LE CONTEXTE :

La grande crise de 1929 va gagner bientôt la France.

Dès le printemps 1930, Paul Panhard est amené à faire part de ses difficultés à Maitriser les stocks et, jusqu’en 1936, il ne se passera pas un trimestre sans que la question ne soit évoquée au cours du Conseil de la S.A.A.E. Panhard et Levassor.

La vieille maison de l’avenue d’Ivry n’est pas seule à souffrir ainsi.

Les Automobiles Peugeot sont très affectées par la faillite d’Albert Oustric en novembre 1930, car c’est la banque du même nom qui a monté son augmentation de capital de 60 millions, et le conçurent de toujours de Panhard et Levassor se retrouve maintenant au bord de l’effondrement.

C’est le 1er octobre 1929 que Paul Panhard informe son Conseil de « tractations » avec la maison Peugeot et concernant le service commercial.

Un an plus tard, le 7 novembre 1930, donc en plein cœur de l’affaire Oustric, et alors que la famille Peugeot cherche, par tous les moyens, des parades pour éviter le pire, les affaires semblent pouvoir aller plus loin.

On n’en saura pas d’avantage : sans doute, la fragilité de la S.A.A.E Panhard et Levassor et le souci des familles d’en conserver le contrôle sans partage interdisent-ils au Conseil d’envisager de grandes manœuvres trop ambitieuses dans un moment aussi critique.

De son côté, André Citroën après la présentation de la 7 Traction Avant le 3 mars 1934, sera obligé sous la pression des banques, de déposer son bilan le 10 décembre de la même année, l’affaire pouvant être reprise par Michelin, son premier créancier.

On peut imaginer dans ce contexte que tous les soirs, la famille Panhard se mettait à prier avant de se coucher : « Seigneur, préservez-moi des banquiers, mes concurrents, je m’en charge » !

Mais il faut alors que la vie continue en ce sens et donc, s’efforcer de rajeunir les modèles de tourisme, avec l’espoir de réveiller l’intérêt des clients.

Et c’est au salon d’octobre 1920 qu’une « nouvelle ère s’ouvre » pour la maison Panhard et Levassor, qui présente les 6DS et 8DS : catégorie plus luxueuse que ses modèles des années 20, dans laquelle vont bientôt se cantonner toutes ses productions jusqu’à la guerre.

La lettre « S », qui figure dans les nouveaux noms, signifie « Surbaissé », car grâce aux longerons contre-coudés entre les axes des roues, le châssis permet d’aménager des carrosseries plus basses d’une quinzaine de centimètres.

LES NOUVEAUTES

Ces nouveautés sont essentiellement l’œuvre d’un nouveau venu chez Panhard et Lavassor : Louis Bionier.

Dessinateur de génie qui pour son coup d’essai réussi un véritable coup de maître en réalisant des dessins de carrosserie marquées par la sobriété, l’élégance et la classe.

Mais aussi par l’audace qui l’emmènera aux petites vitres latérales bombées qui personnaliseront les « Panoramiques », élues « voiture de la décennie ».

Signalons qu’à partir de cette époque, Panhard et Levassor signera la majorité des carrosseries usines Delaugère et Clayette.

LA GAMME ET ANECDOTES

Ces nouvelles voitures produites au cours des 7 années de leur production, se déclineront dès 1931 en une gamme complète de trois séries basées sur un même concept :

  • Les 6 CS : 6 cylindres de 2,3 l (13 cv) puis 2,5 l (14 cv) à 2,8 l (16 cv)
  • Les 6 DS : 6 cylindres de 3,5 l (20 cv) puis 4,1 l (23 CV) à 4,8 l (27 cv)
  • Les 8 DS : 8 cylindres de 5,1 l (29 cv).

Les 6 et 8 DS sont équipées de moteurs souples et silencieux, à fourreaux concentriques, avec une boite à 4 vitesses « hélicoïdales silencieuses, brevet Panhard et Levassor et des freins ; également brevetés, sur les quatre roues ; à commande mécanique par tringle, « puissants, instantanés encore perfectionnés ».

Il le faut, car le poids, carrosserie comprise, atteint les 1.900 kg pour la 6 DS et près de 2,2 tonnes pour la 8 DS.

En plus, les réservoirs d’essence ont une capacité de 95 à 110 litres, ce qui alourdit encore plus la note.

La 8 DS restera confidentielle, et seulement 29 exemplaires ont été vendus.

La présentation aux mines sous le code X67 en châssis YENKA (n° 85.003) a lieu le 24 septembre 1930.

Sa carrosserie est signée Henri Labourdette.

Elle était sortie de l’usine le 31 mai 1930.

Il s’agit de la première vraie 8 DS.

Les deux premiers exemplaires ayant connu des destins étonnants :

  • la « 85.001 », sortie des ateliers le 30 novembre 1929, soit 6 mois avant la présentation officielle aux Mines, était en fait un nouveau châssis YENKA équipé de l’ancien huit cylindres 35 cv de la X54. Cet hybride fut envoyé fin 1929 au distributeur Panhard et Levassor de Bruxelles avant de revenir en France en mai 1931 pour y être vendue à Paris.
  • La « 85.002 », ne quittera jamais l’avenue d’Ivry : son châssis fut démonté en pièces, remises ensuite en magasin.

En 1930, seulement deux 8 DS, les « 85.003 » et « 85.004 », furent assemblées, cette dernière restant à l’usine en tant que « matériel roulant » jusqu’en 1936.

