d’oscillation d’ensemble de l’essieu, il n’y a qu’un mouvement d’abaissement ou de soulèvement d’une seule roue, il se produit une très légère torsion des fourreaux, qui reste dans les limites d’élasticité de ces fourreaux.

Direction.

Le volant de direction commande, au moyen d’un couple conique, un arbre longitudinal parallèle à l’axe longitudinal du camion.

Cet arbre passe, à l’avant et à l’arrière du camion, dans deux carters de direction, où il actionne, par une vis sans fin, un secteur sur l’axe duquel est calé un levier de direction.

Ce levier actionne, à la façon ordinaire, au moyen d’une barre d’attaque et d’une barre d’accouplement, les deux roues de l’essieu avant (ou arrière).

Les mécanismes étant absolument symétriques, les roues prennent des angles de braquage symétriques.

Les barres d’accouplement sont placées entre les deux essieux, c’est-à-dire la barre d’avant en arrière de l’essieu avant.

FREINS

Freins au moteur .

En dehors du frein au moteur , dont nous avons déjà parlé, et qui est le frein normalement employé pour les freinages de quelque durée, il existe un frein de mécanisme et un frein de roues. Frein de mécanisme.

Le frein de mécanisme.

Il est commandé par une pédale et agit, par expansion, à l’intérieur de deux tambours calés sur les extrémités des demi-arbres transversaux du différentiel.

Cette disposition a l’avantage de ne pas faire passer l’effort de freinage par le différentiel, organe relativement délicat qui se trouve ainsi ménagé, n’ayant plus à supporter les efforts assez brutaux dus au freinage brusque au pied.

Frein de roues.

Le frein de roues est commandé par un levier à main.

Il agit, bien entendu, sur les quatre roues à la fois, ces quatre roues étant toutes identiques.

La commande de ce frein a pour effet d’enfoncer, suivant la direction de l’axe du pivot de chaque roue, un coin entre des galets montés à l’extrémité des sabots qui frictionnent dans la couronne de frein de chaque roue.

Ce frein agissant à la fois sur les quatre roues du véhicule assure une action retardatrice extrêmement puissante.

ROUES, CHASSIS, SUSPENSION.

Les roues : en acier moulé, sont garnies de bandages doubles en caoutchouc, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière.

Le mécanisme étant symétrique, il y a en effet tout avantage à employer quatre roues interchangeables.

Il semble, du reste, qu’il n’y ait aucune raison pour ne point répartir également la charge sur les deux essieux, ce qui présenterait certainement des avantages pour la marche en terrain difficile, ainsi que pour le passage des ponts militaires, sans parler de la conservation de l’état des routes.

Châssis.

 Le châssis rectangulaire, est formé du deux longerons droits en tôle d’acier en U de 5 min d’épaisseur.

Ils ont une hauteur de 105 min et une largeur de 65 mm.

  • Hauteur du châssis au-dessus du sol : 1 m
  • Voie : 1m 450
  • Empattement : 3m320
  • Longueur totale : 4m 850
  • Hauteur au-dessus du sol des organes les plus bas : 0m30
  • Poids du tracteur à vide : 5.000 kg
  • Poids sur l’essieu AV : 2.750 kg

– Poids sur l’essieu AR : 2.250 kg

– Charge utile : 2.430 kg

– Tracteur chargé (y compris trois hommes) : 7.430 kg

– Poids moyen de chaque remorque : 7.570 kg

– Poids moyen sur l’essieu AR : 4.450 kg

Suspension.

Le châssis est suspendu par quatre ressorts droits montés à glissière et articulés sur l’essieu de façon à permettre au faux châssis formé par les bielles de poussée d’osciller autour de l’axe du différentiel.

TREUIL.

Sous l’avant du châssis on a fixé un treuil horizontal, commandé par une vis sans fin qu’entraîne à volonté un jeu d’engrenages placé en avant de la boite des vitesses.

Ce treuil porte 50 m de câble d’acier de 16 mm, qui s’enroule à la vitesse de 2 km à l’heure et qui est destiné soit à tirer le tracteur d’une position difficile, soit à hâler la remorque, quand on a immobilisé le tracteur.

ATTELAGE

A chaque extrémité des longerons est fixé un crochet de remorque.

En outre, à l’arrière du tracteur se trouve un crochet d’attelage élastique présentant une course d’environ 25 cm.

Rampes gravies par le tracteur. Vitesses.

— Au cours des épreuves exécutées par le tracteur, cet engin a gravi les rampes suivantes :

  • Tracteur seul en charge (1ere vitesse) :  21 p. 100
  • (Sur la rampe de la rue Baûyn de Perreuse à Nogent, mauvais empierrement humide.) Tracteur en charge (7t5) avec ses deux. remorques (15 tonnes) (1ere vitesse) :14 p. 100
  •  (Sur la rampe de Neauphle-le-Chateau, pavé sec, temps favorable.) Sur route empierrée, par temps sec, 2ème vitesse) : 4,5 p. 100
  • Rampe maximum franchie en 2ème vitesse (rampe de Noisiel) :  6 p. 100
  • Rampe maximum franchie en 3ème vitesse : 2 p. 100 environ

Les vitesses obtenues ont été les suivantes :

  • Tracteur seul, en charge, sur un parcours de 107 km : 17km 130
  • Tracteur en charge avec remorques :   8km440 à 10km580

Dans un autre article, il sera question des essais d’époque…Charly  RAMPAL   (Archives et photos Panhard et La Revue d’Artillerie Juillet 191