Inaugurée le 19 mars 1912 (un mois avant le naufrage du Titanic), la soufflerie d’Auteuil a permis à Gustave Eiffel de poursuivre ses travaux sur la résistance de l’air puis sur l’aérodynamique, entrepris dès 1903.

A l’époque déjà, l’équipement est à la pointe de la technologie : outre des essais sur les profils d’ailes et d’hélices d’avions, le père de la « Tour de 300 mètres » a rapidement mené des travaux sur des maquettes de bâtiments afin d’observer les effets du vent (hangars d’aviation notamment).

Dès lors, le laboratoire aérodynamique participera à de nombreuses études, campagnes d’essais, expérimentations et recherches dans de nombreux domaines d’excellence liés à la construction : architecture et urbanisme climatique, ventilation naturelle, environnement, aéraulique industrielle, génie civil et tenue au vent des ouvrages, etc

Mais qui était Gustave Eiffel, magicien du fer et pionnier de l’aérodynamique ?

GUSTAVE EIFFEL

Gustave Eiffel est né en 1832, à Dijon.
Son père était un ancien soldat de la Grande Armée, sa mère une dynamique marchande de charbon.
Pendant que son fils étudiait à Paris, elle faisait prospérer son commerce à la faveur de la première révolution industrielle.

Bien qu’intéressé par la chimie, le jeune Eiffel, diplômé de l’Ecole Centrale, entre dans une entreprise de construction métallique qui lui confia le chantier du Pont de chemin de fer de Bordeaux.

L’entreprise déposa son bilan au cours des travaux, mais la Compagnie les fit poursuivre sous la direction d’Eiffel dont la compétence avait été remarquée.
Eiffel, âgé alors de 26 ans, surmonta toutes les difficultés, qu’elles fussent techniques, administratives ou juridiques.

Pour pallier la mauvaise qualité des terrains il eut recours à des fondations à l’air comprimé, procédé qu’il reprit, beaucoup plus tard, pour la Tour.

En 1867, Eiffel obtint de sa famille des capitaux pour racheter une entreprise en difficulté. Et ce fut la magie du fer. Pendant des lustres, Eiffel et son atelier de Levallois construisirent dans le monde entier d’innombrables ouvrages. Citons parmi les plus remarquables :
– Le pont Maria-Pin sur le Douro, à Porto, en 1875.
– Le viaduc de Garabit, un chef-d’œuvre, sur la Truyère, en 1882,
– La grande coupole de l’Observatoire de Nice (sur flotteur annulaire).
– Des ponts préfabriqués mis en place par un système ingénieux (Indochine).
– La charpente de la statue de la liberté à l’entrée du port de New-York
– Et bien sûr, la Tour en 1889.

La Tour fut l’objet de controverses restées célèbres. Elle souleva quantité d’oppositions disparates : projet concurrent en maçonnerie, protestation des artistes et écrivains, recours des riverains du Champs de Mars au Conseil d’Etat, etc…

Une fois encore, Eiffel surmonta tous les obstacles.
Il prit tous les risques financiers et alla jusqu’à se porter pour la ville de Paris devant le Conseil d’Etat (qui aurait pu lui faire démonter la Tour à ses frais !).

Mais tout se termina bien et les artistes eux-mêmes finirent par faire amende honorable.

Eiffel vivait paisiblement avec son épouse et ses cinq enfants lors de l’affaire de Panama.

Il avait lucidement prédit à Ferdinand de Lesseps qu’il ne parviendrait pas, comme à Suez, à réaliser le canal de niveau (sans écluse).
Lorsque, après de terribles déboires, de Lesseps finit par en convenir, il demanda à Eiffel d’entreprendre les écluses, ce qui fut fait.

Mais de Lesseps échoua finalement pour des raisons financières et le canal fut achevé par les USA.

De façon plus aiguë que les ouvrages précédents, la Tour avait posé deux problèmes scientifiques :
– vitesse maximale du vent et variation avec la hauteur.
– Coefficient de trainée des membrures de charpente.

