LA PANHARD X19 : 10CV DE 1913 / 1921
Pionnier de l’automobile, et leader des constructeurs français jusqu’en 1905, Panhard & Levassor s’est ensuite fait distancer par Peugeot et Renault.
En 1912, avec une production de 1.959 voitures, la marque n’est plus qu’en sixième position, car Darracq, Berliet et de Dion-Bouton l’ont également dépassée.
Elle dispose pourtant d’une gamme étendue, mais ses tarifs plutôt costauds face à la concurrente trahissent déjà le souci du Conseil d’administration de la situer un bon cran au-dessus des autres.
A l’époque pourtant, l’automobile est loin d’être à la portée de toutes les bourses comme aujourd’hui…
Avecla 10 CV (type X19) présentée à l’occasion du Salon de Paris 1912, le constructeur de l’avenue d’Ivry persiste et signe.
En 1912, le catalogue des modèles disponibles est très varié : de la 8 CV 2 cylindres aux 28 et 30 CV six cylindres, le client a le choix entre une quinzaine de châssis, certains à transmission par chaînes, d’autres à transmission par cardan ; les moteurs à deux, quatre et six cylindres, séparés, accolés ou monoblocs, sont généralement à soupapes, mais on trouve aussi des Sans Soupapes depuis 1911: aux quatre cylindres 20 CV des débuts sont venus s’ajouter dès 1912 un quatre cylindres de 15 CV et un six cylindres de 30 CV.
C’est que l’automobile progresse rapidement à cette époque; régulièrement, une technique plus élaborée, plus fiable ou plus performante chasse l’autre.
La transmission par chaînes s’efface peu à peu devant le système par cardan; de même, les moteurs à cylindres séparés sont complètement supplantés par ceux à cylindres accolés ou par les moteurs dits « monoblocs*.
Et surtout, le moteur Sans Soupapes système Knight acquiert ses lettres de noblesse.
Notons encore que les mécanismes d’embrayage fonctionnent dans l’huile, qu’il s’agisse du dispositif à rondelles métalliques, ou celui à disque unique en fibre, inauguré sur la 15 CV type X17 lancée au Salon 1911, maintenant préférés au traditionnel cône garni de cuir, qui manquait de douceur et de progressivité.
PANHARD AU SALON DE PARIS 1912
A l’occasion du Salon de Paris, qui se déroule au Grand Palais au mois de décembre, le stand Panhard & Levassor accueille une nouvelle 10 CV appelée à faire date dans l’histoire de la marque.
Elle remplace en effet en bas de gamme la 8 CV à deux cylindres, et, à ce titre, c’est elle qui sera amenée à faire les plus gros chiffres de production.
La gamme s’est d’ailleurs notablement simplifiée depuis le dernier salon, passant de quatorze à sept modèles, dont trois sont à moteur Sans Soupapes.
Outre la nouvelle 10 CV type X19, on trouve en effet trois modèles à moteur quatre cylindres : la 12 CV (X20) à soupapes et les 15 CV (X17) et 20 CV (X14) Sans Soupapes, et trois six cylindres : les 24 CV (X13) et 28 CV (Y) à soupapes et la grosse 30 CV Sans Soupapes (X18). Les prix ?échelonnent, en châssis nu, de 7.500 francs pour la 10 CV à 19.000 francs pour la 30 CV.
Par comparaison, chez Peugeot, qui présente à ce même Salon sa « Bébé » 6 CV étudiée par Ettore Bugatti, les prix vont de 4.000 francs pour la 6 CV à 14.000 francs pour la 22 CV ; la 10 CV coûte un peu plus cher que la nouvelle Panhard : 7.800 francs.
Chez Renault, la gamme va de 9 CV (4.200 francs) à 40 CV (21.000 francs). La II CV vaut 6.800 francs en châssis nu.
A noter qu’à partir du ter janvier 1913, le calcul de la puissance fiscale se fait suivant une nouvelle méthode en fonction du nombre de cylindres, de la cylindrée et du régime.
Cette disposition oblige plusieurs constructeurs à recalculer la puissance de leurs modèles, ce que la marque doyenne avait fait dès la présentation de la gamme 1912.
UNE MECANIQUE MODERNE
Si la 10 CV n’adopte pas encore la technique du moteur Sans Soupapes, elle n’en constitue pas moins un modèle évolué qui apporte son lot de nouveautés au sein de la gamme.
