L’AFFAIRE.

En ce début d’année 1964, le torchon commence à brûler entre Charles Deutsch et Panhard.
En effet après l’échec commercial de la CD issue du modèle vainqueur des 24h du Mans en 1962, CD et Panhard se renvoient les causes de cet échec !
Comme je l’ai expliqué dans mon livre sur les « CD de Charles Deutsch », la fabrication en petite série des coachs CD fut marquée par un retard et un manque flagrant de qualité de fabrication.

Pour Panhard, CD en porte la responsabilité. Les documents que CD s’est engagé à dresser devaient permettre la mise en fabrication, en réalité, il n’a fourni que des plans très généraux que les sous-traitants ALPA et VELAM ne purent utiliser.
Le premier a du déclarer forfait, le second, malgré l’aide apporté par CD pour palier à l’insuffisance des documents fournis, s’est trouvé dans l’obligation, après un démarrage infructueux, de réaliser les plans et les documents nécessaires, ceci au frais de la Société PL qui a versé à VELAM une indemnisation pour l’établissement de ces plans, documents et remboursements de frais anormaux de démarrage.

Les déboires de ce véhicule sont tels que PL n’a pu écouler l’ensemble des voitures fabriquées, envisageant même de démonter ceux restant en stock pour éviter le discrédit de la marque !

Dans un souci de conciliation la Société Panhard a décidé de ne pas poursuivre et de clore le dossier.

Rappelons qu’au départ c’est la Société d’Etudes et de Construction d’Automobile CD qui était maître d’œuvre et Panhard ne devait pas intervenir dans cette fabrication. Mais dès le début, Charles Deutsch déclara forfait et avertit Panhard qu’il n’irait pas au-delà de la 25ème voiture. Il fut alors convenu que le relais serait repris par VELAM.
Charles Deutsch et son bureau d’études, assumant les fonctions normales d’une telle implication. Malheureusement dans la pratique CD se montra incompétent à remplir son rôle dans la mise en fabrication de ce véhicule, obligeant Panhard à engager des frais très importants.

C’est donc dans cette ambiance peu propice à un travail en commun que CD décida de sa propre initiative l’étude d’un prototype GT sur base de la 24, voiture qui avait emballé Charles Deutsch !

Ce véhicule, dénommé type 2163, est né sur la base d’une étude de marché qui, au début des années soixante, semblait cadrer avec la demande d’une production diversifiée : la petite voiture sportive, brillante mais économique.

La plate-forme de la 24 permettait des réalisations intéressantes, même s’il était clair qu’une étude spécifique aurait abouti à une base différente (plus petite et une géométrie plus orientée vers la tenue de route).

CD avait aussi étudié un cabriolet réalisable en deux versions !
1. Normale
2. Simplifiée (du genre Junior).
La réalisation de ces voitures peut-être faite sous la forme :
• Plate-forme série (avec légères adaptations, par exemple pour fixation de la caisse).
• Carrosserie intégrale par une firme artisanale (Chappe et Gessalin). Les cadences possibles seraient faibles au départ (2 à 3 par semaine) et pouvant croitre à 25 / 30 mois dans un délai de quelques mois.

CD prévoyait sa commercialisation à travers le réseau Panhard, la garantie usine étant accordée à la mécanique de série. Il est certain que ces véhicules intéressaient une clientèle de fanatiques qui désiraient :
• Des conseils
• Des équipements complémentaires spéciaux.

Charles Deutsch voyait également en cette voiture, ce que Renault avait réalisé avec la R8 Gordini ou Ford avec les Seven.

La philosophie de Charles Deutsch voyait rentrer normalement ce genre de véhicule dans la classification des règlements sportifs de l’époque, à la différence de ceux utilisés par l’opération « Ford-jeunesse ».

Ce véhicule devrait avoir une utilisation routière normale ce qui intéressait les jeunes : ces deux raisons laissaient à penser qu’un coup de pouce national pouvait avoir lieu dans le cadre de la relance du sport automobile en France.

Sous un autre angle, l’emploi sportif d’une voiture de cette nature présente un autre intérêt. La traction avant se généralise en série : il est certain – même si cela s’effectue parfois avec des erreurs – qu’un rapprochement est souvent fait entre conduite « perfectionniste » et la compétition : plusieurs écoles sont liées à des circuits. Si la compétition sur circuit impose le tout à l’arrière, les épreuves variées ne sont pas aussi catégoriques. Il semblait que Charles Deutsch voulait la positionner entre la BMC Cooper et la 24CT.

Sur le plan de l’organisation de sa diffusion, Charles Deutsch préconisait que la commercialisation serait à la charge de Panhard, ceci aurait deux contreparties :
1. Reporter sur Panhard et son réseau la charge de l’assistance « compétition »
2. Lier cet ensemble à la préconisation de BP.