Pendant les années qui suivirent, Eiffel étudia la météorologie qui était la première question :
– mesures à la Tour et en divers points de France
– statistiques
– compilation, etc..

Puis en 1903, il aborda la seconde d’une manière originale : il tendit entre le sol et la deuxième plate-forme de la Tour, un félin d’acier le long duquel, un étrange appareil porteur de maquettes, tombait en chute libre.

Doté d’un frein automatique et de moyens de mesures, l’engin permettait d’obtenir les coefficients cherchés.

Mais l’aéronautique se développait et, pour elle, cette méthode ne suffisait pas.

Aussi au printemps 1909, Eiffel installa sa première soufflerie au pied de la Tour.

Là en moins de deux ans, il fit un travail étonnant : 19 avions, des dirigeables, etc…

Chassé par la ville, qui jugeait, non sans motif, que le bâtiment déparait le Champ de Mars, la soufflerie fut réinstallée à Auteuil où elle est encore aujourd’hui affiliée depuis 2000 au Groupe CSTB Développement.

C’est une version très améliorée et brevetée par Eiffel lui-même qu’il inaugura en 1912, à 80 ans.

Depuis, malgré deux guerres, elle n’a jamais cessé de fonctionner et, pendant neuf ans, c’est Eifel qui le dirigea, aidé seulement par deux ingénieurs, Lapresle et Rith.

En 1921, il se résigna à demander au Ministre de l’Air de lui choisir un successeur. Deux ans plus tard, il mourut.

LA CHAMBRE EIFFEL

Le bâtiment comporte une halle de 30 mètre de long par 13 de largeur et 10 de hauteur, plus quelques pièces annexes servant de bureaux, ainsi qu’un logement pour le gardien. La halle abrite la soufflerie, qui comporte une innovation majeure : la chambre Eiffel.

Alors que les autres souffleries étaient constituées d’un simple tube de diamètre constant, Gustave Eiffel eut l’idée de réduire progressivement le diamètre du tube en amont de la chambre d’expériences, puis de le faire augmenter en aval.
Ce qui avait pour effet d’accélérer localement la veine d’air dans la chambre d’expériences et de la ralentir en sortie De plus, cela demandait un ventilateur de moindre puissance donc plus économique à l’achat et à l’utilisation.

Avec un simple moteur de 50 CV, Gustave Eiffel pouvait ainsi obtenir dans cette chambre d’expériences, disposant d’une buse d’entrée de 2 mètres de diamètre, un flux d’air d’une vitesse de 30 m/s (108 km/h). Une petite soufflerie auxiliaire latérale permettant les 40 m/s fut rapidement démontée car n’apportant pas de résultats plus précis.

Notons que la première soufflerie du Champs de Mars, pour une même puissance installée de 50 CV ne pouvait produire qu’un flux d’air de 18 m/s sur un diamètre de 1,5 m.
Eiffel calcula que s’il avait gardé le même principe constructif pour sa soufflerie d’Auteuil, il lui aurait fallu disposer d’un moteur de 400 CV pour obtenir le flux de 30 m/s sur un diamètre de 2m.
L’efficacité énergétique était déjà une préoccupation importante pour les ingénieurs voici un siècle !

Autre innovation, la chambre d’expériences est une simple pièce ouverte, située entre le convergent et le divergent, que les visiteurs de l’époque baptiseront vite la ‘‘chambre Eiffel’’.

Cette disposition remporta vite l’adhésion des spécialistes, car l’accès facile à la chambre d’expériences facilitait la mise en place des maquettes ou éléments à étudier, tandis que les résultats étaient tout aussi précis que ceux obtenus dans des veines fermées.

Et l’instrumentation permettant la mesure des effets aérodynamiques connut elle aussi des évolutions majeures.

C’est donc dans ce bâtiment que bien des années plus tard, notre CD dédié aux 24h du Mans, sous la direction de Robert Choulet, allait prendre sa forme définitive.

Charly RAMPAL (A partir des Documents du Moteur Moderne)