LE DERNIER BICYLINDRE… AVANT LA DYNA
Malgré une offre toujours très étendue, la production automobile des usines Panhard & Levassor connaît depuis 1906 une baisse sensible : de 1.256 exemplaires recensés cette année-là, elle est tombée à 1.099 automobiles en 1907 puis à 876 unités en 1908…
La marque a perdu sa place de leader des constructeurs français, maintenant nettement distancée par Renault et Peugeot.
Cette situation tient, au moins en partie, au fait que les efforts se sont surtout concentrés, depuis quelques années, sur les modèles de milieu et de haut de gamme.
Tout se complique avec la disparition, en 1903, de la 7 CV légère dotée de la boîte KA à trois vitesses (type A pour les Mines) ; il subsiste pourtant toujours deux modèles à moteur à deux cylindres 02R (1648 cm’) :
– le type N qui la remplace au mois de mai bénéficie d’une nouvelle boîte à quatre vitesses type KB, en lieu et place de la boîte à trois vitesses type KA
– l’ancien type D, dit «7 CV de route », doté du même moteur et d’une boîte à quatre vitesses de l’ancienne génération (type KD)
Entrée de gamme mais pas populaire
Toutefois, le type N est loin de bénéficier de la même faveur que le type A auprès de la clientèle, et le type D ne constitue qu’une offre très marginale, qui se traduit par des chiffres de vente dérisoires : à peine 21 exemplaires de 1902 à 1905 !
La vraie relève apparaît au Salon de décembre 1903, sous la forme d’un nouveau modèle à trois cylindres (type S3E), la 8 CV type P.
Cette dernière focalise bien évidemment l’attention et va pousser vers la sortie les vieilles deux cylindres, dont les derniers exemplaires sont écoulés au tout début de l’année 1905.
Cette 8 CV connaît à ses débuts un certain succès, notamment à l’exportation, tout particulièrement au Royaume-Uni.
Mais elle s’essouffle assez rapidement, et dès 1906, elle n’est plus fabriquée qu’à soixante exemplaires, dont la moitié pour l’exportation, ce qui ne constitue que 5 % de la production totale…
Même si ces chiffres remontent un peu en 1907 (111 exemplaires), il est clair que cette 8 CV ne permettra pas à la marque de se maintenir durablement sur ce créneau.
En 1908, d’ailleurs, sa production n’atteint pas même les trente exemplaires…
Un nouveau modèle doit donc être impérativement lancé à relativement bref délai si la marque entend rester présente dans la catégorie des voitures « populaires » : ce terme ne s’applique en réalité que dans un certain contexte car, à l’époque, la possession d’une automobile requiert, de toute façon, des revenus confortables !
Les mystères de l’X enfin dévoilés !
L’étude d’un tout nouveau modèle d’entrée de gamme est donc lancée en 1907. Celui-ci doit bien entendu bénéficier des nouvelles techniques expérimentées sur les types plus puissants comme la transmission par cardan et les cylindres jumelés.
Le fruit de ces travaux est exposé à l’occasion du Salon de l’Automobile, organisé sous les voûtes du Grand Palais au mois de décembre 1907 : le prototype de la future 8 CV deux cylindres y en trône en compagnie d’une six cylindres de 30 CV (futur type U5). La mise en production de ces deux modèles doit intervenir dans le courant de 1908, après le rituel passage au service des Mines, pour lequel la 8 CV va devenir le type X2. Pourquoi « X2 » ?
Dans la nomenclature retenue pour désigner le type des Mines, Panhard a en effet épuisé une bonne partie de l’alphabet.
Depuis 1906, les nouveaux modèles à transmission par chaînes ont été désignés par la lettre « U » suivie d’un chiffre ; la lettre « V » a été choisie pour désigner un grand camion, et la lettre « W » n’est pas retenue, sans doute pour éviter les confusions.
C’est donc la lettre « X » qui caractérisera les modèles à transmission par cardan.
Le premier modèle à l’utiliser, à partir de l’automne 1907, est la 10 CV (type X), qui a été suivie, à partir du mois de juin 1908, par une nouvelle 18 HP (type X1).
