La situation en 1945 est mille fois plus catastrophique qu’après la première guerre mondiale; l’économie française est exangue.

La population nantie de provisions de tickets de rationnement, il est hors de question de rouler en voiture et, bien sûr, d’exposer des automobiles.

Un an plus tard, la situation a lentement évolué; le 3 octobre le Grand Palais ouvre ses portes… pour dix jours.

Le spectacle de 1946 restera une curiosité dans les annales des Salons : c’est le premier de l’après-guerre, avant Londres, avant New York.

Mais seuls Delahaye, Delage, Talbot, Hotchkiss exposent des voitures de luxe traditionnelles, réservées d’ailleurs à l’exportation.

En effet, les Français, dans leur majorité, ne peuvent acquérir une voiture française dont la puissance dépasse 5 CV.

Le plan quinquennal de planification  économique a imposé des gammes et des limitations aux divers constructeurs : Renault doit fabriquer des Juva-quatre et des 4 CV, Citroën des 11 et 15 CV, Peugeot des 203 et des 402, et l’accent est surtout mis sur les véhicules utilitaires, trop rares.

Je ne reviendrai pas sur le Plan Pons pour valider Panhard.

Mais l’année 1946 restera celle des prototypes, entre 1,5 et 6 CV.

Répondant aux impératifs de l’heure, on opte pour l’économie.

Faire moins lourd en employant l’aluminium, mais sans sacrifier la solidité : économie de poids, économie de carburant aussi, en montant des moteurs de faible cylindrée.

Durant ces années de pénurie, les ingénieurs réfléchissent aussi à un paramètre aujourd’hui familier : l’aérodynamique.

Deux points sont travaillés : le poids et la forme.

Le poids : non seulement pour économiser sur le prix de la matière et, par suite, sur le façonnage, mais surtout dans le but de réduire à merci un ennemi, qu’on dit « mort », mais qui ne manifeste que trop sa présence et sa gourmandise.

Pour les voitures de construction orthodoxe, le poids soi-disant « mort », mais plus exactement « parasitaire », représente deux à trois fois celui de la charge payante.

Mais le poids n’est pas le seul facteur responsable de la dépense d’énergie nécessaire pour animer un véhicule.

Il faut également composer avec le fluide dans lequel il se meut : l’air.

Pour une voiture française de grande série, à 115 km à l’heure, la résistance de l’air absorbe 71,5 % de la puissance du moteur (40 ch sur 56).

Les records d’entrées sont encore battus ; plus de 100 000 personnes se pressent chaque jour pour toucher les petites voitures mises au point durant l’occupation allemande.

LES 3 VEDETTES DU SALON DE 1946

Parmi les chefs d’industrie de l’automobile, il en est un qui désormais sera nommé par le gouvernement Pierre Lefaucheux, P.D.G. des Usines Renault, désormais nationalisées, et qui s’est battu pour la sortie de cette 4 CV qui deviendra le symbole du redressement français.

Près de la 4 CV Renault, la 3 CV de chez Panhard, la Dyna,

Mais aussi l’étonnante Mathis 333, à trois roues, trois places et trois litres d’essence pour cent kilomètres.

Jusqu’en 1948, la marque Citroën continue d’exploiter seulement la fameuse Traction, et ce n’est qu’au 35e Salon, en 1948, qu’est dévoilé ce véhicule appelé à un si brillant avenir : la 2 CV.

La « TPV » (Très Petite Voiture) a été entourée de tout le mystère possible, amenée avec les précautions d’usage. Chez Panhard on présente la Dynavia qui représente, en fonction des contraintes de poids et d’aérodynamique, la voiture « idéale ».

Voir mon article publié le 7 avril 2022

AMBIANCE DES PREMIERS SALONS

Comme chaque année, deux jours avant l’ouverture du Salon, le Grand Palais est à peu près vide; rares sont les voitures qui occupent déjà leur emplacement.

De provenance étrangère, elles ont quitté leur usine de bonne heure pour être sûres d’arriver à temps; des bâches blanches, écrues ou bleues les enveloppent jalousement ; seul, un véhicule allemand qu’un douanier inspecte avant d’apposer les plombs d’admission temporaire, se montre à découvert.

Sur les stands encore déserts, des rouleaux de tapis, un bureau et un porte-manteau à l’air abandonné montent la garde; dans le coin, le dessinateur de « pancartes à la minute » fignole paisiblement une lettre; aux galeries, quelques coups de marteau; on travaille avec cette hâte qui caractérise les veilles d’ouverture, et, au milieu d’un bruit de marteaux, parmi les commandements, les appels et le va-et-vient, la vaste fourmilière a mis petit à petit de l’ordre dans son labyrinthe.

