En cette année 1997, le plomb dans l’essence n’est plus en honneur de sainteté.

Poussé par les écologistes en mal de principe de précaution, un additif conçu par ELF devait être testé sur la piste de Monthléry, afin d’être adapté aux voitures anciennes.

Cet additif, proposé par Elf, avait pour nom de « MILLESIM ».

C’est un additif au potassium. Pour ce dernier, l’apport est optimisé pour les moteurs des années 60/70.

Elf recommandera d’en ajouter pour les moteurs un peu plus anciens.

Il peut être surdosé 3 fois sans effet néfaste.

Son avantage est de conserver le même additif en cas de ravitaillement en super ou en SP + additif. 

L’objectif était de tester sur 24 heures non stop, cet additif dans nos moteurs et d’en vérifier son efficacité ou les conséquences en comparant certaines données propres au pétrolier français, avant et après un démontage.

C’est donc en levé de rideau du Grand Prix de l’Age d’Or que les participants à ce test furent convoqués par ELF-ANTAR les 18 et 19 juin, au pied de la Tour de contrôle du célèbre autodrome.

Pour donner plus d’éclat et d’impact médiatique à cet évènement, des « têtes d’affiche » devaient servir de locomotives à la promotion de ce produit.

C’est ainsi que J-P Beltoise, Maurice Trintignant, Jean Ragnotti et Henri Pescarolo, tout juste descendu de sa barquette des 24 H du Mans, étaient la proie des photographes.

Côté voitures, la Panhard CD d’Etienne De Valance (n°105) et qui n’est autre que la sœur de la voiture victorieuse à l’indice des 24h du Mans 1962 (n°103), faisait figure de Petit Poucet au milieu d’une Delahaye, Hotchkiss et Viva Grand Sport Renault.

Le but du jeu était de tourner pendant 24 heures en utilisant de l’essence sans plomb additivée par le « Millésim ».

Quelques jours auparavant les moteurs avaient été démontés et contrôlés par la Société pétrolière pour avoir en fin de test, une base de comparaison.

En ce qui concerne le CD, Etienne De Valance, avait constituait son équipe de pilotes : Trintignant en serait le porte-drapeau avec Etienne lui-même, puis Michel Dumiot, journaliste à la LVA, Charly Rampal (votre serviteur) et Jean Favarel.

La voiture, auparavant reconditionnée par Claude Piquet, avait besoin d’une sérieuse révision pour une représentation aussi médiatisée.

C’est donc Kiki Lumbroso, un des meilleurs spécialistes parisiens de la mécanique Panhard, qui se chargera de ce travail.

Bien lui en pris, car il y avait tout à refaire, la boite de vitesses mis à part (celle d’origine).

 Circuit électrique HS, freins à revoir, carburateurs à reconditionner et surtout un moteur affreusement bidouillé et dans un état lamentable !

En 15 jours, au prix d’un travail colossal, ne comptant pas ses heures, Kiki rétablit la situation, mettant le dernier boulon, 4 heures avant mon arrivée pour prendre la voiture chez lui avec un plateau.

Si côté voiture on avait évité le pire, côté pilote ce ne faut guère brillant.

Maurice Trintignant affaibli et amaigri par une montée de diabète, ne conduira qu’une heure et demie, au prix d’un effort terrible, avant de regagner le soir son domicile gardois.

Jean Favarel était à l’aube d’une grave infection qui le verra partir avec les pompiers d’Arpajon pour un séjour à l’hôpital d’un mois !

Comptez vous : il ne restait plus que 3 survivants qui avaient des ressources et affrontèrent l’épreuve sans sourciller.

Dirigé de main de maître par Etienne De Valance, comme aux plus beaux jours de l’équipe Panhard qu’il mena à la victoire, la formation avait belle allure, secondé mécaniquement par un Lumbrosso des grands jours.

Le tour par tour était assuré essentiellement par la charmante compagne de Michel Dumiot et mes fidèles Dantan et Roussel.