La troisième voiture à transmission par cardan est donc la 8 HP, qui hérite logiquement du type « X2 », présenté au service des Mines le 27 février 1909 et commercialisé au printemps.
On notera qu’à partir du Salon 1907, il n’est plus question de «CV », mais de « HP », de l’anglais « horse power », histoire de paraître plus tendance.
C’était la mode à l’époque !
Elle passera, et en 1923, on assistera au retour des bons vieux « CV »…
Description technique : Le moteur à deux cylindres jumelés verticaux type 132E se caractérise par son encombrement très réduit.
Les quatre soupapes, commandées par un seul arbre à cames, sont regroupées du côté gauche ; ce moteur a la particularité d’avoir les soupapes d’aspiration au centre encadrées par les soupapes d’échappement.
Les cotes sont les mêmes que celles des anciens moteurs deux cylindres Centaure : 80 mm d’alésage et 120 mm de course, pour une cylindrée de 1.201 cm3, ce qui n’est guère étonnant car, à l’époque, les cotes des moteurs restent presque toujours, et notamment chez Panhard, dans des valeurs standard.
La puissance maximale est obtenue au régime de 1.200 tours / minute, en progrès sur les moteurs de type Centaure qui ne dépassaient pas 900 tours / minute.
La puissance nominale est donc de 8 HP, mais l’on sait que cette valeur n’a pratiquement d’autre but que de situer le modèle dans la gamme.
La puissance réelle est malheureusement plus difficile à chiffrer.
Ce moteur est alimenté par un carburateur de type Krebs à régulation hydraulique par pression de l’eau de circulation, et à niveau constant.
Il est fixé sur l’une des pattes du carter suffisamment au-dessous des tuyaux d’aspiration et d’échappement, pour ne pas gêner le mouvement des soupapes, dont les guides sont maintenus par des étriers boulonnés sur le plan supérieur du carter moteur.
Les bouchons des soupapes ont été tournés dans un diamètre suffisamment grand pour faciliter la visite et le rodage des clapets.
Le refroidissement par eau est assuré par thermosiphon, radiateur et ventilateur.
L’allumage se fait par bougies et une magnéto à haute tension dont l’axe est perpendiculaire à celui du moteur.
Le graissage s’effectue par une pompe alimentée par un réservoir d’huile ; cette pompe débite l’huile dans une quantité proportionnelle à la puissance développée par le moteur.
Ce système permet d’éviter une abondance d’huile nuisible à certains régimes.
Chez la plupart des concurrents, le débit d’huile est proportionnel à la vitesse de rotation du moteur, ce qui est moins efficace, car il peut être insuffisant quand le moteur utilise toute sa puissance à faible régime, et trop riche quand il tourne à vide…
L’embrayage est à friction par cône garni de cuir ; des ressorts placés sous le cône permettent d’adoucir le fonctionnement de l’embrayage.
La boîte est du nouveau type JD à trois rapports le dernier étant en prise directe.
La transmission s’effectue par cardan d’après le catalogue : « la transmission par cardan permet d’avoir une voiture absolument silencieuse, qualité surtout appréciée pour les voitures de ville » ; quant à la transmission par chaîne, « elle est généralement préférée pour les voitures de grand tourisme, à cause de sa simplicité, de sa robustesse et de sa facilité de réparation ».
Ces considérations seront oubliées assez rapidement, puisque la transmission par chaîne est progressivement abandonnée : la dernière voiture ainsi équipée sort en 1914.
Le mouvement est transmis par le cardan à un arbre transversal par un jeu de pignons coniques.
L’extrémité de cet arbre se termine par des cannelures qui permettent l’entraînement de la roue. Le cardan est fixé sur la poulie du frein par des goujons et protégé par une gaine en cuir remplie de graisse.
Un triangle empêche le pont de piquer du nez, par exemple lors d’un démarrage brusque, et lui permet de rester dans l’axe du châssis.
Comme toutes les Panhard de cette époque, la 8 HP dispose d’un double système de freinage.
Le premier agit sur un tambour monté sur l’arbre de transmission, et actionné par une pédale.