Une autre solution était aussi envisageable :
• Panhard prendrait à sa charge toute la partie mécanique
• CD la carrosserie et à la limite l’assistance course.

Il voyait une possible participation de cette voiture au Mans en catégorie GT.

Le prix de revient – études et outillage non compris – d’une carrosserie artisanale est très élevé même si le service approvisionnement Panhard peut apporter une aide pour certaines fournitures (glaces, peinture,…) : 5 à 7.000 F suivant le modèle (Junior ou coach).

L’opération n’a donc de sens, compte tenu des amortissements, commissions, garantie, taxes que si la plate-forme peut-être intégrée à cette réalisation à moins de 4.000 F.

Charles Deutsch y voyait un triple intérêt :
Accompagner dans le domaine sportif l’expansion de la traction avant, en couvrant une gamme particulière de besoins.
Réaliser une action positive en faveur des jeunes sportifs. Il espérait pouvoir mettre sur pied avec un Club tel que l’ACO, une opération qui assurerait un contrepoids sérieux à l’opération « Ford-jeunesse ».
Eventuellement permettre (DB l’avait envisagé avant même qu’Alpine le réussisse) une certaine diffusion française à l’étranger là ou un montage de pièces en série avec finition artisanale peut-être implanté.

Ces échanges de réflexion entre CD et Panhard eurent lieu en avril 1964.

Panhard échaudé par les déboires commerciaux du coach CD ne voulait pas se lancer dans une nouvelle aventure. La déculottée au Mans avec les deux prototypes CD mal préparés a fait pencher la balance fortement vers une rupture entre CD et Panhard.

Mais Charles Deutsch remis la pression en octobre et novembre en relançant le projet et envisagea même une nouvelle participation au Mans 1965.
Le 27 octobre 1964, un nouveau point est fait entre CD et Panhard.
Deux sujets à l’ordre du jour :
• La voiture 2163
• Le Mans 1965

Pour la voiture 2163 : la décision de collaborer est du ressort de la Maison Panhard, mais dans une telle affaire, la position de Citroën serait :
• Pas d’accord pour une caisse en plastique si la Maison ne peut donner sa garantie.
• Pas d’accord pour la fourniture d’un châssis pour une voiture allant plus vite que la 24 et si, après étude, on ne peut là aussi donner sa garantie.

Le pétrolier avec lequel Charles Deutsch est en pourparler, c’est ESSO. Ce dernier vient de lui préciser qu’il ne s’intéresserait à cette voiture que sur le plan sportif pur, et pas sur le plan commercial.

La position de Citroën impose à Charles Deutsch et à Jean Panhard de tout arrêter.
Pour Le Mans 1965 la position de Citroën est claire :
• On l’empêche de le faire
• On le laisse faire sans participer
• On lui fournit que les pièces moteur.

Mais le 3 novembre, la nouvelle réglementation des 24h du Mans 1965 tombe : l’ACO vient d’interdire tout moteur de moins de 1.000 cc AVEC ou SANS compresseur. Cet évènement décisif met fin définitivement la collaboration de CD et de Panhard pour cette célèbre épreuve.
Charles Deutsch exprimera dans une lettre datée du 10 novembre son « regret difficile à exprimer que je dois cesser une fidélité de quinze ans à une même mécanique ».

Une mauvaise nouvelle en entraînant une autre, CD écrivait à Panhard le 18 novembre 1964 en ces termes :
« Suite à notre dernier entretien, nous vous informons que nous avons à la présente date arrêté complètement la construction de la voiture prototype 2163.
Nous vous indiquons ci-dessous la situation des travaux exécutés à ce jour :
• Etude de forme, fabrication d’un modèle au 1/5ème, essaie en soufflerie.
• Etablissement de dessins
• Construction d’un modèle en bois enduit, poncé et peint.
• Fabrication des moules de : coque + capot moteur + porte de malle arrière + portières.
• Fabrication de grilles d’entrées d’air moteur et ventilation
• Exécution de caoutchouc de profils spéciaux.

Tous ces éléments seront provisoirement et pour un certain temps, stockés dans les ateliers du carrossier Chappe à Brie Comte Robert.

Les éléments de voiture 24, comprenant : châssis équipé, châssis nu et diverses pièces, que vous nous avez prêtés sont également entreposés dans les ateliers Chappe. »

Ainsi se terminait une collaboration de 15 ans avec le succès que l’on connaît.

Quant à la 2163, il ne reste aujourd’hui que des photos, des gabarits, des dessins et des éléments de carrosserie.

Charly RAMPAL