Il sera produit 28 châssis de type YENKA, en plus du « 85.001 », qui seront carrossés par les plus grands carrossiers de l’époque : Janssen à Levallois (au moins 6 châssis), mais aussi Labourdette que j’ai déjà cité, Dubos, Fernandez, Henri Blinder, Pourtout, Froux, Runguette…

1931 sera l’année la plus faste avec quatorze exemplaires produits.

Parmi ceux-ci arrêtons-nous sur deux modèles en particulier.

Tout d’abord, la « 85.017 », livrée le 31 août à Monsieur Janssen, rue Gide à Levallois-Perret, contre une somme de 70.00 francs.

Suite à un accord entre le carrossier et l’usine, le Châssis fut exposé au Grand Palais à l’occasion du salon de l’Auto en octobre 1931.

Il était alors peint en vert clair.

Il fut ensuite habillé en berline découvrable  selon un dessin de son propriétaire.

Il est probable que cette 8 DS restera dans la famille Janssen jusqu’en 1965.

Elle fut alors vendue en région toulousaine, puis fut acquise par un grand amateur de Panhard Sans-Soupapes qui la ramènera à Avallon en 1970. Ce dernier la cédera à un collectionneur passionné, habitant la Nièvre.

Elle doit toujours exister et dans ce cas, elle est le seul exemplaire survivant de 8 DS.

La seconde, la « 85.022 », sera la seule acquise par une tête couronnée, le Prince Viah-Thuy, futur Empereur d’Annan (l’Annam étant un protectorat français situé au centre de l’actuel Viet-Nam, entre le Tonkin et la Cochinchine).

Elle est carrossée en un superbe coach aux lignes sobres et très pures.

Dès 1931, comme le confirme le plan repris des archives et daté du 20 juillet 1931, les ingénieurs de Panhard et Levassor préparaient une évolution du châssis YENKA dont la modification la plus visible fut le passage à l’empattement de 3,59 m à 3,65 m.

En même temps, la roue libre apparue sur les six cylindres, fut généralisée à la 8 DS.

UNE PRODUCTION EN COMPTE-GOUTTE

La première huit cylindres de cette nouvelle génération, dont le code devint UYDIS pour l’occasion, le « 85.302 », sortit d’usine le 13 mars 1933 et fut quelque temps utilisée par Monsieur Paul Panhard , qui la céda en juillet 1933 aux Etablissements Houdet, concessionnaire Panhard et Levassor à Tours.

Il ne fut réalisé entre 1933 et début 1938 que quinze châssis UYDIS.

Parmi les clients, on peut remarquer Monseigneur Guerlier ; Evêque de Lourdes, qui commanda la « 85.310 ».

L’Evêché de Lourdes restera très longtemps fidèle à Panhard.

On n’en veut pour preuve qu’en 1958, Monseigneur Théas, toujours client de la marque, se fera prêter deux cabriolets Z15 pour la consécration de la basilique souterraine par le Cardinal Roncalli, futur Pape Jean XXIII.

A partir du châssis UYDIS, on trouve trace de carrosseries d’usine : six en UYDIS (limousine si glaces) et une UYDEV (berline quatre glaces).

Il semble en effet que, contrairement aux six cylindres majoritairement équipées de caisse « maison », les huit cylindres étaient essentiellement livrées en châssis.

En outre, parmi les carrosseries d’usine, aucune 8 DS ne sortira en version « Panoramique », bien que ce soit proposé dans le catalogue publicitaire de 1936.

Concernant les exportations, elles furent très limitées.

Hormis la « 85.022 » de l’Empereur d’Annam, deux voitures ont pris la direction de l’Algérie quui était à l’époque le premier marché d’exportation pour Panharde, la « 85.031 » à la concession d’Alegr, et la « 85.034 » à celle d’Oran.

Enfin, deux autres firent carrière sous le doux climat de la Tunisie, la « 85.308 » et la « 85.311 ».

Sur toute la production, seulement cinq sont parties à l’étranger, et trente-huit sont restées en France.

La dernière 8 cylindres de l’histoire de Panhard (la « 85.312 ») quittera l’avenue d’Ivry en janvier 1938 pour rejoindre l’agence Auto-Sélection à Levallois-Perret.

Il s’agissait d’une conduite intérieure UYDUS 6 glaces équipée de roues à pneus 7 x 18, les deux roues de secours se trouvant en cuvette dans les ailes avant, un porte-bagages à l’arrière et deux strapontins face à la route.

Pour expliquer la très faible production du modèle, on peut avancer qu’il s’agit, dès son lancement « d’une fin de race ».

Jusque dans les années vingt, les chauffeurs étaient quasi indissociables des voitures de très grand luxe.

Dès lors, qu’elles soient pénibles à conduire importait peu.

Or la 8 DS atteint, carrossée, entre 2.200 et 2.800 kg à vide et sa conduite s’apparente quelque peu à celle d’un poids lourd !

Or, dans le courant des années trente, les propriétaires fortunés prennent plaisir à conduire leur automobile et, à ce titre, les 6 DS et surtout 6 DS Spéciale sont bien plus maniables et agréable à mener, tout en étant performantes (jusqu’à 145 km/h pour une 6 DS Spéciale).

On peut en outre noter le peu d’effort commercial entrepris pour favoriser sa diffusion.

Aucun document publicitaire spécifique ne semble avoir existé et dans les catalogues d’époque, après de nombreuses pages décrivant les gammes des 6 cylindres, on trouve finalement la trace de la seule 8 cylindres Sans Soupapes française.

Enfin, son prix astronomique ne la servait guère.

Charly  RAMPAL  (Archives Panhard)