Début février 1991, 9 heures. Le brouillard a envahi la zone industrielle de Vélizy-Villavoublay. Ma 24CT se fraye un passage au milieu des Citroën de plus en plus oimbreuses.
Soudain, un poste de garde. Serait-ce la fin du voyage ?

Identité, motif de la visite, personne demandée, enfin, toutes les déclinaisons du verbe « laisser passer », avec pour diplôme, ce badge en forme de sésame qui vous ouvre les portes du bureau d’Etudes Citroën.

Enfin, une toute petite dépendance où je dois attendre mon hôte venu me chercher en Visa Diésel, car il faut la trouver cette petite barraque digne de la remise de Louis Renault.

Mais là, une fois à l’intérieur, votre déception fait place au merveilleux. Trois personnes y travaillent. Des amoureux qui restaurent d’anciennes Citroën, découpent la dernière en vue d’une exposition et puis, derrière, tout au fond, mon oeil est attiré par une poupe connue.

Instinctivement je m’en approche, je n’écoute plus les commentaires élogieux sur une ZX mannequin bourrée d’électronique, de spots lumineux, prête à dévoiler aux plus sceptiques, ses charmes cachés.

Soudain, c’est le rêve tout entier qui vous saute au visage. Le rêve de tous les panhardistes : la dernière évolution de la 24. Le proto super-motorisé par le motoriste de Citroën Mr. W. Becchia.

Allongée, retouchée au niveau du compartiment moteur et des passages de roues, des boudins larges comme ça, une gueule à faire pâlir les meilleurs Groupe 2 de l’époque !

Posée sur le ventre, trahissant une suspension hydraulique, elle est déjà entre les mains d’un expert en mécanique qui tente de la faire démarrer.
Par-dessus son épaule, je découvre émerveillé, la culasse en alu ailetée qui cache deux arbres à cames en tête. Le souvenir de mon 2 litres Alfa me revient, mais un double arbre, 4 cylindres dans une 24, alors là, c’est le pied ! Qui n’en a pas rêvé ? Seul J.C. Guny l’a fait…

Un rêve qui est devenu réalité le temps d’un salon Rétromobile. Car c’est grâce à notre insistance que Jean Panhard s’est décidé à user de son influence et de son prestige auprès de Citroën pour la sortir de sa retraite à la Ferté-Vidamme où elle coulait des jours… incertains.

Mille mercis M. Panhard.

Peu à peu, l’inspection commence : la caisse est très propre, elle avait été protégée par un film de cire qui l’a mise à l’abri de ses prédateurs syndiqués. Un coup de karcher, un bon polish, et la voila prête pour affronter les feux d’un salon.

Certes, ce n’est pas celui qu’elle aurait souhaité, mais elle restera pour nous, cette mythique 22 cv que les citroënistes pleurent encore.

Au-dessous des deux carbu doubles corps Weber de 42, le bloc m’est inconnu. C’est un moteur prototype de 1987 cm3 développant 145 ch. Il est placé derrière le train avant.
La direction n’est pas assistée comme la DIRAVI réalisée par Mr. Magès. Le réservoir est de 100 litres, me dit-on et je peux lire sur les pneus 195/70 VR 15 X. La boite est à 4 rapports, mais une boite 5 avait été prévue.

Le soubassement et les suspensions sont issus de la DS. Côté freinage, on a des disques à l’avant et des tambours à l’arrière. Ce châssis a été raccourci de 0,50 m pour se faire oublier, les ailes avant et le capot de la 24 ont été rallongés de 0,328 m. Des sorties d’air ont été aménagé sur le côté des ailes avant.

Tout cela aboutit à une longueur de 4,588 m, et une largeur de 1,270 m et un empattement de 2,628 m.

L’arrière ressemble trait pour trait à celui de la 24. Seuls deux grosses sorties d’échappement trahissent le ramage de cette auto.

C’est la 24 la plus rapide : 200 à 208 km/h !

Pour améliorer encore l’efficacité déjà très aérodynamique de la caisse de la 24, de petits sabots sont visibles devant les roues arrière. Contrairement à nos 24, les roues avant débordent légèrement des ailes pourtant élargies, lui donnant encore plus d’agressivité statique.