Le moteur est un nouveau quatre cylindres dit « monobloc », c’est-à-dire que ses cylindres sont fondus en un seul bloc, ce qui constitue un progrès technique sur les moteurs à cylindres séparés ou à cylindres jumelés, qui exigent un réseau de tuyauteries plus élaboré, mais aussi esthétiques puisqu’il y gagne une grande netteté de lignes.
La cylindrée est de 2.150 cm3 (70 x 140 mm).
La marque doyenne insiste sur le fait que le vilebrequin est soutenu par trois paliers, alors que la plupart des moteurs monoblocs n’en ont que deux.
Cet avantage lui assure une robustesse et une longévité accrues. Les soupapes d’aspiration et d’échappement sont toutes placées du même côté ; elles sont commandées par un arbre à cames unique, entraîné par une chaîne silencieuse.
Le refroidissement est assuré par une circulation d’eau obtenue par une pompe centrifuge, un radiateur largement calculé et un ventilateur.
Le carburateur est à fonctionnement automatique, c’est-à-dire qu’il permet un dosage rigoureux du mélange air/essence pour la marche à toutes les allures, garantissant une carburation constante, suivant le procédé imaginé par le commandant Krebs (qui dirige le bureau d’études depuis la disparition d’Emile Levassor), apparu sur les modèles de la gamme 1903, puis adopté par la concurrence.
L’allumage est confié à une magnéto. Le graissage se fait par barbotage
Le moteur, l’embrayage et la boîte de vitesses sont réunis dans un même carter, facilement démontable, et forment un bloc suspendu au châssis par trois points : les deux pattes d’attache du moteur à l’avant, une rotule portée par la boîte de vitesses à l’arrière, système qui a l’avantage de permettre un alignement parfait des lignes d’arbre.
La boîte est à quatre vitesses, la quatrième formant prise directe.
L’embrayage à disque de fibre fonctionne dans un bain d’huilé, procurant douceur, progressivité et silence.
La transmission se fait par un flector, soit un joint universel élastique en toile et caoutchouc.
Le pont arrière est oscillant.
Les deux freins, qui sont bien sûr commandés par câbles, agissent sur les roues amère et se composent de deux jeux de mâchoires agissant à l’intérieur de tambours de grand diamètre et actionnés, l’un par la pédale, l’autre par un levier à main.
Deux palonniers permettent d’équilibrer les efforts exercés sur chaque roue.
La direction se fait par vis et écrou.
CHASSIS ET CARROSSERIE
Le châssis en acier embouti est rétréci à l’avant et permet d’installer la caisse sur un emplacement de 2,245 m (2,35 à partir de 1914) sur 0,85 m.
Il repose sur les essieux par quatre ressorts droits.
L’empattement est de 2,792 m, et la voie de 1,385 m.
A titre de comparaison, pour la 30 CV, ces valeurs sont respectivement de 3,675 m et de 1,30 m. Sans pneus ce châssis pèse 700 kg, contre 1.100 kg pour celui de la 30 CV.
Côté carrosserie, la 10 CV est la première à adopter la calandre en coupe-vent qui va caractériser bientôt tous les modèles de la marque.
La voiture est naturellement vendue en châssis nu, mais l’usine propose aussi des carrosseries « de série » ; ces carrosseries ne sont pas fabriquées ni montées dans les ateliers de la marque, mais chez des carrossiers indépendants qui travaillent avec Panhard.
Le modèle de loin le plus répandu est la torpédo, dont pas moins de 1.853 exemplaires sont fabriqués jusqu’en 1917, par les carrossiers parisiens Alin-Liautard (Courbevoie), Currus (Paris 13 e) et Rhéda (Ivry-port).
De son côté, la carrosserie Boulogne, à Levallois, fournit 34 coupés.
Les voitures à 2 baquets sont construites par Alin-Liautard (146 exemplaires) ou (en 1913 seulement), par Currus (10 exemplaires).
Rhéda, enfin, propose des conduites intérieures à 2 places (12 exemplaires), 3 places (3 exemplaires) ou 4 places (34 exemplaires).
Certains préféreront toujours faire habiller leur châssis avec une carrosserie hors série : Driguet (qui travaille d’ailleurs beaucoup avec Panhard), Binder, Belvalette ou la Carrosserie Industrielle ont ainsi carrossé quelques X19.
Enfin, la 10 CV peut être carrossée en utilitaire : dans ce cas, le châssis est livré soit avec une direction normale, soit avec une direction redressée.
