Au début des années cinquante, de par ses qualités mécaniques et la conception générale des Dyna X, Panhard avaient permis à quelques artisans carrossiers pour la plupart, d’habiller à leur façon et selon leur rêve, toute une série de dérivés dont je vous ai livré les photos les plus inédites.

Et souvent, cet habit faisait le moine puisque toutes les qualités de la Dyna X étaient conservées, seul le côté esthétique était soumis à l’approbation ou non du public.

C’est ainsi qu’en 1953, Emile Boré à Saint-Lô réalisa une carrosserie en aluminium en forme de coupé sur un châssis de Junior X 87, break Dyna X, donc type K211, pour le compte de l’entreprise de carrosserie Lecapitaine, où travaillait Emile Boré, le concessionnaire de Grandville, « le Garage du Sélect » (dans la Manche) commanda un châssis de Dyna X utilitaire (n°959 172), afin de l’habiller d’une carrosserie à partir du dessin de son propriétaire.

Le châssis tout équipé, a été livré le 24 septembre 1952 et mis à la disposition de l’entreprise Le Capitaine.

A partir de feuilles d’aluminium, la voiture fut terminée au début de 1954 (les immatriculations 1954 dans la Manche ont couru de 303 AV 50 à 901 BH 50).

L’originalité de cette carrosserie voulue par son styliste d’un jour, tient aux portillons de toit en Plexiglas, façon papillon, pour faciliter l’entrée dans ce coupé original.

Mais aussi par sa lunette arrière en 3 parties, son absence de pare-chocs, et par l’abondance de joncs en alu polis, les feux de recul, le volant Brevex à demi-cerclo avertisseur.

En dehors de ces originalités, cette berlinette est au final très élégante et unique : elle mérite donc de s’y attarder.

Profitant des 130 ans de Panhard en Bretagne où elle fut présentée en cours de restauration,  j’ai demandé à son propriétaire actuel de me raconter son histoire, comme je l’ai fait pour la D.B. Antem de Serge Macé.

COMMENT ET POURQUOI CETTE VOITURE ?

Je laisse la plume à Stéphane Droulers pour vous la raconter :

« Etudiant, puis jeune travailleur, je roulais en Panhard 24, et m’intéressais aux autres modèles de la marque, nous sommes fin 79 – début des années 80s.

Pour preuve, ce souvenir durant mon service militaire, à Toulon, en 1980 : la pauvre prenait son mal en patience, au fond de la caserne, à l’abri des regards : rectification des tambours ! »

A cette époque heureuse des années 80, un autre véhicule a rendu bien des services à Stéphane, comme ce Citroën Type H aménagé en transporteur de voitures :

Et Stéphane de poursuive :

« Au milieu des années 80, comme d’autres amateurs de Panhard, j’avais remarqué, dans un petit jardin de Normandie, sous une moquette, une auto aux jantes caractéristiques.

Marche arrière et je frappe à la porte : la dame n’était pas vendeuse

Le hasard faisant bien les choses, quelques mois plus tard, appel de la dite dame, me demandant si j’étais toujours intéressé : pour sûr ! (un besoin financier imprévisible l’avait décidée, et c’est moi qu’elle avait choisi d’appeler, aller savoir pourquoi …).

Le lendemain, l’auto était à la maison, grâce encore à ce type H.

Autre coup de chance, pratiquement toutes les pièces étaient dans des caisses qu’elle me laissait emporter: on verra plus loin qu’on peut parler de « miracle ».

Sans remords, je me séparai de mon Arista Passy, pour financer cette nouvelle venue

 « Difficile de trouver un angle qui sauve l’esthétique scabreuse de la Passy », a écrit, récemment, un journaliste de la presse spécialisée (Auto Rétro octobre 2021) : ce n’est pas faux ! »

Débarrassé de cette Arista, Stéphane a pu se rendre acquéreur de cette Boré bien plus élégante :

La carte grise récupérée par Stéphane, lui en dit plus : marque : Panhard ; type K211 ; date de 1ère mise en circulation : 05/1954.

Stéphane entreprend alors des recherches dans ses documents et il s’aperçoit que c’est bien un break Dyna X87, type K211.

La différence notable, au niveau châssis, concerne l’empattement : 22 cm de plus que la berline !

