LE DIVORCE BONNET / PANHARD : AMBIANCE, CONSEQUENCES…
Voilà un article que j’ai du mal à raconter tant cette rupture « obligée pour avancer», fut pour moi un vrai cauchemar lorsque dans le journal l’Equipe du 16 janvier 1962, que je dévorais chaque jour, je fus stupéfait de lire sous la plume de Jean Bernardet, le titre suivant :
C’est la veille, le 15 janvier 1962, que Paul Panhard apprend la nouvelle par les journaux et la radio et convoque en colère, Etienne de Valance chargé des relations avec la Presse et Directeur sportif.
C’est le 13 janvier que Bonnet aurait signé avec Renault !
En fin d’article, je vous livre en exclusivité une petite vidéo de la bouche même d’Etienne de Valance.
Interrogé par la Presse, voici la réponse de Panhard sous le titre : « Nous sommes étonnés et déçus, mais pas informés officiellement. »
Comme toujours dans mon souci d’authenticité, je vous livre en intégralité le récit de Jean Bernardet paru ce jour là :
« Quelle est la position de Panhard devant le changement d’orientation, dé René Bonnet qui a reçu de notre constructeur Doyen une aide financière et technique complète depuis plus de dix ans ?
Nous avons posé la question au responsable du service presse, Etienne de Valance, qui a toujours suivi de très près les problèmes sportifs et a participé activement à la préparation des compétitions, en accord avec René Bonnet.
Etienne de Valence s’est fait le porte-parole de M. Jean Panhard pour nous dire :
« Nous sommes étonnés : nos accords avec René Bonnet étaient bien établis ; ils ont été reconduits récemment.
Nous sommes donc étonnés et déçus de n’avoir été avertis ni par René Bonnet ni par la Régie, car nous entretenons avec l’un comme avec les dirigeants de Renault des relations suivies.
Or, nos seules sources d’information en la matière furent, hier matin, la presse et la radio !
Nous savons bien qu’en 1954 couru au Mans avec des moteurs Renault – sans succès d’ailleurs – mais, depuis cette date, René Bonnet a pris à notre égard l’engagement de ne pas changer de fournisseur pour ses ensembles mécaniques sans nous en Informer.
Or, il découle de vos Informations que c’est ce qu’il vient de faire !
Noua avons passé des accords avec D et B, c’est-à-dire Deutsch et Bonnet.
Il nous semble, que ces accords ne peuvent pas être dénoncés par Bonnet seul.
Enfin, il faut noter que nous avons consenti des efforts importants depuis plus de dix ans en faveur dé DB : nous lui avons en particulier confié notre représentation exclusive en compétition.
Avouez que ces efforts ne sont vraiment pas récompensés !
Nota avons alors demandé à Etienne de Valance quelle position prenait Panhard à l’égard de René Bonnet et si, en particulier — c’est essentiel – Panhard continuerait à livret des ensembles mécaniques à la « Société des automobiles René Bonnet » et pendant combien de temps ?
Pour l’instant, nous a-t-il répondu, il n’y a rien de changé, et ce d’autant plus que, je le répète, nous ne sommes toujours pas informés des intentions de René Bonnet qui, dans les premiers jours de janvier, nous demandait encore à voir nos services techniques pour savoir de quels moteurs il pourrait disposer pour les 24 Heures du Mans.
Or, nous venons d’apprendre officieusement que René Bonnet courrait au Mans avec des moteurs Renault.
Vous voyez dont que nous ne pouvons rien décider.
Attendons donc la suite ! »
ANALYSE DE LA SITUATION
Et Jean Bernardet de poursuivre son analyse de la situation générale du sport automobile :
« Les manifestations françaises d’un esprit de compétition sont trop rares pour ne pas les souligner avec ferveur.
La compétition pure est non seulement gratuite, mais exige beaucoup d’efforts et de sacrifices.
Il fut un temps où, dans le domaine de la compétition automobile, l’audace était payante et où, avec de la bonne volonté et de la chance, il était possible d’obtenir de substantiels résultats.
Ces temps, hélas ! sont révolus.
Les voitures de série sont pratiquement ce qu’étalent les voitures transformées d’il y a dix ou quinze ans.
A l’étranger, les grosses firmes ont à ce point compris l’importance des manifestations sportives que, bien que retirées de la compétition, elles accordent à des Intermédiaires une aide fort substantielle sous, la forme de pièces, d’études particulières et de quelques dizaines de millions.
La plus belle Illustration de ces Interventions indirectes reste le tandem Flat-Abarth dont les succès sont dus, précisément, à une collaboration efficace, bien que non officielle.
En France, Il y avait DB et Il y à encore Alpine.
DB avait misé sur la mécanique Panhard et Panhard a, jusque-là, répondu en accordant (depuis bientôt dix ans) une assistance mécanique, technique et financière précieuse.
Nous n’avons pas été toujours d’accord avec Panhard, principalement lorsque cette firme créa son propre service de compétition en concurrence directe avec DB qui avait fourni un très gros effort.
Mais les choses sont rentrées dans l’ordre et il n’y a lieu que de louer la persévérance de Panhard dans l’effort pour la compétition.
