Inauguré en 1924, l’autodrome de Linas-Monthléry fut le théâtre fracassant de joutes mécaniques homériques et dont les tentatives de records en tout genre défrayèrent la Une des journaux.

Constructeurs de renom ou passionnés anonymes, tous essayèrent d’atteindre l’inatteignable sur deux ou quatre roues. Parfois même sur trois…

Quand elle n’est pas animée par la fureur des moteurs, la cathédrale de béton toise le visiteur de son ellipse insensée.

A moins qu’il ne soit animé d’un cœur de pierre, le piéton incongru et égaré captera sur cette parabole érigée en hommage aux dieux de la vitesse toutes les vibrations cosmiques de son histoire tonitruante.

Depuis bientôt 90 ans, le plus fameux des anneaux de vitesse accueille les disciples envoûtés. La vitesse comme un art de vivre mais aussi comme solide argument de vente imposera sur l’autodrome son lot d’allégresse et de larmes.

Avant qu’un orage d’acier déclenché par la folie d’un homme ne rince subitement la ferveur populaire.

Monthléry ne connaitra jamais de repos.

Chaque jour affrontant les rudesses de l’hiver ou subissant les morsures de l’été, des hommes seuls ou en bande viennent défier le temps sur le large ruban de ciment.

Beaucoup repartiront déçus et meurtris, d’autres plus pugnaces ou plus chanceux entrèrent dans la légende des records.

De ces princes du tumulte peuplant aujourd’hui de leur fantomatique présence le cœur de l’anneau, il en est un que nous vénérons par-dessus tout : René Bonnet et sa petite équipe qui connut sur cet anneau ses heures de gloire.

Nous sommes au mois d’octobre 1950. Alors que cette piste mythique retentissait encore des exploits des pilotes allemands et britanniques, une équipe française composée de Bonnet, Bayol, Deutsch, Aunaud et Bouchard se présentait sur la piste avec un tank de 750cc.

C’est le petit matin. La voiture est poussée sur la piste de Monthléry, entourée de toute l’équipe qui l’avait réalisée. Dehors, en plein air, la voiture semble frêle contrairement dans l’atelier qui fausse les proportions.

Dans la lumière incertaine d’une aube glacée, la beauté de cette voiture était saisissante : son carénage soigné, défiait déjà le vent. Instinctivement, on comprenait que la totale satisfaction de l’œil provenait, non seulement du bonheur de sa silhouette, de l’élégance de la ligne, mais aussi de la matérialisation d’une vérité mécanique.

Dans un élan d’inspiration, un poète avait modelé la forme jugée idéale pour l’époque en lui conférant une si visible aptitude à pénétrer dans l’air que la vie même paraissait habiter cet objet inerte.

Sur la piste, une dizaine de personnes seulement entouraient la voiture, et pourtant le spectacle était grandiose.

A bord de la barquette René Bonnet attend le signal donné par le chronométreur de l’A.C.F. en présence de Colibet, chef de piste, Aunaud et Bayol.

Premiers tours sur l’anneau de vitesse, de plus en plus rapide.
D’instinct, le pilote comprenait l’individualité si particulière de cette voiture.

A chaque tour, l’émotion grandit. Et plus le temps passe et plus les nerfs sont « à fleur de peau ».
L’oreille de toute l’équipe demeure accrochée au ronronnement du moteur, que la voiture soit à un kilomètre ou qu’elle roule devant la cabine de chronométrage où se joue la bataille.

Bien entendu, elle se joue surtout au volant, là, ou confiant ou angoissé, le pilote écoute son moteur et ne regarde que son compte-tours.

Emotion encore que ces scènes de ravitaillement ou celles des ennuis mécaniques, durant lesquelles les mécanos disputent eux aussi, une course contre la montre.

A chaque relais, il faut faire vite, c’est pourquoi les pilotes ne prennent pas le temps d’ouvrir la porte.

Chaque relais dure 3 heures. On voit ci-dessous Aunaud relayer Bayol.