Au fil des ans, l’histoire de cet attachant coupé se dévoile et correspond bien à l’historique décrit tout au début de cet article.

« Le châssis nu a été vendu le 26 septembre 1952 (registre des ventes, archives Panhard) au garage du Select à Granville (50)

La caisse a été dessinée par Monsieur Emile Boré, et construite au sein des Etablissements  Le Capitaine, à St Lô (50), qui se spécialise alors dans les carrosseries isothermes et frigorifiques (il en sera le PDG, de 1974 à 1983 (site Internet Le Capitaine)

Dans l’entrée de l’entreprise, dans les années 80s, figuraient des photos de ce coupé, dont celles-ci :

Mais, il fallait aller plus loin dans ces recherches photographiques et ratisser large jusqu’aux archives Panhard où Stéphane pu en retrouver de magnifiques et authentiques :

Vue de face :

Vu de dos :

Mais aussi grâce à la gentillesse de la fille du constructeur, ces deux-là, non répertoriées :

Le tableau de bord est à l’image de l’élégance de cette voiture :

Comme le hasard fait bien les choses, sans le vouloir et sans le savoir, Stéphane habitait St Lô dans ces années là : juste derrière les Etablissement « Le Capitaine » ! Comme quoi cette voiture lui était destinée !

Avec l’aide des Préfectures, service des cartes grises, que Stéphane remercie ici,  il a pu également reconstituer son parcours :

Il y aurait eu 6 propriétaires successifs, tous habitaient dans l’Ouest de la France :

Ainsi, depuis son immatriculation, en 1954, dans la Manche, le coupé a vécu dans les villes suivantes :

20 mai 1954 : immatriculation par Monsieur Émile Boré, à St Lô, Manche

12 décembre 1960 : changement de propriétaire: N. et compagnie, garagistes à Nogent le Rotrou, Eure-et-Loire

21 juillet 1961 : changement de propriétaire : H. Michel, mécanicien à Dreux, Eure-et-Loire

16 juillet 1965 : changement de propriétaire : C. Georges, carreleur à Sarlande, Dordogne (selon monsieur C., le véhicule serait resté dans l’Orne, où il habitait, l’immatriculation en Dordogne correspondant à l’adresse de ses parents)

Pour l’anecdote, Il se souvient également que le coupé était rouge : il en restait effectivement quelques traces à l’avant du capot lorsque Stéphane l’a acheté.

14 juin 1968: changement de propriétaire: C. Jean-Louis, mécanicien à Alençon, Orne

18 janvier1986: changement de propriétaire: moi-même ! Résidant alors à Saint Denis sur Huisne, Orne.

RESTAURATION : Recherche d’un homme de l’art

Oui, le travail est important pour la remettre dans son état originel !

Surtout que cette carrosserie est entièrement en aluminium, et qu’il fallait trouver un homme de l’art apte à lui redonner toute sa splendeur.

Et Stéphane  me raconter : 

« Le premier carrossier, que je ne nommerai pas, pourtant bien connu pour ses travaux de qualité sur des voitures haut de gamme,  (Ferrari et autres Porsche 906) a entièrement déformé la partie extérieure de la caisse, en la faisant sabler (sauf les portes et le couvercle de coffre, que j’avais eu la bonne idée de garder).

Aspect tôle ondulée :

De plus, il n’avait pas ôté la caisse du châssis, entièrement remis à neuf, vous imaginez mon effroi.

Le deuxième, toujours pas loin de chez moi, en Maine-et-Loire, l’a  gardé un an sans osé y toucher.

Le troisième, de la région de Tours, et cette-fois-ci, de réputation bien fondée, au bout d’un an également, m’a sorti un devis d’un montant inaccessible pour moi, à moins de vendre ma maison !

Sur les conseils d’un passionné de Panhard, me voilà cette fois-ci parti à l’extrémité de la Bretagne.

Le travail a été mené jusqu’au bout, mais il a fallu encore attendre, et attendre : 5 ans cette fois-ci …

CHEZ LE BON CARROSSIER :

 Une fois le devis accepté, le travail pouvait commencer.

Détails de carrosserie avant travaux :

Photos prises chez le troisième carrossier Bombé du capot : il va falloir « taper » dedans !

