JEAN VINATIER :

Est-on vraiment si vieux que cela à 37 ans ? Le passé compte donc pour du beurre ? On peut se défoncer sa vie durant pour rien ? Faut-il croire encore au visage des gens, à leurs mots ?
Toutes ces questions Jean Vinatier se les ait posé le jour où il reçut une lettre de l’Administration d’Alpine : « A compté du tant… « viré !

Alpine qu’il considère un peu comme sa famille, Alpine l’a viré, avec papier à entête. Un jour entre le dessert et le café, un responsable lui avait laissé entendre vaguement, en se levant, sans le regarder en face, que peut-être… Mais ce n’était qu’une hypothèse !

Et puis soudain, cette vérité nue, ce couperet glacial, cette lettre sans âme, cet enfant dans le dos.

Car Jean aime les courses, son père n’était pas contre, il avait lui-même couru sur des Rosengard, avant d’être mécanicien de l’écurie France.

Aux murs du petit garage familial, au Kremlin Bicêtre, aux portes Sud de Paris, il y avait des photos de Talbot et l’on parlait souvent de Chiron et de Giraud à table.

LA PREMIERE COURSE

Avant ses 20 ans, Jean a déjà un solide bagage technique : des brevets, des stages à l’UTAC et chez Bugatti, qu’à complété la pratique au garage paternel.
D’ailleurs en attendant l’armée, il aide son père. Dans un coin du garage, il se bricole une 2cv. Allégée, gonflée, le « 2 pattes » fait du 125 chrono ! Jean s’engage au bol d’or. C’est sa première course : 24h au volant à Monthléry, 68 de moyenne, une victoire de catégorie.

Avant l’armée, il faut en profiter : on ne sait jamais, ça barde en Indochine ! Jean connaît bien la 2cv. Le voilà embarqué dans un merveilleux raid : 6 mois, 40.000 km sur les pistes africaines… de quoi alimenter 30 mois de rêve, la durée du service militaire.

NAVIGATEUR

Coup de chance, il est affecté à Paris. Une planque. Surtout l’occasion de rester en contact avec les voitures.
Profitant des permissions, il fait des rallyes comme coéquipier : ça ne coûte rien et on peut participer quand même.
Liège-Rome-Liège sur la Salmson d’Escoffier, la coupe des Alpes sur l’Aston-Martin de Lemerle, La lorraine sur l’Alfa de Consten, le Tour de Corse avec Oreiller.

Maintenant qu’il a vu comment pilotent ces Messieurs, il brûle de montrer ce qu’il sait faire. Mais il n’a pas de voiture. Alors, il guette les occasions, le voiture qu’on lui prête par-ci par la : une Aronde à Lyon-Charbonnières (19ème), un tour de Belgique sur Renault 1093, les Mille Miles sur le coach d’un client du garage. S’il casse les voitures, il doit les réparer, mais qu’importe…

Le service finit enfin. C’est durant cette période qu’il rencontre mon ami et coéquipier Gérard Dantan, dit Gégé. Cette rencontre qui se traduira en amitiés sera d’une grande importance pour Gégé et moi.

Jeannot a 24 ans en 1957.

Jean est un garçon calme, fin mécanicien et déjà bon pilote. A part l’automobile, seule la chasse le passionne.
Fangio a acquis son dernier titre mondial avant de se retirer. Stirling Moss est considéré comme le meilleur pilote du monde, mais on parle pas trop d’automobile dans les journaux où l’on a encore en mémoire la catastrophe du Mans.

En France, de jeunes pilotes, Consten, Schlesser, viennent inquiéter les valeurs établies. Tout ce monde est gai et ne se prend guère au sérieux.
En semaine Jean travaille au garage. On parle de sa performance aux Mille Miles sur un coach Alpine, il a fini 5ème de sa catégorie (sur 90) à 111 de moyenne…

PILOTE PANHARD

Après chaque Rallye, il se demande quel sera le suivant et où il trouvera une voiture.
Mais une rencontre va donner un sacré coup de pouce à sa vocation de coureur : celle de Masson !

Masson est aisé. Il possède un DB HBR5 dont il décide de partager le volant avec le jeune Vinatier.
Circuits, Rallies, les deux hommes ont un programme éclectique. Jean fait ses premières 24h du Mans en 1958, puis en 1959 avec Masson sur un coupé DB portant le n°49 et abandonnera à une heure de l’arrivé sur panne d’embrayage.