L’intendance était assurée par Yolande Lumbrosso, passée « grand-chef » en la matière, validée par les séjours répétés et intenses des Rétromobiles.

Après un cocktail et un repas offert par ELF, le départ fut donné le mercredi à midi.

Ce sont bien entendu les VIP qui prirent le volant pour une heure et qu’on ne reverra plus (sauf le très sympathique Ragnotti qui restera jusqu’à l’arrivée) laissant aux besogneux les heures ingrates de la nuit.

A la surprise générale, la boucle à parcourir se résumait à l’anneau de vitesse de Monthléry, comme aux grandes heures des records au début des années cinquante.

Peut-être pas amusant au niveau du pilotage, mais émotionnellement sans pareil, surtout la nuit et toujours à  fond où l’on a constamment devant les yeux, un mur de béton !

La voiture CD n’étant pas du tout rodée, c’est par tranche de 500 tours que nous lancions sur la piste.

Les premières heures : 4.500 tours maximum. Puis 5.000 tours, puis 5.500 et enfin 6.000 tours.

Tandis que la première heure allait faire ses premières victimes, éliminant 3 voitures, sauf la Renault qui repartira au bout d’un long arrêt, la vaillante CD impressionna l’assemblée par sa rapidité et la parfaite synchronisation de son équipe.

Les relais se passaient merveilleusement bien, juste pour mettre de l’essence et de l’huile.

Une seule alerte pour Dumiot : un accélérateur bloqué qui fit craindre le pire, sans risque cependant sur un anneau de vitesse.

Mais Kiki veillait et la réparation ne durera que le temps de l’écrire.

La nuit était magique et nous pouvions vers 22 heures commencer à taquiner les 6.000 tours.

La fraîcheur climatique, la bonne prise en main de la voiture, ses formidables qualités routières (rien à voir avec le CD de série !) permettait à Kiki à nous autoriser ces tours moteurs que nous réclamions.

Ce feu vert fut le bien venu, car à ce régime, la vitesse atteignait les vrais 160.

La CD du Mans surfait sur les terribles dalles en béton, totalement inconfortables aux allures plus basses dont la sensation nous fit croire un moment que nos roues étaient carrées !

Nos relais de nuit étaient prévus pour 2 heures, cela nous laissait le temps d’apprécier la voiture, mais il ne fallait pas se déconcentrer, car devant c’était le trou noir.

Heureusement que de temps en temps quelques bandes blanches surgissaient du passé pour nous indiquer la bonne trajectoire.

Côté pilotage, pas de problème : il fallait laisser faire la voiture qui se plaçait à la bonne hauteur, surtout pas la contredire !

La difficulté venait de la fatigue et de la monotonie du roulage.

Tout semblait baigner, des voitures suppléantes avaient été cherchées en hâte pour sauver l’épreuve.

Après mon dernier relais qui dura de 22 à 24 heures, Etienne De Valance rentrait dans le gros de la nuit, quand tout à coup un bruit terrible de raclement côté moteur stoppa son élan.

Kiki diagnostiqua rapidement la cause : roulement de palier arrière endommagé avec conséquence pour le moteur !

Ce fut la consternation. La petite équipe plia ses gaules et alla se coucher vers 2h du matin.

Le lendemain, la bête blessée tentera bien de se mêler à la photo d’arrivée, mais elle fut snobée par les 3 arrogantes grosses cylindrées qui avaient fini par avoir raison de la petite chèvre de M. Seguin.

Un semblant de fête ne calmera pas notre tristesse, même si Kiki essayait de plaisanter en démontant le moteur avec Roussel et moi-même pour en remettre les soupapes aux techniciens de chez ELF : car 13 heures de courses à haut régime, c’est quand même probant !

Ce fut néanmoins un merveilleux moment de bonheur au volant d’une voiture mythique et sur un anneau plus guère utilisé aujourd’hui, et je mesurai la chance que j’avais eu de tutoyer ces grands pilotes du moemnt.

Charly   RAMPAL