Intérieur : admirez le travail d’allègement de la structure et le dessin du tableau de bord, monobloc.

Intérieur et extérieur de porte : ajustement à la carte à jouer !

Plafonnier :

Structure arrière :

Pièces détachées, fabrication maison :

Charnières de porte :

Vérins à ressorts, pour rappel de portes de toit

Supports de feux arrière

Particularité du châssis :

Le châssis de Dyna X ne possède pas tout cet assemblage de tirants : imaginez les lames de ressort sans rien devant, à part la boite de vitesse, encastrée dans son caisson.Suspension AVD :

LE TOIT :

Vu de dessus :

Vu de côte :

et sous apprêt :

AILE ARG :

Avant :

APRES :

La caisse, une fois ôtée du châssis (une douzaine de vis et le tour est joué : les connaisseurs acquiesceront) .

Etat de départ :

puis après le travail du professionnel :

Pour accéder à l’intérieur des ailes arrière, des panneaux ont été découpés :

La porte gauche, qui avait du s’ouvrir, un jour, plus que de raison (voir aussi photos précédentes) :

Restait le gros problème du  capot : à l’achat deux grosses charnières. Maintenaient le capot en place, vue extérieure :

et un arceau intérieur, aussi en acier, l’aidait à maintenir sa forme :

Tout cela devait disparaître, bien sûr, mais a entraîné une longue méditation, car il fallait, là, recréer et redresser : ça ne saute pas aux yeux sous cet angle, mais la réparation de l’époque (peut-être un choc avant, ou bien une ouverture brusque en roulant) n’avait pas été merveilleuse : bosse à l’arrière et dénivelé au haut des ailes La bosse arrière a disparu, mais il reste un creux au haut des ailes, vers l’avant :

Résultat final, c’est à dire une structure interne :

… sur laquelle vient se rabattre la peau extérieure :

Soudure des éléments du capot avant :

Réalisations et mise en place des charnières faites maison :

Devant l’ampleur des travaux, pour motiver le carrossier, Stéphane allait passer des journées à ses côtés, pour l’aider à avancer, mais aussi par goût et participer à l’élaboration des pièces de remplacement telles ces passages de porte, trop rongés par l’oxydation, contrairement au reste, heureusement :

LA TEINTE D’ORIGNE

Il fallait retrouver la couleur d’origine.

Les photos prises à sa sortie de construction (voir photos précédentes) bien qu’en noir et blanc, montre une couleur claire pour l’extérieur et foncée pour l’intérieur

Les décapages successifs ont montré plusieurs teintes, dont un rouge, couleur confirmée par un des anciens propriétaires.

Le couvercle de vide poche, non sablé, a servi de base pour les parties sombres du tableau de bord, et un petit endroit de quelques cm², derrière le volant, pour la partie claire du tableau de bord et l’extérieur

Nous arrivons ainsi à un bleu-gris, qui lui sied bien, et qui respecte le plus possible les couleurs d’origine, de 1953.

Les portes : Intérieur

Les portes : Intérieur

La caisse : Mise en apprêt

La caisse : Peinture

Le tableau de bord, en deux teintes : Le bloc compteurs/ interrupteurs/ commandes

Le reste du tableau de bord côté passager :

Peinture du capot soulignant son élégance :

Peinture terminée : vu du capot face avant :

Peinture complète de la caisse terminée : sortie cabine

OUPS !! Il manque les ouvertures sur le capot côté pare-brise :

Et c’est reparti pour un cycle tôlerie-peinture :

La peinture de la caisse est enfin véritablement terminée avec ses ouïes libérées :

Une fois la caisse terminée de sa peinture et son retour chez Stéphane, la motivation devient palpable, même s’il n’a pas interrompu pour autant ses réflexions et la recherche des meilleures solutions pour les autres éléments de la voiture .

LE VOLANT

Il est de marque Brevex et en très mauvais état comme le montre la photo ci-dessous.

Il a fallu le sabler pour le préparer au chromage :

Enfin, reprendre la garniture avec du fil adapté comme cela se faisait à l’origine, mis à part le fil de cuivre à l’intérieur de la gaine rouge (devenu blanc avec le temps), mais c’est un modèle de fil avec son diamètre qui se rapproche le plus de l’origine.