Au fil des tours, les records tombent, signalé comme ci-dessous par un panneautage que présente Aunaud au pilote en piste, lui signifiant que le record des 1.000 km est battu à la moyenne de 156km200.

Puis ce sera celui des 2.000 km que René Bonnet indique à Bayol alors en piste.

Comme on le sait, les performances réalisées à cette époque ayant un énorme retentissement tant en France qu’à l’étranger, cette tentative fut un succès.

Et 8 records du monde furent d’abord pulvérisés par l’équipe de pilotes cités auparavant.

Ils se sont relayés au volant de la vaillante 750 DB : la même biplace sport qui s’est illustrée cette année là au Bol d’Or, azux 24 Heures du Mans, aux 12H de Paris, à Rouen et au Nurburgring.

Il était 13h quand le 8ème et dernier record des 2.000 km (détenu depuis le 21 décembre 1932 par les anglais sur MG) avait à son tour trépassé, à 153 km 285.

A l’issue de quoi, la confirmation est validée par le commissaire technique qui liste les records établis en 750cc.

Mais l’équipe DB ayant payé pour la journée entière des frais très élevés de location de la piste et du chronométrage, René Bonnet décida aussitôt de s’attaquer… à des records de 500 cc.

La petite 500 cc était présente, mais n’avait subit aucune préparation spéciale pour ce genre de performance.

Tant pis, Elie Bayol, assis dans le petit baquet, se mit en piste : on verrait bien.

Le soir, six nouveaux records du monde « 500 » des 50 à 200 km étaient pulvérisés, notamment sur cette dernière distance dont la moyenne tomba à 141km 180, supérieure de 190 km à la moyenne, établie en 1938 par Cecchini sur Fiat.

On voit ci-dessus l’arrivée d’Elie Bayol qui vient de battre les records sur Racer 500 à la moyenne de 141km180 et qui est félicité par son chef d’écurie Bonnet et les sourires de Mme Bayol, Deutsch et Aunaud montrent la satisfaction générale de l'équipe DB.

La joie était grande pour cette poignée d’hommes unis dans une même volonté… des petits gars qui avaient réussi là où les grands constructeurs n’osent pas se risquer.

Une joie simple, pas délirante, pas de défilé sur les Champs Elysées, ni de chanson à la mesure de cet exploit, mais simplement des traits qui se détendent autour d’une flamme joyeuse qui danse dans des yeux humides.

L’équipe DB n’est pas faite seulement de techniciens et de champions, mais de mécanos. Rien que des copains et des épouses dévouées et sportives.

C’est une Madame Bayol qui fait chauffer inlassablement des grogs sur une petite lampe à alcool, pour oublier ce vent qui souffle sur le plateau.

C’est une Madame Bonnet qui après de dures journées au Salon où elle a du répondre à de nombreux visiteurs, pilote sa voiture, prépare les repas froids, couche ses enfants et bondit sur l’autodrome où elle passe elle aussi la nuit dans le froid et l’incertitude de ce que sera « le tour qui vient… ».

Ce nouvel exploit à l’actif de DB, s’il est dû à la persistance, au dynamisme, au goût de l’entreprise de ces deux sportifs : Deutsch et Bonnet, il est aussi l’œuvre de Panhard, qui au cours de la saison 1950 a glané avec sa mécanique, un peu partout en France et en Europe, les succès les plus divers tant en tourisme qu’en endurance et en vitesse.

Devant de telles performances réalisées par un petit moteur de 750 ccs né de l’imagination de Louis Delagarde, René Bonnet tentait d’expliquer de façon rationnelle ces résultats :
« Nous les devons grâce au carénage de notre voiture, à une laborieuse préparation mécanique et à de nombreux essais. A l’esprit d’équipe enfin."

Le carburant employé est un carburant régulièrement employé en compétition pour les voitures de rapport volumétrique moyen.

Ce carburant comprend : 60% d’essence, 25% d’alcool, 15% de benzol et son indice d’octane dépasse 90.

Les anglais, en course, n’emploient que le carburant à base d’alcool et dans des proportions de 88 à 90% ! «

Charly RAMPAL ( sur des récits d’époque et photothèque personnelle)