En parcourant 201,880 dans l’heure, à bord d’une voitures Panhard 650cc à compresseur, le 10 décembre 1954, sur l’anneau de vitesse de l’autodrome de Montlhéry, Pierre Chancel a battu six records internationaux de la clase H, ceux des 50 km, 100 km, 100 Miles, 200 km et de l’heure.

Cinq de ces records étaient détenus par le courageux René Bonnet qui, sur sa Panhard–DB, avait réussi, par sa ténacité, à porter le record de l’heure au chiffre remarquable de 197,236 lm. (Lire mon article « DB RECORD 1950 » dans cette même rubrique).

La belle performance de Chancel lui attribue également le challenge qui mis en compétition par le magazine « L’Automobile » pour récompenser le pilote qui, avant la fin de l’année 1954 aurait dépasser, avec un 750 cc, le cap fatidique des 200 km dans l’heure.

Il s’agit d’une épreuve sévère, dangereuse même en raison des risques qu’elle comportait, et pour laquelle rien n’a été improvisé.

C’est l’aboutissement d’un long et tenace effort et le parfait exemple du travail cohérent d’une équipe d’ingénieurs et de savants œuvrant sur le moteur et les organes mécaniques, le compresseur, la carrosserie, les pneus, le combustible et le lubrifiant, et d’un coureur infiniment sympathique par sa simplicité, sa modestie, son sang-froid et son courage : Pierre Chancel.

UN PILOTE

Chancel, qui tenait un important garage boulevard Garibaldi, dans le 15ème arrondissement à Paris, a le virus de la compétition.

Dès avant la dernière guerre, il débute dans les courses de motos et participe au Bol d’Or, puis il acheta un châssis de Dyna avec lequel il comptait courir sur quatre roues en 500 cc.

Devant la disparition pratique de cette formule, il renonça à son projet, mais rencontra fortuitement Raymond Gaillard qui lui proposa de faire équipe aux 24 Heures du Mans 1950 sur une Callista qui appartenant et pour laquelle ils achetèrent chez Panhard un moteur dit « compétition » de l’époque.

Ils obtinrent au Mans leur qualification pour 1951 et, dès la fin de 1950, Chancel fit monter sur son châssis de 1949 une carrosserie biplace type « Le Mans », étudiée par la maison Monopole que, très sportivement, Monsieur DE Montrémy lui avait permis de reproduire.

C’était une carrosserie forme « tank », en alliage léger, qui peut être considéré aujourd’hui comme peu affinée.

Pour augmenter ses chances, Gaillard et Chancel demandèrent à M. Paul et Jean Panhard, dont ils connaissaient bien la sportivité, leur concours technique.

Le moteur 3 CV de série, deux cylindres refroidis par air, développait alors 23 ch, puissance remarquable pour un 610cc, mais insuffisant en compétition.

Ce moteur avait été étudié par une équipe composée des ingénieurs Delagarde et Géry, ce dernier avait apporté toute l’expérience acquise par la firme doyenne dans la construction des moteurs à soupapes, qu’elle avait provisoirement abandonnée en 1922 en faveur du sans-soupapes, pour le reprendre à la Libération.

Gaillard et Chancel arrivèrent juste au moment où cette équipe venait de tirer 32 ch du moteur, puissance largement suffisante pour leur assurer la victoire.

Une malencontreuse panne d’essence les empêcha d’atteindre la première place à l’indice qui fut, d’ailleurs acquise par Monopole avec un moteur identique.

La course fut suivie pour la maison Panhard, par l’ingénieur Pierre Durand qui en tira les enseignements précieux et qui, depuis, porte la responsabilité de tout ce qui concerne la compétition.

En 1952, le premier Tank fut accidenté pendant les premières heures de course, mais se classa néanmoins honorablement.

En 1953, Marcel Riffart, dont on connait les travaux aéronautiques, proposa à René Panhard d’habiller la voiture que Pierre Chancel se proposait de faire construire en vue des 24 Heures et pour laquelle la société Panhard devait lui fournir un châssis en métal léger.