L’autre, actionné par un levier situé à portée de la main droite du conducteur, agit sur des tambours montés sur les roues arrière.
La direction est à vis et secteur denté.
La suspension est assurée par des ressorts à lames.
Les ressorts avant sont droits, les ressorts arrière sont du type « demi-pincettes ».
Le châssis entièrement en acier embouti est rétréci à l’avant pour favoriser le braquage des roues, et se caractérise par sa partie arrière surélevée.
La partie qui correspond aux entrées latérales est « aussi basse que possible ». Ce châssis pèse 600 kg sans pneus…
Ceux-ci (de dimensions 810 x 90 dans ce cas-ci) sont en effet très chers à l’époque et donc facturés à part.
L’emplacement de caisse est de 2,27 m x 0,85 m pour un empattement de 2,53 m.
La voie est de 1,41 m.
En 1911, le prix du châssis s’élève à 5.500 francs (sans les pneus !). A titre de comparaison, on trouve les valeurs suivantes sur d’autres modèles de la gamme :
Fin 1911, dans le tarif édité pour 1912, le prix du châssis a légèrement diminué : 5.450 francs.
X2 + X6 = une équation au résultat décevant
La carrière du type X2 est en réalité très courte.
A peine 57 exemplaires sont fabriqués jusqu’à la fin de l’été 1909, soit en six mois environ.
Dès le début de l’automne, la relève arrive sous la forme du type X6, en réalité presque identique au type X2 ; seule la présence d’un différentiel sur le type X6 permet de justifier ce changement de type des Mines.
Le type X6 a été reçu au service des Mines le 10 août 1909. Les premiers exemplaires sont livrés au mois de septembre. Autant le dire tout de suite : la carrière de cette 8 HP ne sera pas brillante : il en sera vendu à peine 248 exemplaires jusqu’à l’été 1912 (le dernier, n° 21.190, est sorti le 10 juillet 1912), ainsi répartis :
Les numéros de moteur des X2 et X6 : sont tous compris entre 20.001 et 20.325 et entre 21.154 et 205 ; pour ne rien simplifier, les X2 et X6 sont mélangés dans la première série.
Les numéros répertoriés comme X2 sont les suivants (dans la série 20.000) : 001 à 003, 007 à 009, 011, 015 à 018, 021, 022, 024, 027, 031, 034, 036, 037, 039 à 048, 051, 052, 054 à 057, 059, 061, 065, 066, 069, 074, 077, 079, 083, 085, 092, 095, 097, 099 à 102, 116, 121, 137.
Huit numéros sont attribués à des moteurs marins (BU2E) : 105, 163,164, ainsi que les numéros 837 à 841.
Le n° 162 est attribué à un moteur BU4E (4 cylindres).
Et enfin, douze numéros ne sont pas attribués, dans cette série : 013, 073, 093, 113, 113, 173, 193, 213, 273, 293, 300 et 313.
On l’aura remarqué, à part le n° 300, ce sont tous des numéros en « treize » ! C’était une tradition chez Panhard, à l’époque ! On est superstitieux ou on ne l’est pas !
Les carrosseries
Les carrosseries montées sur les châssis 8 HP sont surtout des landaulets, mais on trouve aussi une carrosserie « deux baquets » illustrée dans le catalogue 1910. Au tarif, la 8 HP n’est toutefois vendue qu’en châssis nu, à faire carrosser par le client.
L’étude attentive du registre a permis malgré tout de retrouver un certain nombre des carrosseries qui ont été montées sur ce châssis.
Soixante-douze sont des landaulets, dont 70 sont des taxis carrossés par « la Carrosserie, Industrielle ».
Leur destination est connue : 51 ont en effet été livrés à Valerian Klifus, a Saint-Pétersbourg, en Russie, au printemps 1910.
Les 19 autres sont restés à Paris où la Compagnie Weiss & Mayer les a mis en service.
Deux marchés qui ont pu être décrochés par le service commercial, et qui ont permis de relever un peu la diffusion du modèle.
ll s’agit uniquement de types X6, tous livrés en 1910, et ces deux commandes à elles seules représentent plus de la moitié des ventes du modèle cette année-là, et 36,6 % de toute la production des X6 !
