Au milieu des années cinquante, un petit bout de femme née en Touraine a vécu une vie intense vouée au pilotage, entre son enfance et une vie professionnelle consacrée à la musique.

Elle va participer à un grand nombre d’épreuves régionales  mais le point culminant de sa carrière sera pour les dernières les Mille Miles, en 1957.

Mais si je m’attache à vous raconter ses épreuves sportives, c’est que Panhard sera sa monture.

A l’aube des années 50, lorsqu’une agréable jeune fille animée de la joie d’agir rêve de prouesses automobiles, son premier pas l’entraine presque naturellement vers les concours d’élégance, domaine très à la mode à cette époque.

Plus tard, si le désir de piloter devient irrésistible, les Automobile-clubs régionaux sont là pour accueillir les jeunes talents.

Pour Monique Bouvier, toutes les données d’une pure passion sportive enflammeront son destin le soir ou elle osa pousser la porte d’one salle de réunion de l’Ecurie de Touraine à Tours, sa ville natale.

Monique n’oublie pas le chaleureux accueil des membres de l’Equipe :

« Tout de suite, j’ai commencé les rallyes en copilote de Solange Pic-Paris, et puis j’ai eu envie de piloter moi-même », dit-elle !

Pourtant, rien dans son environnement familial ne la destinait au sport automobile, excepté peut-être son attirance instinctive pour la Peugeot 402 de ses parents.

Enfant, Monique découvre d’abord l’univers musical : elle s’ennuyait à l’école et demanda à ses parents de l’inscrire au conservatoire de Tours.

Elle a tout juste 12 ans : « Avant de commencer les rallyes à 19 ans, j’ai suivi des études de musique et j’ai travaillé au conservatoire de Tours.

La musique a rempli toute ma vie.

Mes parents tenaient à Tours un magasin de musique et de disques, c’est là que j’ai commencé ma vie professionnelle.

Mon rêve était de devenir professeur.

J’ai eu la chance d’avoir pour professeur ma marraine, Geneviève Dehelly.

Concertiste de premier plan, elle eut sur moi une très grande influence.

Je travaillais sans jamais me dire que je devais le faire, tellement le bonheur de musique m’enchantait.

Elle m’apprit aussi toutes les beauté de la vie. »

LE PIANO ET LES AUTOS

Sans encore le savoir, en même temps que sa vocation de pianiste les premiers signes « avant-coureurs » d’une nouvelle fureur de vivre se manifestaient aussi.

« Très jeune, j’ai tout de suite compris comment conduire une voiture.

Je n’arrêtais pas de dire à ma mère « Passe en seconde », ou « Passe en première », et ainsi de suite, car je sentais la manière de conduire.

Un jour que nous étions à La Baule, je devais avoir 16 ans, maman en avait tellement par-dessus la tète qu’elle me dis : « Ecoute, je ne peux plus te supporter. Prends le volant et tu conduis ! ».

C’était une vieille 402 ; au premier départ, je cale et puis âpres, tout s’est bien passé.

Comme à ce moment-la, on avait le droit de conduire accompagnée d’une personne ayant son permis, j’ai donc progressé de cette façon en attendant de réussir le mien des mes 18 ans, en octobre 1952. »

Entre la musique et le sport mécanique, « un seul point commun : l’oreille ! J’ai toujours su comprendre les bruits de mon moteur ! » précise Monique Bouvier.

OREILLE MUSICALE

Qualité essentielle à une epoque où les moteurs de compétition ne possédaient pas la fiabilité de ceux d’aujourd’hui.

Apres deux années de rallyes, en copilote de Solange Pic-Paris, Monique enchaine : « J’ai eu envie de piloter moi-même, d’abord dans la région de Touraine au volant de la Peugeot 203 de mes parents,

… puis d’une Dyna Panhard.

J’ai participe aux courses de cote et a de nombreux rallyes avec comme coéquipière Claude Pailler, qui était excellente dans la lecture des cartes.

Entre les petits rallyes, comme je connaissais beaucoup de garagistes de Tours, j’ai aussi commence les concours d’élégance.

J’étais jeune et j’avais un physique que l’on disait agréable.

De cette époque merveilleuse et sympathique, je garde le souvenir de celui de La Baule avec la voiture de « P’tit Louis » Cornet qui était un excellent ami.

Souvenir de grande gaité, de joie, de jeunesse et d’amitié.

Monique n’a que 22 lorsqu’elle décide en 1955 d’inscrire sa 203 a la Coupe Internationale des Dames à Come en Italie, première aventure italienne, très présente dans sa mémoire :

« ll y avait la course de cote de Como Lietro Colle, puis une épreuve autour du lac sur le circuit de Campione ».

Elle se comporta remarquablement bien dans sa catégorie et elle reviendra l’année suivante confirmer la finesse de son pilotage dans ce type d’épreuve « contre la montre » au volant d’une Dyna Panhard.