L’AERODYNAMIQUE

Le principe de base consiste à envelopper le conducteur et le châssis dans un profil biconvexe dissymétrique Hoff, modifié pour tenir compte de son application à un mobile se déplaçant au voisinage du sol et, calé à une portance nulle pour assurer le minimum de trainée.

Il n’est pas intéressant en effet, de chercher à réduire les résistances au roulement correspondant par un allégement aérodynamique de la voiture.

En admettant que cet allègement n’ait pas d’autres conséquences défavorables par ailleurs (ce qui n’est pas le cas), le rapport entre la charge sur les roues et la résistance mécanique de roulement correspond à une finesse bien meilleure que celle que peut offrir une aile.

Le carénage ne doit donc avoir comme but que d’assurer la résistance minimum à l’avancement combinée avec une bonne stabilité latérale.

La plus grande difficulté que l’on rencontre d’ailleurs avec les carrosseries aérodynamiques consiste à éviter toute sustentation intempestive qui réduirait l’adhérence des pneus nécessaire à la transmission de la puissance et à la direction.

Dans le cas de la voiture de Chancel, la carrosserie représente une surface de 6,7 m2 et, malgré le mauvais coefficient de portance dû à la faiblesse de l’allongement transversal, on conçoit qu’à des vitesses avoisinant 200 km/h , il ne faille pas un grand angle d’incidence pour engendrer une sustentation appréciable.

C’est d’ailleurs, pourquoi le calage à la portance nulle du profil sur le châssis nécessite une grande précision.

On sait aussi que le dessin de la partie ventrale est également capital.

Le dessous de la voiture Panhard, complètement fermé, agit comme le diffuseur convergent-divergent d’une tuyère. La dépression qui règne à l’avant et la surpression arrière exercent, d’ailleurs, une influence favorable sur la Panhard à traction avant en appliquant l’essieu moteur d’autant plus énergiquement contre le sol que la vitesse est plus élevée.

Dans sa première conception, décrite dans le brevet 1075582, Marcel Riffard remédiait à la faiblesse de l’allongement transversal par l’emploi de deux carénages latéraux verticaux, disposés à l’avant, permettant de placer les phares à la hauteur réglementaire, canalisant en outre les filets d’air et, supprimant de ce fait, les turbulences.

CHASSIS ET CARROSSERIE EN ALLIAGE LEGER

La carrosserie de la Panhard, dessinée suivant ces principes par Gaston Bourdin, fidèle collaborateur du célèbre ingénieur et technicien averti de l’aviation et de l’automobile, fut réalisée par les établissements Louis Baritaut à Neuilly.

Elle présente les caractéristiques suivantes :

  • Longueur du profil théorique = 4,7 m
  • Longueur du profil tronqué à l’arrière et, constituant la carrosserie proprement dite = 4,2 m
  • Epaisseur = 0,74 m
  • Epaisseur relative = 16%
  • Rapport de la flèche maximum (située à 35%) de la courbure moyenne du profil à la corde de ce profil = 3,75 %
  • Largeur = 1,6 m

Les carénages latéraux verticaux étaient détachés de 130 mm en avant du bord d’attaque du capot moteur.

Le châssis en alliage léger type AG-5 se compose de deux longerons cintrés en 25/10 mm, d’un bâti-moteur et d’une traverse en 4 mm : il pèse 27 kg.

La caisse était en AG-3 de 10/10 mm soudée à l’argon, avec les points difficiles rivés : elle est fixée par quelques cadres sur le châssis.

Le train avant et le train arrière sont ceux de la Dyna X de série.

Le moteur est le même 610 cc que précédemment.

La circulation d’air compote des entrées disposées dans le bord d’attaque du profil, à l’endroit où la zone d’air mort, assure la pression maximum.