LA RUPTURE ENTRE DEUTSCH ET BONNET
Et puis il y eut le drame.
Les mois s’écoulant, il devenait évident qu’une rupture entre D et B était inévitable.
Dans l’association D était une tête, un cerveau, B un réalisateur de talent.
1961 a concrétisé cette rupture, latente depuis longtemps.
Deutsch devait suspendre son apport technique et Bonnet entreprendre deux réalisations personnelles, une Junior et une voiture sport à moteur arrière, qui furent toutes deux des échecs.
Deutsch, de son côté, et « L’EQUIPE » s’en fit l’écho, entreprit de mettre sur pied un bureau d’études idéal regroupant les plus grands noms français des différentes disciplines de la technique d’une voiture de compétition.
Délaissant l’arbitraire, le bricolage et les heureux hasards, cette équipe neuve commença à chercher la solution systématique et raisonnée des principaux problèmes à l’aide de la planche à dessin, du banc d’essai et de la soufflerie.
LES DESSOUS DE L’HISTOIRE : LE CONFLIT A PROPOS D’UN CABRIOLET
Pendant ce temps un conflit naissait entre ce qui restait de DB et Panhard.
A qui voulait l’entendre et même publier, René Bonnet, ne manquait pas de dire que Panhard, entreprenait une concurrence insidieuse et…italienne
A ce moment de la crise, car il s’agit bien d’une crise grave, il convient de préciser que DB a. été prévenu dès les premières rumeurs confirmant, l’étude dû cabriolet « Le Mans» d’une création identique et même plus valable de la filiale Italienne de Panhard : Panauto.
Il fut précisé, dès cet instant, que Panhard accorderait son entier concours à la permanence – d’une coach comme celui qui existait alors et qui pouvait au besoin être amélioré mais parallèlement déclinerait toute responsabilité dans une concurrence éventuelle et gênante pour DB.
L’avertissement a été périodiquement renouvelé sans que cela altérât le destin du cabriolet DB fort handicapé.
Nous n’avons pas, loin s’en faut, toujours été d’accord avec le comportement de Panhard vis-à-vis de DB, mais cet aspect du problème actuel est tout au crédit de Panhard qui s’est comporté de la façon la plus correcte.
DES BRUITS CONFIRMES
Pendant ce temps, l’équipe Deutsch abattait de la besogne et un contact était établi avec les responsables de la Régie pour la transposition raisonnée, sérieuse et efficiente des nouvelles mécaniques pour un usage sportif pouvant rivaliser avec les meilleures réalisations étrangères.
Ces contacts, strictement amicaux, n’engageaient en rien la Régie qui se voyait seulement proposer un concours d’éléments sérieux et valables dans une confrontation tellement serrée que rien ne pouvait être laissé au hasard.
Parallèlement, Jean Redelé, auquel la Régie Renault doit tant, travaillait d’arrache-pied et ses dernières voitures laissaient espérer bien autre chose que de la figuration dans les grandes épreuves Internationales.
Il n’était pas exclu, d’ailleurs que les efforts de l’équipe Deutsch et ceux de Jean Redelé se rejoignent pour un bénéfice plus immédiat, pour une expérimentation plus utile, pour une confrontation sérieuse de l’expérimental et du pratique.
L’expérience de Jean Redelé des mécaniques Renault devait participer, évidemment au succès final.
Tout cela était en chanter, posément, sérieusement, efficacement surtout.
Et puis, la bombe a éclaté : depuis Octobre des bruits couraient selon lesquels René Bonnet avait entamé des pourparlers avec les dirigeants de Billancourt.
Soudain, tout test confirmé, comme « L’EQUIPE » l’a annoncé hier.
On sait que des ensembles mécaniques Renault ont été livrés à Çhampigny chez René Bonnet, sans que Panhard en ait été averti.
Voici les faits.
Quelles seront les conséquences ? Nous le saurons au fur et à mesure.
Pour l’instant, nous nous devons de faire des réserves.
Bonnet a réussi avec Panhard, comme en témoignent les palmarès, mais il n’a vraiment bien réussi qu’en collaboration avec Charles Deutsch.
Livré à lui-même par sa propre volonté, ayant à travailler sur un moteur qu’il ne connaît pas encore bien – en tout cas qu’il connaît beaucoup moins que le Panhard – quels résultats obtiendra-t-il et dans quel délai ?
Dans ces Conditions on peut se demander aussi si la Régie Renault n’a pas commis une erreur en accordant officiellement sa collaboration à René Bonnet SEUL et non pas CONCURREMMENT à Bonnet, Deutsch et Redelé.
La solution choisie risque de retarder sinon de stopper une évolution sportive qui s’annonçait fructueuse grâce, répétons-le aux travaux sérieux de Charles Deutsch (et de son équipe de techniciens) et de Jean Redelé. »
FEVRIER 1962 : SPORT-AUTO
Le mois suivant, dans son excellent mensuel, Sport-auto faisait écho de cette nouvelle en ces termes :
« Le bruit courait depuis longtemps : l’entente n’est plus parfaite entre Charles Deutsch et Rêne Bonnet, le D et le B des automobiles D.B. qui ont valu à la France tant de victoires internationales.