La saison 56 s’achèvera sur le thème « quand les champions mettent leur voiture au régime », avec le concours international de consommation appelé « Mobilgas Economy Run »

Sur un itinéraire de 2.200 km Monique Bouvier et Louisette Texier démontrèrent la sobriété du V8 Aquilon de leur Simca Versailles.

Elles gagnèrent le concours la moyenne de 9,46 litres aux 100 kms.

AVEC ANNIE SOISBAULT

Pendant ce temps-là, le nom d’une autre future grande dame du sport automobile apparaissait dans les palmarès des rallyes régionaux : celui d’ Annie Soisbault, Championne de France de tennis, une grande jeune fille aux cheveux bruns coupes courts, dévorée par le démon de la vitesse.

Très active, l’Ecurie de Touraine organisait de nombreuses manifestations sportives dans un rayon de deux à trois cents kilomètres, avec les participations de pilotes comme Maurice Michy, Claude Storez, les frères Laurent d’Orléans qui lui apportèrent une notoriété au niveau national.

Rien d’étonnant qu’au soir du Monte-Carlo 1956, le directeur de chez Simca, Guy de Beaumont, proposa a Annie Soisbault de participer au rallye du Perche avec Monique Bouvier.

 « Annie est une personne particulièrement sympathique, intelligente, drôle, et c’était une grande gaité chaque fois que nous nous retrouvions.  »

Ensemble elles remportèrent l’épreuve, suivie d’une seconde place au Rallye des Charente.

Décidées à poursuivre leurs carrières ensemble, les deux jeunes femmes écumèrent la région pendant une saison, et se retrouvèrent en 1957 au niveau international, prêtes à disputer l’une des plus grandes courses mondiales de vitesse sur route a travers l’Italie : les célèbres Mille Milles.

Pour Monique, cette année-la compta beaucoup sur le plan sportif et affectif.

Fidèle depuis ses débuts à la marque Panhard, la plus proche de la conception sportive mise à la disposition du grand public, Monique s’adressa tout naturellement au concessionnaire de Tours pour acheter sa première Dyna.

Ce jour-la, elle fit la connaissance de M. Jean Giraudeau, qui est l’homme de sa vie depuis l’époque de ce grand défi italien.

Jean Giraudeau, en homme enthousiaste amoureux des grands projets, n’hésita pas à se mettre au service de l’équipe de Touraine lancée dans la grande aventure italienne.

Grace à son aide et à leurs résultats, les deux jeunes femmes Monique et Annie (45 ans a elles deux) disposèrent d’une Dyna spécialement préparée pour elles par le concessionnaire Panhard de Tours.-

AU SEUIL DU DANGER !

Dans l’édition du journal « L’Equipe » du 8 mai 1957, Pierre About signe un titre chargé de pressentiment : « A Brescia, l’aventure règne en maitresse absolue mais l’époque héroïque n’est-elle pas révolue ? ».

Pour Monique : « Dans une vie, courir les Mille Milles, c’est vivre un grand amour.

Le départ des Mille Milles, ce n’est pas racontable, ça se vit une fois.

Les grands pilotes peuvent le revivre mais pour moi, c’est une chose qui m’a marqué énormément parce que c’était le même pour les plus grands comme les plus petits.

Les gens applaudissaient, hurlaient sur le bord des routes et mettaient des journaux par terre pour saisir l’empreinte des pneus.

Dans certains virages, la foule s’écartait devant nous au dernier moment, c’était très impressionnant.

Mais l’ambiance sportive était tellement sympathique que déjà avoir participé a ces « Mille Milles » reste un souvenir merveilleux.

Dans les fêtes organisées par les Automobile-clubs italiens, nous avons été accueillis par des princes et reçu comme des princes ! »

L’EQUIPE DB

Dans le journal « L’Equipe » du vendredi 10 mai 1957, l’envoyé spécial à Brescia, Pierre Allanet, décrit ainsi les membres de l’équipe DB :

« Autour du « boss » et de Bruno le chef mécanicien, s’affairaient Gérard Laureau, le puisatier de Paris ; Paul Armagnac, l’huissier de Nogaro ; Jean-Claude Vidilles, le bijoutier de Paris ; Koel, le libraire de Dijon ; Marcel Picart, le garagiste de Lyon ; Henri Perrier, « la gaine Scandale » de Charbonnieres ; Badoche, le pharmacien de Paris ; Gayola, le tailleur de Montpellier ; Justemont, le « champion du pastis » de Bagnoles-sur-Seze ; Gerard Laffargue, le garagiste de Rouen et Parmentier, le notaire de Chauvigny ».

« Une petite tour de Babel des métiers » disait René Bonnet, complétée par « Bambino » et Annie, les « bleues » de la course.

Annie et Monique, appelée « Bambino » par ses amis, étaient aux anges.

« Ne vous en faites pas, je vais vous la « fignoler «votre Panhard », promettait René Bonnet.

Arrêtées par une panne stupide (rupture de l’attache de l’échappement), elles repartirent de plus belle, mais dépassant les consignes du compte-tours, elles cassèrent dans le col de la Futa à 200 km de l’arrivée

SOUVENIRS DE CES MILLE MILES

Pour Jean Giraudeau, la magie des Mille Milles revient à sa mémoire avec beaucoup de nostalgie et d’émotion.