Ces landaulets bénéficient d’une pompe à pneus, d’un cric, de deux cornets, d’un réservoir à essence spécial et de trois lanternes.
Ces landaulets mis à part, d’autres carrosseries sont connues :
– Berton-Labourdette : un landaulet (n° 20.004) en 1910
– Blanchart à Nantes : un double-phaéton X6 en 1911 (20.165)
– Driguet à Paris : deux X2 en 1909 : 20.052 et 20.077, et une X6 : 20.094 en 1910 (type de carrosserie non précisé)
– Huart à Nantes : un torpédo X6 en 1911 : 21.160
– Labourdette : châssis 20.011 livré le 30.11.1909 à Paris (carrosserie non précisée)
– Lepers & Voituriez à Lille : une conduite intérieure sur châssis X2 en 1909
– Poulain : un spider 3 baquets en 1910 (n° 20.053) ; cette voiture a la direction inclinée et dispose de deux lanternes Blériot, d’une trompe Sudre et d’un coffre Rolland. Elle sera exposée au magasin des Champs-Elysées.
– Riégel & Bériotuc : un landaulet (n° 20.143) en 1910 ; cette voiture, qui dispose de deux phares Ducellier et deux lanternes, un falot, une trompe Sudre et un coffre Rolland, est exposée un temps dans le magasin des Champs-Elysées.
– Vicart : une conduite intérieure deux places sur châssis X6 en 1912 (21.201), vendue à la Société Française des Roulements à Billes, à Ivry.
Sans précision de carrossier :
– un landaulet (20.010) en 1910
– quatre voitures à carrosserie « deux baquets » sur châssis X6, réalisées en 1910 et 1911: 20.103 (spider deux places, direction inclinée, bajoues aux ailes avant, livrée à Dieppe le 13 janvier 1910), 21.167 (type « série »), 21.178 (grand baquet sur le coffre arrière), 21.183 (direction inclinée et pare-brise mobile)
Destination
La majorité des voitures est restée en France : 180 voitures, soit 72,5 % de la production. L’exportation se répartit comme suit :
Belgique : 1 en 1909 (X2 — 20.027)
Espagne : 3 en 1909 (X2 — 20.041 et 20.045 et X6 — 20.049) et 1 en 1910 : 20.035
Portugal : 2 en 1909 (X2 — 20.039 et 20.137)
Royaume-Uni : 2 en 1909 (X2 — 20.001 et 20.056) et 2X6 en 1910 : 20.058 et 20.228
Russie : 51 taxis en 1910 (n° compris entre 20.020 et 20.237)
Algérie : 1 en 1909 (X2 — 20.085) et 2X6 en 1910 : 20.023 et 20.091
Argentine : 1 en 1909 (X2 — 20.074) et 1 X6 en 1910 : 20.063
USA : 1 en 1909 (X2 — 20.002) L’exportation s’établit donc à 11 voitures en 1909 et 57 voitures en 1910.
CONCLUSION
Le peu de succès rencontré par ce modèle a sans doute conforté le Conseil d’administration dans son optique de se concentrer sur des produits plus haut de gamme.
En même temps, la politique de la société n’est-elle pas un peu responsable de cette situation ? Il semble en effet que le service commercial ait quelque peu négligé la promotion du modèle pour se concentrer sur d’autres versions : on pense naturellement à la 20 HP sans soupapes, mais aussi à la 12 HP qui semble véritablement avoir fait l’objet d’une attention toute particulière.
Même si des petits moteurs à quatre cylindres continuent à perpétuer l’offre en « bas de gamme » jusqu’à la fin des années vingt, on ne peut s’empêcher que la société Panhard & Levassor est sans doute passée là à côté d’une opportunité de développer une véritable gamme de voitures populaires qui auraient pu, sans doute, en faire un rival des Peugeot, Renault et Citroën…
Mais on ne refait pas l’histoire, et il faudra donc attendre 1945 pour voir la marque revenir enfin au deux cylindres, et avec quel panache !
Charly RAMPAL (Photos, pub et caractéristiques : archives Panhard – Complément d’information : Bernard Vermeylen)