Maintenant, leur séparation semble officielle, et si Ia construction des cabriolets D.B.-Panhard type Le Mans continue sans changement dans les nouvelles usines de Romorantin, en revanche, nous ne verrons plus de D.B.Panhard engagée par l’usine dans les grandes épreuves telles que les 24 heures du Mans.
René Bonnet, en effet, engagera désormais ses propres voitures : les RENE BONNET et celles-ci n’utiliseront plus la mécanique Panhard : c’est RENAULT qui fournira les ensembles mécaniques et René Bennet étudie en ce moment deux voitures, qui sont toutes deux à MOTEUR ARRIERE, l’une étant un coach, et l’autre une barquette.
Les maquettes de carrosserie vont d’ailleurs passer en soufflerie incessamment.
Naturellement, ces deux carrosseries sont conformes aux cotes de l’annexe J Grand Tourisme, et elles seront engagées dans la catégorie « prototypes G.T. » aux 24 Heures du Mans.
La cylindrée n’est pas encore décidée : on travaille ferme à la Régie sur le nouveau moteur cinq paliers dont on espère une très prochaine commercialisation, pourquoi pas dans la Floride ?…
C’est naturellement le résultat de ces travaux qui dictera la politique à suivre.
Si Amédée Gordini parvient à obtenir du 700 cc une puissance comparable à celle du 700 cc Panhard que D.B. a mené si souvent à la victoire, Bonnet engagera alors une voiture au Mans dans cette cylindrée, pour tenter sa chance à l’’indice de performance.
Sinon, la cylindrée choisie sera sans doute 1.000 cc ou même plus…
Si cette union Renault-Bonnet se révèle fructueuse, devons-nous nous attendre à voir des RENE BONNET à moteur Renault sortir des chaines de production de Romorantin ?
Cela n’est pas impossible, mais pour l’instant : RIEN N’EST SIGNE entre Bonnet et Renault et le prototype n’est pas sur la route non plus, alors : attendons.
DU COTE DE JEAN REDELE : ACCEPTE LA LUTTE MAIS A ARMES EGALES SEULEMENT
Jean Redelé, le fabricant des Alpine-Renault n’est évidemment pas enchanté de cette nouvelle, qui ne lui est cependant pas encore parvenue officiellement.
II avait envisage de préparer une voiture pour les 24 heures du Mans.
« Je fais tout moi-même avec les moyens d’un petit constructeur, et sans aucune aide financière de la Régie, nous a-t-il dit : et si Bonnet ne bénéficie pas d’une aide plus sérieuse, je suis prêt a lutter sportivement sur la piste avec lui.
Mais je veux espérer que la Régie Renault acceptera de jouer le jeu et ne l‘avantagera pas à mon détriment…
En ce qui concerne une commercialisation ultérieure d’une Bonnet-Renault, je rappelle que l’Alpine est homologuée par les services techniques de la Régie et vendue par le réseau commercial Renault.
Je pense avoir assez fait pour le prestige de Renault pour que l’on en tienne compte. »
CHARLES DEUTSCH : NE COMPREND PAS
Charles Deutsch a la grippe, mais il n’en a pas perdu le sourire.
Cependant, il ne comprend pas comment l’accord de Bonnet avec Renault, tel qu’il est annoncé, peut être compatible avec ce qui avait été convenu entre eux deux et avec Panhard pour 1962. »
DU COTE DE RENE BONNET
En 1959, René Bonnet avait demandé à l’usine Panhard si un 4 cylindres était à l’étude.
La réponse fut positive : enfin, D.B. allait monter en catégorie et peut-être courir pour le classement toutes catégories.
A Champigny, une nouvelle auto était en préparation… hélas la mauvaise nouvelle arriva : c’est l’énorme déception.
Le moteur était trop volumineux et surtout beaucoup trop lourd (environ 150 kg).
En fait René Bonnet comprend que l’avenir avec ce moteur est impossible, c’est le 4 cylindres qui sera monté sur les engins militaires.
Un soir d’automne 1959, Paul Panhard appelle René Bonnet au téléphone : « Mon petit Bonnet dit Paul Panhard, c’est fini, cela prendra du temps, mais avec Citroën, il n’y a rien à faire. Cherchez ailleurs une autre mécanique… »
C’est la stupéfaction.
René Bonnet commence alors à prendre des contacts, avec British Leyland par l’intermédiaire de Bernard Cahier, sans résultat.
Bonnet se tourne alors vers Renault connaissant bien l’ingénieur Picard : l’accord est conclu le 13 janvier 1962.
Alors, René Bonnet aurait-il joué un double jeu ? Panhard a-t-elle fait miroiter trop longtemps à Bonnet un 4 cylindre perdu d’avance avec cette alliance au quai de Javel ?
En tout cas, n’oublions jamais ce que D.B. a fait pour le sport-automobile français et pour la renommée de Panhard en compétitions, synonyme de publicité authentique !
La vidéo : cliquez sur le lien :
DIVORCE DEUTSCH BONNET ETIENNE DE VALANCE RACONTE – YouTube
Charly RAMPAL