Des gaines rectangulaires, l’une à droite et l’autre à gauche, amène l’air directement sur les cylindres qui étaient enveloppés par un carénage touchant les ailettes.

La sortie s’effectue sur l’extrados, au quart avant de la profondeur du profil, dans la zone de dépression maximum.

On obtenait de la sorte le plus grand écart de pression entre l’amont et l’aval, ce qui permet d’obtenir un très bon refroidissement avec des entrées d’air extrêmement réduites.

Une troisième gaine axiale alimente le radiateur d’huile.

Egalement, le refroidissement des tambours de freins fut attentivement examiné.

On traite la roue et son logement en tôlerie comme pompe centrifuge.

L’air de refroidissement également pris sur le bord d’attaque était amené par un tuyau souple dans le tambour de frein.

Centrifugé, il s’échappe entre les segments fixes et le tambour mobile qu’il refroidit au passage.

LE MANS 1953

La voiture Panhard de Chancel se présenta aux 24 Heures du Mans avec un poids à vide de 450 kg et un moteur amélioré de 5 ch.

Une vitesse maximum de 160km/h fut enregistrée.

Ce gain de 18 km/h doit être attribué moitié à l’aérodynamisme de la carrosserie, moitié au gain de puissance du moteur.

Pierre Chancel, parcourant 3008,592 km à la moyenne de 125, 358 km/h.

En effet, le règlement du Mans comporte deux classements : le premier à la distance, le second à l’indice de performance dans lequel intervient la cylindrée du moteur.

Dans la même saison, Chancel gagna les 12 Heures de Reims,

les 12 H de Casablanca et le GP de Caen, ce qui constitue un splendide palmarès.

Malgré la qualité des résultats obtenus, une difficulté restait à résoudre : plus rapide en ligne droite, Chancel était doublé par la Panhard-DB de Bonnet dans les courbes à grand rayon.

D’autre part, le dépassement par une autre voiture produisait une gifle latérale qui devait être corrigée à la direction.

Ces phénomènes était produits par l’attaque oblique de l’air (phénomène particulier à l’automobile) sur la carrosserie et spécialement sur les carènes verticales avant, le même aurait été enregistré avec un vent latéral violent.

Marcel Riffard songea d’abord à réduire l’importance de cette dérive en inclinant obliquement l’axe d’arrière en avant, afin de pouvoir toujours loger les phares à la hauteur réglementaire.

Une modification heureuse aux règlements sur ce point, décidée pour donner satisfaction aux étrangers, permit de noyer plus facilement les phares dans le profil de la carrosserie.

Les carènes verticales avant purent être supprimées, ce qui, en reculant le centre de pression latéral, améliora de façon notable la stabilité par vent de travers.

Pour les épreuves de 1954, on corrigeait également la forme du pare-brise, large de 40 cm, en déviant l’air seulement dans le plan vertical de façon à réduire les interactions avec l’aile.

Des flasques latéraux en plexiglas encadrant le trou de l’habitacle, évitèrent les courants d’air qui plongeaient à l’intérieur du cockpit.

De son côté, le moteur développait 10 ch de plus. De ce fait, un soin particulier fut apporté dans le perfectionnement de la circulation d’air de refroidissement dont la sortie s’effectua tangentiellement au profil de la carrosserie.  

Tout cela explique qu’au Mans, Chancel atteignit une vitesse maximum de 170 Km/h.

En course, il était en tête au classement à l’indice de la première heure, jusqu’à la 17ème heure, il cassa le fond d’un piston en alliage léger traité qui avait perdu sa trempe par suite d’un échauffement intempestif dû au trajet Paris / Le Mans effectué par la route un lundi de Pentecôte…

La voiture remportera la coupe du Salon à Montlhéry avant la tentative de record.

Fin de ce premier article, la suite dans le prochain article qui relatera comment Chancel et Panhard ont réussi ce pari des 200 km/h

Charly RAMPAL pour les photos et la recomposition de l’article de Maurice Victor de La Revue Aluminium.