PANHARD I.C. 16 : COTE AMBIANCE
Dans les années soixante, de nombreux globe-trotters, âgés de 16 à 30 ans, et parfois plus, courent le monde à la recherche d’aventures. Beaucoup d’entre eux, il faut le reconnaître, ne sont que des « aventuriers en herbe ». Heureusement, d’autres plus sérieux rétablissent l’honneur de la corporation, en réalisant avec des moyens souvent modestes des performances qui nous laissent rêveurs, dans ce milieu du XXème siècle où le GPS n’était pas encore développé.
Ce qui est intéressant, en plus d’un but sportif, c’est leur démarche plus ou moins scientifique. Les membres de la caravane Panhard I.C. 16 doivent incontestablement être classés parmi ces « honnêtes » que partout dans le monde on devrait aider.
Pour la première fois, en effet, six jeunes gens réunis par le canal d’un grand concours organisé par la station de radio « Europe 1 » ont formé un groupe homogène, mû par le même souci de réussir une enquête difficile : « l’étude de la jeunesse asiatique ».
Jeune, élancé et portant la barbe des pionniers, l’ingénieur Eric Gillet et son épouse diplômée de l’Ecole Supérieure de Psychologie de Paris, furent incontestablement les promoteurs du voyage.
Deux ans furent nécessaires pour réunir : équipiers, matériel, documentation et supporters indispensables à une telle expédition.
Deux jeunes filles : Dominique Spriet (étudiante en droit) et Josée de la Motte Saint-Pierre (étudiante à l’Ecole du Louvres) et deux jeunes gens : André Pavolini (caméraman du Centre d’étude de la RTF) et Jean Bertolino (diplômé de l’Ecole Supérieure du Journalisme) formèrent avec les Gillet l’équipe initiale de ce grand voyage.
Aidés par de grosses firmes française, dont la firme Panhard et parrainés par de hautes personnalités dont la longue liste serait fastidieuse, l’expédition caravane IC 16 se devait d’être une réussite.
Partis de Paris début septembre 1961, M. Gillet et son équipe ont parcouru environ 60.000 km, à travers une douzaine de pays, pour étudier quelles étaient à cette époque les occupations et les aspirations de la jeunesse asiatique dans son contexte politique et économique. Sujet d’autant plus intéressant que ces jeunes formeront demain l’élément dirigeant de plus d’un milliard d’hommes, dont l’influence sur l’Occident sera prépondérante.
BILAN DU VOYAGE
M. Gillet et son équipe ne se sont pas contentés, dans chacun des pays traversés, de multiplier les contacts avec la jeunesse : ils ont rapporté de leur voyage, 5.000 questionnaires et interviews de jeunes , 13 films court-métrages (noir et couleur) et plusieurs heures d’enregistrements inédits de musique folklorique, d’impressions « sur le vif » et interviews.
Nos jeunes enquêteurs n’ont pas pu suivre à la lettre l’itinéraire qu’ils s’étaient tracés au départ et qui devaient les amener en Inde et en Chine à travers 16 pays d’où le nom « IC 16 ».
Les conditions diplomatiques et physiques les ont, en effet, obligé à modifier légèrement leur premier tracé.
Ils n’en sont pas moins passés successivement à travers l’Italie, la Yougoslavie et la Turquie, qui fut leur premier contact avec la jeunesse asiatique. L’Iran, étape suivante, fut aussi l’étape des abandons. C’est ainsi qu’en arrivant au Pakistan ils n’étaient plus que quatre.
Puis ce fut le Cachemire et le nord de l’Inde où comme ils disent eux-mêmes, ils retrouvèrent les traces d’un passé prestigieux dans un présent qui les déroutait.
Ils furent tour à tour émerveillés et déçus : cherchant le merveilleux, ils ne trouvèrent bien souvent que des problèmes économiques, sociaux ou religieux.