Et en 1960 où il partage le volant avec Vidilles et abandonnera à la 4ème heure sur panne moteur :

A Liège-Sofia, ils battent Monraise, Michy et Condriller .

En 1959, il fait quelques rallies au volant d’une NSU Prinz III avec Pichon (voir ci-dessous, la photo qu’il m’a dédicacée connaissant mon amour pour la marque Allemande)

Bientôt, deux lettres parviennent au petit garage du Kremlin. L’une, propose à Jean des Dauphine pour quelques rallies. L’autre le volant des Panhard de l’écurie Monopole. Jean a peine à y croire.

A l’époque, les courses ne lui coutaient rien, mais ne lui rapportait rien non plus.
Aussi, en semaine, il continuait à travailler avec son père. D’ailleurs, à cette époque, tous les pilotes avaient un travail en dehors de la course. Gréder était pompiste, Féret vendait des cravates et Jean était garagiste. On courait beaucoup moins que maintenant : une course par mois en moyenne.

Il court en circuit sur une Panhard Monopole et en rallye sur une simple Dauphine Gordini.
Si les Monopole n’ont qu’un petit 750 cc, elles sont très légères et bien profilées et atteignent le 190 km/h.
Au volant des Monopole, Jean Gagne à Clermont et s’octroie le Trophée Total.

Malheureusement, peu après, au Tour de France, la Panhard rend l’âme et l’écurie Monopole renonce à la course.
DB lui propose un volant. Les DB sont semblables aux Monopole, mais plus maniables. Il fait certaines courses sur les DB officielles, d’autres à son compte sur la DB personnelle de Masson. C’est cette voiture que l’ami Gégé rachètera lorsqu’elle sera mise en vente par le garage Vinatier. Un garage que Gégé connait bien pour y fourrer ses guêtres très souvent et venir saluer son ami Jean.
C’est donc sur cette DB HBR historique que nous courons au Mans Classic, entre autres et qui m’a permis de gagner à Angoulême en 2010.

Cette voiture a toute histoire aux mains de Gégé : elle lui servait de véhicule de tous les jours. Travaillant de nuit dans la Police parisienne et habitant à St Rémy les Chevreuses dans les Yvelines, Gégé rentrait tous les jours au petit matin. Un jour, un cheval traversa sa route du côté du petit Clamart. A cette époque bénite, la vitesse n’était pas limitée et Gégé percuta le cheval à une vitesse que la morale m’oblige à taire. La pauvre bête ne s’en remit pas et le coach fut sérieusement accidenté dans sa partie avant et son châssis.
Ramené au garage Vinatier, Jean conseilla à son ami Dantan de ne pas la ferrailler, ni de la vendre. Gégé écouta ses conseils et elle restera dans le garage sous bâche, jusqu’au jour nous décidâmes de la reprendre en main à l’aube des courses de V.E.C. C’est ainsi que grâce à Jean, nous avons le plaisir de piloter cette voiture qui est scellées dans notre cœur.

Mais revenons à Jean après cette parenthèse sentimentale.
Jean remporte ainsi les 1.000 km u Nurburgring, puis une course à Rouen devant un jeune débutant anglais : Graham Hill (mon idole de toujours).

Pendant l’hiver au garage, Jean s’intéresse aux astuces mécaniques d’un sorcier italien encore inconnu : Carlo Abarth. Les deux hommes se rencontrent et Abarth décide de confier ses voitures à Vinatier.

En 1960, Jean est de nouveau présent aux 6h internationales d’Auvergne avec le splendide tank DB :

En juin 1991 , sur le circuit des 24h du Mans, Panhard fête son centenaire : un lever de rideau grandiose, inoubliable.

Jean est là, invité par ceux qui se souviennent de la contribution que ce garçon sympathique a apportée à notre marque, même si ce n’est qu’un petit tour, car Jean est aujourd’hui associé à l’image de Renault et d’Alpine.

Quelques flocons de neige sont tombés dans ses cheveux, mais toujours le même regard.
Jean est calme, il a fini par retrouver sa sérénité.

Aujourd’hui Jean Vinatier fait partie du bureau de la F.F.S.A.. Derrière la façade cossue du 132 rue Lonchamp dans le 16ème, il traire des problèmes techniques.

Mais c’est toujours un plaisir de le retrouver, comme tous les ans à Rétromobile. Sa gentillesse n’a d’égal que son talent.

En guise de conclusion et d’hommage, une compilation sous forme de vidéo de 3 moments de la vie sportive de Jean.

Charly RAMPAL