Amusant, le volant de l’Arista précité était le même, hormis le « cerclo » d’avertisseur, qui sera bien sûr remis en place pour ce qui concerne le Boré, (le centre, manquant, sera refabriqué, sauf à en retrouver un dans les bourses d’échange où si un particulier en trouve un au fond de ses tiroirs !

Les compteurs ils  sont quasi identiques à ceux d’origine et de marque O.S. comme sur cette photo dans Auto-Rétro d’octobre 2021 :

Les compteurs :

Les compteurs et tirettes sont également présents, mais nécessitent eux aussi un reconditionnement

Les fonds ont été recréés, grâce à l’aide d’un ami de Stéphane qui dispose du logiciel adéquat (le même que pour le sigle, encore une fois, merci à lui) et d’un sympathique et disponible fabriquant d’enseignes et autres supports publicitaires.

Les voici en place, reste encore un peu de travail pour retrouver la configuration d’origine !

Comme pour le fil du volant, le fournisseur de verre a été très impliqué et persévérant pour retrouver la taille et le profil (le verre du compte-tours était plat alors que les deux autres, bombés ).

Comme mentionné plus haut, dans les caisses, se trouvait pratiquement tout l’ «accastillage », pour la plus grande partie fabrication maison, tels les feux arrière et l’éclairage de plaque/feux de recul, ici polis (en aluminium) et remis en place :

Imaginer la galère à vivre si Stéphane n’avait pas eu ces pièces avec l’auto ! La poignée de coffre (en zamac) est sans doute un accessoire d’époque, que l’on retrouvait par exemple sur les coupés Simca sport, carrossés chez Facel :

Autre pièces maison introuvables, notamment, la calandre, les ouïes latérales et de capot :

Les vitres ouvrantes de toit sont également d’un travail remarquable :

Ne manque finalement que le centre du volant et l’un des deux déflecteurs, le droit.

Qui pourrait confirmer qu’il provient d’une autre voiture, contemporaine ?

Car contrairement au reste, la vitre est en verre (tous les vitrages de l’auto sont en matière plastique, genre Plexiglass ) et l’entourage (partie fixe) en acier :

Le petit levier de commande est en aluminium.

La signature : Par respect pour le constructeur, une seule pièce sera inédite sur ce coupé : le sigle : sur un dessin d’un ami, inspiré d’une autre auto présente à la maison (je vous laisse deviner) et grâce à la compréhension d’un sympathique professionnel : ce sigle a été réalisé par fraisage numérique :

PREMIERE SORTIE PUBLIQUE

Trop content de le voir enfin briller de mille feux, Stéphane ne manqua pas l’occasion de la présenter, lors des journées organisées par l’association Panhard Concept Historique, en la commune de La Prénessaye (22), berceau de la famille Panhard (18 et 19 septembre 2021) :

Le succès était au rendez-vous. Bien évidemment, d’autres modèles, plus prestigieux, à caractère sportif ou ancêtre dans un état de conservation incroyable, étaient également présents.

Toutes les personnes  avec qui Stéphane a échangé devant l’auto ont reconnu sa finesse de ligne, voire pour certains, sa féminité !

Encore le hasard ? Un carrossier a reconnu l’auto qui était restée un bon moment dans ses ateliers, du temps de son avant-dernier propriétaire.

Moment fort le dimanche : visite des enfants du constructeur : bien évidemment, leur place était, tour à tour, derrière le volant :

Fin de cette première partie qui séquence la voiture de sa sortie en 1954 jusqu’à la date de cette mise en ligne sur le site du Panhard Racing Team.

En me remettant son histoire et ses photos, Stéphane les accompagne d’un pensée forte pour le créateur de cette carrosserie dont ce récit se veut un hommage à son travail et il nous donne rendez-vous sur ce même site, pour la suite de cette saga.

Car, vous l’avez compris, restent à remettre en place le moteur, le circuit électrique, le système de freinage, les vitrages, et tout ce qu’on a pu oublier…

Stéphane profite de cette publication pour remercier les fournisseurs rencontrés et pour leur aide bénéfique.

Charly  RAMPAL à partir des informations et documents de Stéphane DROULERS.