En Birmanie, ils firent enfin connaissance avec le sourire et le savoir bien vivre de la population.
Ils traversèrent la Taïlande, la Malaisie, qui fut marqué par un nouvel abandon, le Cambodge, le sud du Laos, à nouveau la Taïlande, la Malaise pour rejoindre par bateau l’Inde.
A Madras, à Bombay, puis à Delhi, comme partout ailleurs, ils ont visité écoles, universités, usines, ateliers, fermes, groupements de jeunesse et villages toujours la vie locale, la vie du jeune.
En ce mois de juin 1962, ils ne sont plus que trois : Gillet et son épouse et le caméraman André Pavolini que nous retrouverons au début de l’année 2004 à l’occasion d’un Rétromobile qui était consacré aux expéditions et qui fera l’objet d’un autre article centré sur les voitures Panhard qui ont participées à cette expédition.
Ils sont fatigués, éreintés de ce voyage de 60.000 km à travers l’Asie et dans des conditions de roulage pas toujours faciles. Mais, ils sont surtout fier d’avoir réussi cette impossible enquête et aussi de ramener saines et sauves leurs trois pauvres Panhard !
« Parmi les gens que nous avons rencontrés, les plus accueillants sont certainement les Iraniens, devaient-ils nous dire en conclusion ».
Puis, ils seront pris par le tourbillon médiatique et officiel qui a débuté le 7 juin 1962 par la réception à l’ambassade française à Téhéran. Puis ce sera une conférence de Presse le samedi 16 juin à l’institut Franco-Iranien.
Enfin, de retour à Paris, de nombreuses conférences se succèderont et les époux Gillet devaient écrire deux livres.
DERRIERE LE MIROIR
André Pavolini nous racontera l’autre côté du miroir. Pour lui, l’expédition se résume en une année passé à réparer les casses sur les Panhard et leurs disputes incessantes qui eurent raison de leur amitié. Surtout qu’ils ne se connaissaient pas beaucoup pour partager une telle galère !
Côté voiture, le départ était prévu au volant de 2cv fourgonnette. Mais Panhard qui avait entendu parler du projet et voulant se faire de la pub pour la PL17 dans un autre domaine que la compétition (c’est l’année de la victoire au rallye de Monte-Carlo), souhaita leur confier 3 Panhard PL 17 type Luxe.
Le problème, c’est qu’ils sont partis alors que les voitures venaient à peine d’être livrées, sans prendre le temps d’une préparation basique, comme rehausser la caisse, ou poser un protège carter pour que nos pauvres Panhard puissent affronter la piste !
Pour clore le tout, le convoi n’a jamais obtenu les autorisations de traverser la Chine. Un aller / retour Paris – Saîgon via les pays d’Asie du Sud-Est sera le menu infernal de nos aventuriers.
Les coffres sont bondés de boites de petits pois Darmoy et de biscuits Gerblé, autres sponsors de l’expédition. Les bas de caisse trainent à terre. Jusqu’à Belgrade, ils ont pu rouler comme des dingues, car les routes étaient impeccables. L’enfer pour eux et leurs voitures a commencé en Turquie (je vous raconterai dans un autre article, les principaux incidents).
La vie communautaire devint difficile. Aux disputes succédèrent les peurs et les maladies. Dysanterie pour Eric, jaunisse pour André… Jean et Josepha quittent la caravane au Pakistan. Annick s’éclipse à Singapour.
L’enquête sociologique ne verra jamais le jour.
Un ouvrage de complaisance sera édité, quelques conférences auront lieu, des extraits de films seront diffusés par l’ORTF dans le cadre des programmes jeunesse…et c’est tout.
La caravane IC 16 a sombré dans l’oubli jusqu’en Février 2004, un jour à Rétromobile.
Mais ceci sera une autre histoire…
(l’article suivant sera consacré à la galère des voitures)
Charly RAMPAL sur des informations et photos d’André PAVOLINI