SA CARRIERE CIVILE JUSQU’EN 1917
La 10 CV type X19 n° de série 35.006 est homologuée par le service des Mines le 16 novembre 1912 et déclarée bonne pour le service. Présentée le mois suivant à l’occasion du Salon de l’Automobile, elle entre en production à partir du mois de janvier 1913 et va remporter un appréciable succès avec plus de 1.100 exemplaires fabriqués cette année-là, qui sera la meilleure de sa carrière
En 1914, malgré la déclaration de guerre, ce sont encore 888 voitures qui sortent des ateliers de l’avenue d’Im, dont 118 utilitaires.
LE CATALOGUE 1915
La production chute évidemment nettement en 1915 (279 exemplaires), pour tomber sous la centaine en 1916 et en 1917.
Et encore la plupart des voitures qui sortent pendant cette période sont elles destinées à l’année.
Bien naturellement, la 10 CV n’est pas vendue qu’en France, et, si elle n’est pas proposée aux Etats-Unis, sans doute en raison d’une puissance jugée trop faible, elle s’exporte largement en Grande-Bretagne, un marché traditionnellement très important pour la marque jusqu’en 1914.
Vient ensuite l’Espagne, puis l’Algérie.
La Belgique, le Maroc, le Portugal et la Suisse restent de bons clients, malgré des débouchés plus limités. L’Argentine aussi, mais proportionnellement moins que pour les modèles plus puissants.
Quelques voitures partent vers des destinations exotiques, les pays de l’est, la Scandinavie, l’Autriche ou les Pays-Bas.
Au total, l’exportation représente environ 20 % de la production, ce qui est une proportion moindre que celle que l’on constate sur les modèles plus puissants, qui dépassent généralement 30 %, voire 40 %.
LA 10CV X19 S’EN VA EN GUERRE
Dès 1914, l’armée française étoffe substantiellement son parc automobile, et bientôt, toute l’industrie automobile devra se plier à l’effort de guerre. C’est évidemment aussi le cas de la marque doyenne.
Dans le cas plus particulier de la X19, les livraisons porteront sur 109 voitures particulières (103 torpédos, 3 conduites intérieures, 2 voitures « deux baquets » et une voiture de carrosserie indéterminée), 65 châssis, dont certains seront carrossés en ambulances, 202 camionnettes (dont au moins 102 sont des fourgons postaux), un camion, et enfin, 34 groupes moteurs, dont 21 exemplaires munis d’un treuil aviation ont été livrés à la Division de l’Aéronautique, à Châlais-Meudon, en janvier 1916.
Sur cette photo, bien que badgées X25 à moteur 12CV à soupapes, ces ambulances sont identique au X19 livrées à l’armée : seul l’empattement est différent = 2,792 m contre 3,275 m pour ces X25.
Au total, ce sont donc 376 véhicules du type X19 qui ont effectué leur « service militaire .
Ce ne sont évidemment pas les seuls modèles de la marque à avoir été ainsi sollicités, loin s’en faut…
LE RETOUR AU CIVIL
Après une période de réorganisation des usines au cours de laquelle la production des voitures de tourisme est entièrement suspendue, les fabrications reprennent en février 1919, et c’est à la X19 que revient l’honneur d’être la première à être à nouveau proposée à la clientèle, dès le mois de mars suivant.
Si les caractéristiques mécaniques sont inchangées, on constate que l’empattement s’est allongé de 10 centimètres (2,89 m au lieu de 2,792 m).
L’exportation représente 18,85 % des ventes des véhicules de tourisme (dont 5,8 % pour la seule Grande-Bretagne). 2.328 voitures sont restées en France.
La fabrication de la 10 CV type X19 prend fin en mai 1921, bien qu’un exemplaire semble encore avoir été assemblé le 13 septembre suivant. La production s’établit pour cette période à 780 voitures de tourisme en plus des 154 utilitaires déjà cités.
A partir du Salon de Paris d’octobre 1921 c’est une toute nouvelle 10 CV (type X37) dotée d’un petit Sans Soupapes de 1.190 cm3, c’est-à-dire d’une cylindrée presque moitié moindre, qui va constituer le modèle d’attaque de la gamme.
Il n’empêche que la X19 a parfaitement assuré sa mission malgré la difficile période de la guerre, en se vendant en quantités plus qu’honorables.
Elle reste d’ailleurs aujourd’hui la voiture de la marque la plus répandue pour la période d’avant 1940.
Charly RAMPAL (Archives Panhard pour les photos et le catalogue de 1915 – Documents technique d’époque – Informations complémentaires de Bernard Vermeylen)