Voici quelques extraits de ses notes personnelles :

« La voiture de Monique Bouvier et Annie Soisbault : 850 cm’ de cylindrée, le fameux moteur « flat-twin » à refroidissement par air, porte au maximum de puissance par les soins d’une équipe technique passionnée.

L’environnement : installée dans un palace des bords du lac de Garde, l’équine de Touraine invitée sur le champ par Deutsch et Bonnet, fut aussitôt adoptée par M. Etienne de Valance, le maitre d’œuvre du service compétition Panhard.

L’ambiance était au zénith, du beau sport, du charme et de la gaité.

Il faut dire que c’était encore l’époque ou des amateurs un peu doués et des professionnels des usines avaient des relations faciles de confiance et d’estime.

Il faut dire que c’était l’époque de la jeunesse du sport automobile qui coïncidait avec notre jeunesse, les succès, la sante, tous les bonheurs.

Et les Mille Milles étaient la plus grande et la plus belle course du Monde Rome-Brescia.

La course Brescia-Rome-Bescia :

Départ en longeant l’Adriatique.

Retour par la montagne.

Route fermée, vingt millions de spectateurs fous d’amour pour le sport… une formidable fête !

400 voitures, toutes catégories, enfants chéries des meilleurs mécanicien qui avec talent, imagination et insensibles aux risques, essayent d’aller plus vite encore, encore plus vite que les autres.

 Brescia, capitale, j’allais écrire cathédrale de l’automobile de sport ou le moindre petit garage équipé d’une fosse devenait une semaine avant la course un laboratoire pour vérifier, fignoler dans des odeurs mélangées d’essence (j’allais écrire d’encens), d’huile, d’additifs classiques et autres pour aller vite, plus vite encore !

Brescia : 400 pilotes et autant de navigateurs attendant dans la fièvre, sous les projecteurs, le moment de jaillir du podium de minute en minute, de huit heures du soir a plus de minuit, les petites cylindrées les premières, jusqu’aux bolides les plus puissants.

Chaque pilote, quelques minutes avant le départ, faisait chauffer son moteur.

Un inoubliable vacarme ! Treize heures plus tard, Brescia devenait le port des victoires.

Passer la ligne d’arrivée, premier ou dernier de sa catégorie constituait en soi une victoire et les acclamations étaient les mêmes pour tous.

Hélas, cette année-la, le marquis Fon de Portago et son coéquipier Edmund Nelson sur Ferrari se tuaient en fauchant une dizaine de spectateurs.

La course fut définitivement rayée du calendrier de nos bonheurs.

On me créditera sans doute d’un lyrisme imprudent.

C’est que, si je vais, ma vie finissante, à la recherche de mes souvenirs et il y a : Les Mille Milles.

Ils sont entrés pour toujours au Panthéon de ma mémoire. » 

De retour en France, Monique et Annie ont rendez-vous le 14 Juillet sur l’autodrome de Montlhéry pour le Championnat féminin des « Dauphines ».

ADIEUX EN DAUPHINE

Douze Renault Dauphine attribuées par tirage au sort furent mises a la disposition des. Meilleures conductrices sélectionnées après une séance d’essais éliminatoires.

Monique et Annie s’étaient montrées les deux plus rapides, coéquipières, elles se promirent de passer ensemble la ligne d’arrivée dans la finale.

Monique, loin devant en tète, tint sa promesse et attendit Annie, elle, l’oublia et passa sans amorcer le moindre freinage.

Cependant, la preuve était faite qu’a voiture égale, Monique Bouvier, etait la plus rapide

Le lendemain, la presse sportive en témoignait jusque dans ses titres.

Puis les événements de sa vie personnelle firent que petit a petit Monique Bouvier s’éloigna du milieu de la course.

Pourtant les offres de conduire dans les grandes épreuves ne manquaient pas.

La championne suisse Nadège Ferrier lui proposa de partager le volant d’une Porsche dans le Tour de France Auto, voiture qu’elle adorait pour l’avoir essayée au rallye « Porte Océane » en 1955.

Mais c’était terminé : Aujourd’hui, Monique ne regrette rien, et n’a rien oublie de son bonheur de courir.

« J’ai donc eu le piano et les rallyes, deux choses bien différentes, et ensuite me suis occupée de l’affaire de mes parents, ce qui prouve qu’une sportive n’exclue pas une vie personnelle, intellectuelle et musicienne, ainsi qu’une grande affection pour les animaux.

Je ne peux pas vivre sans chien.

Mes souvenirs ? Je les regarde tendrement, sans mélancolie, j’y aperçois les dangers, le sport, les succès, les amitiés et en toile de fond, la jeunesse ! »

Divine époque !

Charly  RAMPAL      (D’après les souvenirs écrits de Jean-Pierre Potier. Photos Monique Rouvier et Jean Gireaudeau)