Les autos, soigneusement enveloppées dans leurs housses de toile, poussées ou portées, les unes dissimulant mystérieusement leur forme et leur couleur, les autres, au contraire, montrant non sans quelque vanité peut-être leur splendeur virginale.

Des équipes d’emballeurs, les mains garnies de chiffons, poussent jusqu’aux places assignées, gravissent lentement les rampes pour accéder aux stands latéraux.

LA PROGRESSION  A CHAQUE SALON

Au fil des mois, la production reste lente : 34 000 véhicules fabriquée en 1945, 96 000 en 1946, 190 000 en 1949.

Jusqu’aux années 1950, les journalistes se lamentent, au nom des consommateurs : « En ce septembre, encore tout humide des souvenirs de vacances, le problème était évidemment de savoir si le prochain salon n’offrirait encore que des échantillons au public ou bien si l’on pourrait y demander à acquérir les petites sœurs des voitures exposées, sans passer aux yeux des vendeurs pour un fou, pour un satyre ou pour un étranger. »

Où sont passés les fastes d’antan ?

C’est seulement à partir d’octobre 1949 qu’on peut à nouveau assister à un « salon des acheteurs » : il n’est plus nécessaire d’avoir une licence pour acquérir une voiture, et si les délais de livraison sont encore importants pour certaines marques, on n’entend plus sur les stands cette phrase : « aucune indication n’est possible pour la livraison ».

L’industrie automobile a retrouvé et même dépassé sa cadence d’avant-guerre, et le nombre des consommateurs s’est accru grâce aux voitures populaires.

Le sourire commercial fait sa réapparition.

Le cours des voitures d’occasion est en chute verticale; il faut dire qu’il était supérieur à celui des véhicules neufs introuvables !

Disparaît aussi la petite opération profitable, effectuée par les personnes bien placées, pour avoir une voiture neuve et qui revendaient celle-ci, trois mois après, avec un confortable bénéfice.

Les Français voient poindre ce qui est déjà devenu normal aux États-Unis : « Nos automobiles ne sont plus conçues par des experts techniques, mais des vendeurs et des publicistes appliqués à répandre un objet tape-à-l’œil pour résoudre les problèmes de leur ressort.

COMMENT BIEN VENDRE ?

En 1950, dans une note confidentielle retrouvée dans les archives, la firme Panhard-Levassor explique exactement la même chose aux vendeurs de son stand : « L’an dernier, à pareille époque, je vous disais que le temps où il paraissait suffisant d’attendre paisiblement le client, comme un fonctionnaire derrière son guichet, était définitivement révolu.

Je pense qu’au cours de l’année qui vient de s’écouler vous avez tous eu bien souvent l’occasion de vous persuader de cette réalité et, si nous jouissons d’un certain sursis pour les voitures de tourisme, la lutte dans tous les autres secteurs est devenue de plus en plus âpre et vous devez de plus en plus faire appel à toutes vos qualités de vendeur, à toute votre énergie, à toute votre intelligence, pour imposer au client votre volonté, c’est-à-dire VENDRE.

L’un des points les plus importants pour vendre, c’est de savoir convaincre, et pour convaincre il faut être sincère; la suprême habileté dans le commerce, c’est encore la franchise et, pour être franc, il faut être soi-même convaincu que ce que l’on vend est ce qui convient le mieux au client.

Mais encore faut-il bien connaître ce que l’on vend.

Possédez vous tous bien la technique de nos modèles, leurs avantages, pourquoi nous avons choisi telle solution plutôt que telle autre ?

Avez-vous réfléchi aux arguments employés dans notre publicité, dans nos catalogues, nos notices d’entretien ?

Avez-vous développé vos connaissances techniques en lisant certaines revues ?

Je pense en particulier à celles qui ont longuement parlé de nos fabrications, comme « Service », « Techniques Modernes », « Auto-Revue ».

Vous tenez-vous au courant des tendances actuelles ?

Êtes-vous en mesure de tenir le cas échéant une conversation un peu technique avec certains clients ou concessionnaires ?

Profitez donc au maximum de ce Salon.

Procurez-vous les catalogues des concurrents, constituez-vous une documentation personnelle qui vous sera précieuse. »

Comme quoi les documents publicitaires ont bien des fonctions…

Charly  RAMPAL  (A travers les comptes-rendus du Salon de Paris et doc perso)