Aussitôt, je pense aux courses V.E.C.. Imaginez la, contre l’opposition que je rencontrais chaque saison !
Avec une telle tenue de route et un moteur comme cela, Panhard aurait été encore en tête.

L’intérieur est traité sobrement. Les sièges se rapprochent de ceux de la SM. Les cadrans ronds, le volant 3 branches, rappellent la vocation de la voiture (pères de famille s’abstenir). Tout respire la performance, la fonctionnalité et l’efficacité.

Cette voiture aurait pu devenir réalité à un prix raisonnable. En effet, les éléments puisés dans la banque d’organes de la DS (plate-forme et suspension) et surtout sa carrosserie réalisée par les établissements Chausson qui avaient encore l’outillage presque neuf qui lui restait sur les bras !
D’après l’avis de Mr Né, c’était le prototype, réalisé en 1967, le plus avancé vers sa commercialisation. Ce mariage heureux de la DS avec la 24CT avait pour but de commercialiser une Grand Tourisme rapide aux lignes harmonieuses, belles et intemporelles de la voiture dessinée par Bionier où tout n’était que réussite sur le plan esthétique et aérodynamique. Seul un moteur digne de cette caisse lui faisait défaut : Citroën le lui apportait.

Naïvement, nous pensions que l’absorbions totale de Panhard par Citroën 2 ans plus tôt, déboucherait sur cette voiture parfaite et facile à mettre sur le marché, permettant à Citroën et à cette époque de boucher le trou qu’il avait dans sa production entre les 3cv et la 11cv.
Hélas, Mr. Bercot ne voulait plus entendre parler de Panhard et encore moins de véhiculer l’image d’un produit qui n’était pas le sien. Dommage, Panhard aurait pu être ce que Lancia a été pour Fiat : du haut de gamme sportif à côté d’une production plus populaire.

Un mot sur la Ferté-Vidamme, centre d’essai de Citroën où se trouvait cette 24-Citroën.
Aux confins du Perche, de la Beauce et de la Normandie, le centre d’essais de la Ferté Vidamme est installé dans le vaste parc du château de St-Simon, à 130 km du quai de Javel.

L’affaire de la transmission de Sansaus de Lavaud qui fit brûler son huile durant les essais dans le fameux Pavé des Gardes, devant la fine fleur des essayeurs des autres marques, habitués des lieux, influença peut-être Pierre Boulanger dans son désir d’avoir à sa disposition un lieu parfaitement équipé où puissent se dérouler en toute sérénité les essais.

Cela coïncide également avec le déploiement général des centres d’activité de Citroën et Michelin, dans des zones moins peuplées.

Les hauts murs du par cet de la ferme, verront donc, en 1938, les premiers tours de roues de la TPV, future 2cv, puis les balbutiements de la VGD qui deviendra la DS.

Suivront ensuite la SM, la GS et toutes ces inconnues sorties pour un ou quelques mois, puis abandonnées.

C’est ainsi que notre proto 24 fit ses premiers tours de roue au 2ème semestre 67. Il parcourut 13.000 km et passa aux mines début 68. Il devait ouvrir la route à 15.000 exemplaires dont les coques s’entassaient chez Chausson.
Hélas, on connaît la suite de ce gâchis !

C’est à la Ferté qu’elle fut stockée à l’abri, contrairement aux pauvres M35 et autres GS birotor qui avaient été récupérées auprès de la clientèle et qui furent toutes (ou presque) envoyées à la broyeuse pour des raisons que la raison ignore…

La Ferté-Vidame regorge de trésors. Elle compte aujourd’hui,, de nombreuses pistes de vitesse et d’endurance, une soufflerie, une piste de décollage pour hélicoptères,, des hangars et des ateliers répartis dans le domaine, à l’abri des arbres, autour de la vieille ferme dans les combles de laquelle fut découvert par hasard, le prototype de la 2cv que chacun connaît aujourd’hui.

Le patrimoine de Citroën y est conservé. Souhaitons que notre 24-Citroën reste lié pour longtemps à cette collection ou trouve sa place définitive à Mulhouse sur l’emplacement réservé à Panhard, comme le point final de la belle aventure de la plus vieille marque du monde : Panhard.

La vidéo à Aulnay sous bois où son conservé les voitures Citroën :

Charly RAMPAL