En cette année 1956 – en raison de la catastrophe de 1955 – on avait fait du neuf partout. Sur le circuit (lire mon article sur sa reconstruction dans la rubrique « circuits »), comme dans le règlement.

Si l’intérêt technique d’une grande épreuve se mesure à la somme de recherches et, pour tout dire, de travail, qu’elle a occasionné avant même d’avoir eu lieu ou qu’elle suscitera après son déroulement, il na fait aucun doute que rarement une manifestation automobile n’a été aussi instructive que ces 24 H du Mans 1956.
Car si les organisateurs ont tout rénové, ils ont posé en même temps aux constructeurs de nouveaux problèmes, non seulement très ardus à résoudre, mais dont on ne pouvait raisonnablement prévoir à l’avance si les conséquences en seraient heureuses ou non.

D’où les avis très différents qui ont été émis à l’époque quant à l’adhérence du circuit, aux nouvelles prescriptions imposées en matière de carrosserie et enfin à la limitation de la consommation.
Car, ce sont là les 3 éléments principaux qui ont modifiés quelque peu cette année la physionomie de l’épreuve.

LE CIRCUIT

Bien que magnifiquement tracé et exécuté, le circuit s’est révélé quelque peu glissant, parce que trop neuf.
D’où l’élimination prématurée de nombreux favoris, dont les deux Jaguar n°2 et 3.
Précisons d’ailleurs à ce sujet que, si cette année 1956, le déchet a été exceptionnellement élevé (70%), cela est du en partie aux très mauvaises conditions atmosphériques qui ont constamment fait varier l’adhérence.
En toutes choses, d’ailleurs, malheur est bon. Car de telles difficultés ont permis, d’autre part, d’apprécier toute l’adresse de certains pilotes, ainsi que le degré de stabilité des véhicules engagées.
A ce titre, il n’était qu’à se positionner au virage du Tetre rouge pour retirer d’utiles enseignements sur les pneumatiques et les freins et le comportement de toutes les voitures dans ces éléments déchainés auxquels s’ajoutait un vent qui soufflait parfois en rafale et contre lequel les carrosseries ne réagissaient pas de la même façon.

LES CARROSSERIES

Cette année, les formes des carrosseries avaient été modifiées par un règlement des plus sévères, qui les rapprochaient davantage du type « Sport ».
A cet égard, disons tout de suite que ces modifications ont été très discutées par les concurrents qui, notamment, n’ont pas approuvé le large pare-brique imposé. « Celui-ci, ont-ils affirmés, en réduisant la visibilité, rendait la conduite dangereuse et, c’est à cause de cela que beaucoup d’entre nous ont quitté la route. » Et Maurice Trintignant d’ajouter : « j’ai dû, en ce qui me concerne, conduire la plupart du temps sans lunette et en regardant par-dessus mon pare-brise » !

Notons que si les concurrents ont eu raison de se plaindre, c’est peut-être – dans ce cas particulier – parce que, ces mêmes pare-brises, et surtout les essuie-glaces qui les équipent, ne sont pas encore au point pour les vitesses atteintes au Mans.

LA CONSOMMATION

Les moteurs ont été « étranglés » pour moins consommer : beaucoup de concurrents y étaient opposés. « C’est un non sens, déclaraient-ils, à cylindrée égale, la voiture la plus puissante est défavorisée. »
Et certains d’ajouter : « Pour être juste, il aurait d’ailleurs fallu limiter la consommation, en fonction de la cylindrée. Car ici, ce ne sont que les grosses voitures qui sont touchées. »

Nouvelles critiques qui peuvent se comprendre et en frustrer plus d’un. Cependant, si l’on n’exagère pas, limiter la consommation peut, dans une certaine mesure, servir de progrès, puisqu’elle aboutit en fin de compte à une meilleure utilisation de la calorie-essence comme nous le verrons dans les années qui vont suivre.
En tout cas, ce sera le point de départ de faire travailler les spécialistes et d’avoir, dès cette année donné quelques résultats, malgré tout intéressants.

La Jaguar victorieuse, par exemple, n’a dépensé que 25 litres aux 100 contre plus de 30 litres l’an dernier (1955). Et ceci pour une moyenne horaire qui n’a été inférieure que de 4km environ, nonobstant des conditions atmosphériques détestables.

Cependant, il ne faut pas aller trop loin dans ce domaine et obliger les moteurs à carburer au mélange pauvre. Deux voies peuvent s’ouvrir : tenir compte dans le classement à l’indice de la consommation, en fonction de la cylindrée, ou alors, si l’on estime que les voitures deviennent trop rapides, mieux vaudrait sans doute limiter encore les cylindrées elles-mêmes.

Quoi qu’il en soit, nous sommes là à une étape charnière matérialisée par ces nouveaux aspects de la grande course mancelle en poussant les constructeurs à de nouvelles études techniques, mais aussi à une préparation minutieuse.
Celles-ci ont d’ailleurs payé pour certains, en particulier pour la Jaguar gagnante de Sanderson-Flockhart, laquelle, dans les ateliers de l’Ecurie Ecosse à Edimbourg, a été l’objet de quelque 5.000 heures de travail.
A noter, à ce propos, que si l’industrie anglaise remporte les deux premières places du classement général à la distance et place 5 voitures dans les 8 premières, elle le doit en grande partie à ce souci du détail et du fini qui la caractérise.
Même remarque pour la Porsche classée 5ème et surtout pour DB, vainqueur à l’indice et qui, comme Jaguar, amène brillamment 3 voitures à l’arrivée.
Sans oublier la 12ème place au scratch d’André Héchard et Roger Masson.

Cette belle victoire à l’indice a d’ailleurs été justement applaudie, d’abord parce qu’elle a donné lieu à des luttes sévères, avec Porsche notamment, et ensuite parce que le public commence enfin à comprendre toute la valeur technique d’un tel classement.

Elle démontre une fois de plus qu’en faible cylindrée, l’industrie française est reine.
A noter, par ailleurs la malchance de Panhard, dont les principaux représentants, comme ceux de Jaguar, furent prématurément éliminés par des accidents matériels, où la mécanique n’était pas en cause.

A propos de Jaguar, soulignons en passant que si les voitures « Maison » ont échouées, il y a eu derrière les voitures « Clients » pour défendre brillamment le prestige de la marque. Cela démontre à la fois la valeur de la fabrication et l’heureuse voie dans laquelle s’engagent désormais les 24h du Mans, puisqu’ils ont permis à une « vraie » voiture de sport de triompher.

Parmi les autres faits techniques marquants de cette course, enregistrons :
– les débuts malchanceux, mais néanmoins prometteur, de la Jaguar à injection qui a connu d’innombrables ennuis, mais qui s’est révélée très rapide.
– La performance satisfaisante de Talbot, peu chanceux lui aussi, mais dont l’équipe Rosier-Berha a mis en valeur les qualités.
– La belle démonstration de Gordini dont les voitures n’ont pas tenu la distance, mais dont l’une d’elles fut un moment en tête du classement à l’indice.
– La grande classe d’Aston-Martin dont la 2.922 pilotée par les champions Moss et Collins résista longtemps à la 3.442 Jaguar et remporta une brillante 2ème place
– Egalement, le belle performance de la 1500 Porsche, qui, avec le tandem Frankenberg-Trips, prit la 5ème place du classement général et faillit de bien peu remporter l’indice.
– Enfin, les exhibitions remarquables de Lotus et de la Cooper.

En définitive, ces 24 Heurs 1956 – et c’est là un fait heureux – semblent bien parties, avec leur nouvelle formule, pour faire réaliser de sérieux perfectionnements à nos futures voitures de série.

Constatons d’ailleurs le haut degré de mise au point auquel sont parvenus les pneumatiques, les éclairages et les freins qui, cette année, n’ont pratiquement connus aucun ennui.
A cet égard, les usagers commencent à se rendre compte qu’ils doivent en grande partie les progrès de leurs propres voitures, à la compétition et tout particulièrement à cette grande épreuve de vitesse et d’endurance que sont les 24 Heures du Mans.

Charly RAMPAL (A partir de journaux et documents d’époque)